Parmi les indices récoltés : les plaques d’immatriculation. Les véhicules auraient été offerts à l’épouse d’un éminent politicien, à des politiciens eux-mêmes, dont ceux qui sont dans l’opposition, ainsi qu’à leurs proches. Mais aussi à de hauts fonctionnaires. Sollicité pour une réaction, l’un d’eux a déclaré, sans même qu’on n’ait eu le temps de lui poser la question: «Mo pa gagn létan koz ar ou do matlo!»
Sur le terrain, les langues se délient à moitié. Dans ce village du Nord, où habite un des politiciens qui aurait bénéficié des largesses d’Álvaro Sobrinho, on interroge les voisins. Un homme d’une soixantaine d’années nous lorgne du coin de son œil sceptique. «Non, je n’ai pas repéré de voiture avec ces plaques dans le coin.»
Plus loin, un homme s’active à réparer un vélo, en compagnie d’un garçon d’une dizaine d’années. Il sera plus loquace. Même si les plaques d’immatriculation ne lui disent pas grand-chose, il avoue avoir observé le va-et-vient d’une «Jaguar neuve de couleur blanche» du côté de son voisin. Des propos corroborés par l’enfant, plus observateur semble-t-il. «Difficile de passer à côté de ce type de voiture sans la remarquer. Mé dépi 2-3 zour népli trouv li pasé…»
En attendant de faire la lumière sur cette affaire qui ne cesse de prendre de l’ampleur, lors de sa conférence de presse hebdomadaire, samedi, Paul Bérenger a donné quelques éléments à rajouter au dossier. Selon le chef de file du MMM, des «Very Very Important Persons» auraient retourné leurs chers «cadeaux» à quatre roues après que le scandale a éclaté.
Sauf l’un d’eux, en l’occurrence un haut fonctionnaire de l’État. La raison étant que «Jaguar la tro bon», a ironisé le leader des Mauves.
Liste des plaques d’immatriculation des véhicules appartenant à Álvaro Sobrinho
Elle était garée sur l’aire de stationnement de la Maeva Tower, à Ébène. Cette Land Rover Discovery, appartenant à Álvaro Sobrinho, serait conduite par un employé de Planet Earth Institute, qui serait également le responsable de communication d’ASA Group, appartenant au multimilliardaire.
Interrogés, des employés dont les bureaux se trouvent à la Maeva Tower reconnaissent sans problème les plaques d’immatriculation de deux Jaguar. Ceux-ci leur ont tapé dans l’œil, avouent ces fans de bolides. Ils précisent en outre qu’ASA ne compterait que six employés, incluant la dame qui s’occupe du ménage.
Le 22 octobre 2016, l’on flairait déjà ce qui allait devenir l’affaire Álvaro. Dans un confidentiel, nous précisions que l’homme d’affaires angolais, ancien Chief Executive Officer de la Banco Espirito Santo, serait à la recherche d’une licence bancaire à Maurice… Comment a-t-il fait ? Par quels chemins est-il passé depuis? La Financial Services Commission Act (FSC Act) a-t-elle été amendée à un moment opportun? C’est en tout cas ce qu’estime l’opposition. Paul Bérenger en a d’ailleurs fait mention dans sa conférence de presse samedi. «Le point de départ, c’est la présentation du Budget le 29 juillet 2016», a-t-il souligné.
Quoi qu’il en soit, avant cet amendement, seule la Banque de Maurice (BoM) avait ce pouvoir. La FSC Act a été amendée dans le cadre du Finance Bill, pour permettre l’application des mesures budgétaires. Cependant, même s’il est aujourd’hui dénoncé par l’opposition, l’amendement de la FSC Act n’a pas fait tiquer au Parlement, au moment des débats. Pourquoi? Sollicité à ce propos, Reza Uteem, le leader adjoint du MMM, explique que les parlementaires ignoraient la «vraie raison» de l’amendement à l’époque.
«L’amendement de la FSC Act n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais nous ne savions pas que cela a été entrepris du fait que la BoM a refusé d’octroyer la Banking Licence dans un premier temps. Sinon, comment expliquer qu’après cet amendement, Álvaro Sobrinho a obtenu sa licence auprès de la FSC deux mois après avoir fait sa demande?» déclare Reza Uteem. L’amendement a-t-il été apporté dans le but de permettre à Álvaro Sobrinho d’obtenir une investment Banking and Corporate Advisory Licence ?
En attendant d’y voir plus clair, voici la chronologie des faits:
2015 : Álvaro Sobrinho fait une application pour une Banking Licence auprès de la BoM. Cette demande est rejetée après que la BoM a effectué une due diligence d’une durée de trois mois.
2016 : Selon le communiqué de la FSC, plusieurs licences ont été octroyées à Álvaro Sobrinho.
29 juillet 2016 : Pravind Jugnauth présente son Budget. Dans son discours, sous la catégorie Financial Services: reaching out to New Markets, il mentionne «an Investment Banking and Corporate Advisory License» par la FSC.
31 août 2016 : Le Finance Bill est voté au Parlement. Au total, 58 lois sont amendées. Parmi elles, la FSC Act, permettant l’octroi de l’Investment Banking and Corporate Advisory License.
7 septembre 2016 : Le Finance Bill est gazetted.
29 septembre 2016 : Álvaro Sobrinho demande une Investment Banking and Corporate Advisory License à la FSC.
25 novembre 2016: La FSC octroie la licence à Álvaro Sobrinho. Depuis, une seule autre personne a bénéficié de cette même licence auprès de la FSC.
Le leader du MMM avait déclaré lors de sa conférence de presse, samedi, qu’un seul bénéficiaire des berlines achetées par Álvaro Sobrinho n’aurait pas retourné son véhicule. Mais coup de théâtre dans l’après-midi. Une Jaguar a été déposée sur le parking de la Maeva Tower, à Ebène, immeuble qui abrite, entre autres, le siège d’Alvaro Sobrinho Asset Ltd (ASA).
Selon nos informations, cette Jaguar aurait été utilisée par un haut fonctionnaire. Interrogé par l’express, ce dernier n’a pas voulu faire de commentaire.
Le véhicule se trouvait toujours sur le parking de la Maeva Tower, ce dimanche.
La présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, aurait-elle envisagé de démissionner? Oui, si l’on en croit des sources qui ont assisté à la réunion du bureau politique du MSM, le samedi 4 mars. Et lors de laquelle Showkutally Soodhun aurait déclaré qu’Ameenah Gurib-Fakim, tourmentée par l’affaire Sobrinho, était sur le point de rendre son tablier. Le président du parti soleil l’en aurait alors dissuadée, selon ses camarades.
Nous avons essayé d’avoir une réaction de la présidente, samedi après-midi. C’est par le biais de son service de sécurité qu’elle nous a fait comprendre qu’elle ne souhaitait pas répondre à nos questions.
Quant au leader du MSM, Pravind Jugnauth, il s’est contenté d’affirmer que la présidente «fait face à des accusations malveillantes et de mauvais goût».
Le leader des Rouges a également commenté l’affaire Sobrinho. «Il faut une enquête approfondie», a-t-il soutenu. «Tout cela a été planifié, des licences ont été accordées, des véhicules donnés en cadeau. Il y a eu des transactions d’argent», a ajouté Navin Ramgoolam. «S’il n’y a pas d’enquête, nous en ferons une quand nous reviendrons au pouvoir.»
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