Des atteintes aux droits humains ont émergé dans l'île ces dernières semaines. La démocratie est également mise à l'épreuve, les travaux parlementaires étant à l'arrêt. Les militants des droits humains mettent en garde.
Le confinement ne doit pas servir de prétexte au non-respect des droits humains et à l'effritement des valeurs démocratiques. Or, des dérives de ce genre sont signalées partout à travers le monde. Au Niger, le journaliste et défenseur des droits de l'homme Mamane Kaka Touda a été arrêté et emprisonné pour avoir "rapporté un cas suspect", de Covid-19. Il n'est pas le seul à avoir subi ce traitement dans le continent. En Inde et au Mexique, des policiers agressent ceux qui enfreignent le confinement instauré. À Maurice, des actes similaires sont à déplorer. Il y a d'abord eu la violence verbale et physique dont ont fait preuve une poignée de policiers, alors que le travail abattu par la majorité d'entre eux est à saluer. Puis sont intervenues les arrestations jugées arbitraires d'internautes et d'hommes de loi.
La réalité des tortures.
Des vidéos de policiers commettant des abus sur des citoyens n'ayant pas respecté le couvre-feu avaient précédé celles de l'arrestation musclée des frères Samrandine, à leur domicile à Résidence Vallijee. Les Samrandine ont, lors de leur arrestation, subi une séance de torture avec entre autres l'usage d'une torche électrique, arme interdite dans l'île. Ils ont été hospitalisés avec plusieurs blessures. Une partie de la séance avait été filmée par la police avant d'être circulée.
"Bien que j'ai travaillé sur plusieurs cas de torture, j'ai vu la vidéo [sur les Samrandine] avec effroi", s'insurge Me Erickson Mooneapillay, président de Dis-Moi (Maurice), ONG engagée dans le respect des droits humains, et avocat des deux hommes. "Ces vidéos viennent confirmer ce que les avocats pénalistes et les défenseurs de droits humains ont toujours maintenu : la torture est une réalité à Maurice. Elle est institutionnalisée depuis l'ère post-indépendance".
De plus, Me Erickson Mooneapillay attire l'attention sur les armes utilisées. "Autre réalité, quoique nouvelle : la présence de torches électriques. Ces armes sont illégales et ne font pas partie de l'arsenal de notre police. Leur présence dans les postes de police est de ce fait troublante. C'est un outil de torture utilisé par les hors-la-loi." Dis-Moi a adressé une correspondance au gouvernement, dénonçant la politique de torture de la police.
Humour contre menaces.
La répression à la liberté d'expression est également pointée du doigt. Notamment avec l'arrestation de Rachna Seenauth, secrétaire de l'ex-présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim. Ce que lui reprochent les autorités ? D'avoir partagé un post humoristique sur le chef du gouvernement, Pravind Jugnauth. Ledit post a été relayé par des centaines d'autres internautes.
L'arrestation jugée arbitraire de Rachna Seenauth est entachée d'autres incohérences, ont souligné ses hommes de loi. D'ailleurs, ces derniers, en se rendant aux Casernes centrales, ont été verbalisés par la police pour violation du couvre-feu sanitaire. Les agissements de la police envers les avocats se rendant auprès de leurs clients ont donné lieu à un houleux procès en Cour suprême.
"La situation actuelle ne peut servir d'excuse pour réduire l'espace démocratique", souligne Alain Ah-Vee, de Lalit. "Nous constatons que certains régimes mettent sous silence les critiques. Ils en profitent pour apporter des lois arbitraires et appliquent la censure. Il ne faut pas que la crise sanitaire devienne un prétexte pour restreindre nos libertés. Nous ne voulons pas nous retrouver avec un système répressif plus puissant à la fin de cette crise".
Dans la foulée ont émergé plusieurs vidéos d'un membre de l'Information and Communication Technologies Authority (ICTA), organe qui régule les publications des média. Proche de Pravind Jugnauth, Kaushik Jadunundun insulte et menace de s'en prendre physiquement à d'autres concitoyens. Ces derniers ont porté plainte contre ce membre du board de l'ICTA. Il a passé une nuit en cellule.
Cette affaire remet une fois de plus en question l'indépendance de l'ICTA. D'autant que, pendant le confinement, l'autorité a émis un ordre de suspension à l'encontre de Top FM. Cette radio indépendante, ayant publié une série de papiers contre les dirigeants du pays, a été ordonnée de suspendre ses activités pour deux jours. Et ce, pour avoir, selon l'ICTA, enfreint le Code of Conduct for Broadcasting Services. Le leader de l'opposition, Arvin Boolell, a condamné ce jugement comme un "gross violation of the freedom of information". L'affaire a été portée en cour.
Démocratie en suspens.
Arvin Boolell réclame en outre la reprise des travaux parlementaires. À l'étranger, des dispositions spéciales ont été prises pour que les députés puissent se réunir. À Maurice, l'Assemblée nationale n'a plus siégé depuis plusieurs semaines. Par ailleurs, le leader du MMM, Paul Bérenger, a relevé que le Speaker, Sooroojdev Phokeer, ne pouvait s'arroger le droit d'ajourner les travaux parlementaires sine die. C'est-à-dire sans annoncer de date pour leur reprise.
"Il faut rouvrir le parlement et donner la priorité aux questions et aux réponses", réclame Alain Ah-Vee. "Le parlement est le seul endroit où le peuple peut faire entendre sa voix. Aujourd'hui, le cabinet ministériel décide de tout. Nous ne pouvons laisser des décisions importantes uniquement entre leurs mains. Nous sommes en faveur de plus de débats".
Pour sa part, bien que favorable à une reprise rapide des travaux parlementaires, l'ancien politicien et observateur politique Dev Virahsawmy émet certaines réserves. "Le parlement doit siéger, mais le confinement et la nécessité de distanciation sociale posent problème. Nous pourrions utiliser la visioconférence, par exemple. Toutefois, il faudrait s'assurer d'avoir les équipements nécessaires et que toutes les précautions soient prises. Je pense que la réouverture du parlement est souhaitable mais pas indispensable."
Dans une allocution à la télévision nationale la semaine dernière, Pravind Jugnauth a indiqué que des dispositions seront prises pour la réouverture du parlement. Quand ? À l'heure où nous mettons sous presse, la question reste sans réponse. L'espace démocratique subit également le confinement.
Dev Virahsawmy : "Danger d'un dérapage"
"Nous constatons que la police a eu davantage de pouvoir. Cela peut entraîner des dérapages et des abus. C'est une violence latente qui, d'un seul coup, est devenue active. Je sens qu'il y a un énorme danger si nous ne faisons pas attention et si nous n'émettons pas les avertissements requis. Je mets en garde les autorités et la population : nous sommes toujours en présence du danger d'un dérapage."
"La police ne peut prétendre enquêter sur la police"
"Nous le disons constamment ; la police ne peut pas prétendre pouvoir enquêter sur la police." C'est ce que relève Me Erickson Mooneapillay au vu de l'avancement de l'enquête initiée contre les policiers ayant participé à l'arrestation musclée des Samrandine. Malgré les déclarations du Commissaire de police, Mario Nobin, et du Premier ministre, un seul policier a été arrêté. Alors que des dizaines d'officiers sont filmées dans les vidéos ayant fuité. "Je ne suis pas surpris. Dès le départ les pistes ont été faussées. On nous a trompés, mentis et trahis. C'est du trompe-l'œil", lance Me Erickson Mooneapillay. Dis-moi (Maurice) préconise l'introduction d'un Police and Criminal Evidence Bill à la première opportunité. "C'est un aveu d'échec de dire que la police n'est pas assez prête pour ce projet de loi. C'est la seule façon de désinstitutionnaliser la torture", conclut-il.
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