« Les accidents de la route mortels ne sont pas une fatalité avec laquelle il nous faudrait apprendre à vivre », dit Alain Jeannot, animateur de l’ONG Prévention Routière Avant Tout (PRAT) et président du National Road Safety Council (NRSC). Alors que l’on s’apprête à fêter Noël et le Nouvel An, il rappelle qu’être un usager de la route est « une responsabilité partagée ». « La route, avance-t-il, n’est surtout pas un lieu où l’on peut faire preuve d’égoïsme ».
S’il reconnaît que les 133 morts recensés sur les routes cette année au vendredi 22 décembre, c’est déjà trop, Alain Jeannot souligne quand même que l’on ne saurait extrapoler en comparant ce chiffre d’accidents fatals recensés à ce jour en 2023 à ceux des trois dernières années marquées par les restrictions liées à la pandémie du Covid-19.
Il rappelle qu’en 2022, quand 108 morts ont été recensés sur les routes, des lieux de récréation et de night life tels que les plages publiques, les boîtes de nuit ou les clubs privés étaient encore interdits au public tout au long des deux premiers trimestres de l’année. Ainsi, globalement, moins de véhicules ont circulé sur les routes l’an dernier. Ce qui, de toute évidence, a eu une incidence sur le nombre d’accidents enregistrés.
Même si l’année 2023 n’est pas encore achevée et que la route peut encore se révéler meurtrière, l’animateur de PRAT et président du NRSC pense que, en toute honnêteté, le chiffre global des accidents fatals cette année doit être comparé à ceux des dernières années avant la survenue de la crise Covid. Il rappelle, ainsi, qu’en 2018, 143 morts avaient été recensés dans des accidents de la circulation et 144 en 2019.
« Les accidents de la route mortels ne sont pas une fatalité avec laquelle il nous faudrait apprendre à vivre », insiste le travailleur social. Car, pour lui, « un accident n’arrive jamais… par accident ! ». Selon Alain Jeannot, une série d’éléments peut, en effet, expliquer sa survenue : l’état du véhicule, l’imprudence ou l’inattention dont peut faire preuve un usager, la fiabilité des infrastructures routières… Un accident peut aussi se révéler fatal en raison de l’inefficience des services d’urgence, selon lui.
Avec un parc automobile qui comprend actuellement plus de 50% de véhicules de moins de 10 ans d’âge, le président du NRSC pense qu’a priori à Maurice, les véhicules sur les routes sont généralement plutôt sûrs. Mais le problème, selon lui, c’est le fort pourcentage des deux-roues motorisés : à savoir, 36,7% du parc automobile mauricien (environ 236,000 motos et cyclomoteurs).
À titre comparatif, il explique que chez nos voisins réunionnais, les deux-roues motorisés ne comptent que pour 5% du parc automobile (quelque 20,000 motos et cyclomoteurs). « Or, souligne Alain Jeannot, un deux-roues motorisé est réputé être 25 à 30 fois plus à risques qu’un véhicule à quatre roues ». Il explique ainsi qu’à La Réunion, en 2021, sur un total de 45 morts recensés sur les routes, 20 étaient des motocyclistes ou cyclomotoristes.
L’animateur de PRAT explique que la dangerosité des deux-roues motorisés est un phénomène mondialement reconnu. En Australie, par exemple, où le Vehicle Fatality Rate est chiffré globalement à 0,4 pour 10,000 accidents, le Motocycle Fatality Rate est, lui, estimé à 2,2 pour 10,000 accidents. Alain Jeannot précise, de même, que Maurice se classe parmi le Top 10 des pays avec le plus de deux-roues motorisés par tête d’habitants.
Plus généralement, il ne manque pas de tirer l’attention sur le fait que le parc automobile mauricien s’est accru par plus de 9 fois en 40 ans. Ainsi, alors que le parc automobile mauricien ne comptait que 75,595 véhicules en 1985, ce parc est désormais proche de 700,000 véhicules. « De très nombreuses familles disposent aujourd’hui de deux véhicules », fait-il remarquer.
S’il reconnaît que les gouvernements qui se sont succédé ont, dans un souci de démocratisation, facilité l’acquisition d’un véhicule pour le plus grand nombre, Alain Jeannot souligne le fait que plus il y a des véhicules sur les routes, plus s’accroissent les possibilités d’accidents. Sans parler de l’épineux problème d’embouteillage.
S’il reconnaît, par ailleurs, que dans l’idéal, le permis à points où des motos-écoles peuvent aider à contenir le nombre d’accidents, dont ceux fatals, le président du NRSC ne pense pas pour autant que ces recours sont des solutions-miracles aux problèmes d’accidents. Il cite la Malaisie, pays où existe un système de permis à points mais où, quand bien même, le taux de mortalité sur les routes (Mortality Rate) s’élève à 22 pour 100,000. À titre comparatif, ce taux n’est que de 11 pour 100,000 à Maurice.
Alain Jeannot rappelle qu’après les motards et leurs passagers qui représentent 40% des personnes tuées sur les routes à Maurice entre le 1er janvier et le 17 décembre de cette année, 32% des morts sur les routes durant la même période sont des piétons, surtout des personnes âgées. D’ailleurs, la mère de notre interlocuteur a eu la désagréable surprise de se faire renverser par une moto à Belle-Rose, récemment. Et fort heureusement pour la dame âgée, elle a pu quitter l’hôpital et le pire est derrière elle, même si elle est encore alitée. Juste pour dire que durant les cinq années s’étendant de 2018 à 2022, sur les 150 piétons mortellement renversés sur les routes, figuraient 81 seniors, soit 54% de ces morts.
Il est un fait que les personnes âgées qui profitent de leur retraite et qui voyagent gratuitement dans le transport public sont de plus en plus souvent sur les routes. Tout aussi vrai qu’avec le poids de l’âge, ces personnes n’ont plus la même agilité alors que leurs sens de l’ouïe et de la vue sont diminués.
Cela étant, il est tout aussi vrai que des conducteurs impolis ne font pas toujours preuve de courtoisie à la vue d’un senior sur la route. D’où leur vulnérabilité. Encore plus, si le conducteur en question est sous influence d’alcool ou de drogues… Conduire sous influence : voilà un comportement dont de plus en plus de jeunes se rendent coupables. Ceux de 15 à 29 ans ont compté à eux seuls pour 164 des 493 morts recensés sur les routes à Maurice entre 2019 et 2022.
« Être un usager de la route est une responsabilité partagée. Encore plus qu’ailleurs, la route n’est surtout pas un lieu où l’on peut faire preuve d’égoïsme », rappelle Alain Jeannot. À la veille des fêtes de Noël et du Nouvel An, l’animateur de PRAT et président du NRSC appelle, donc, chacun à faire la fête « en toute responsabilité ». À ne surtout pas conduire sous l’influence d’alcool ou de drogues. Et à aussi se ménager pour ne pas conduire dans un état de fatigue extrême.
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