Fret Pétrolier : L’ex-Ministre Jeetah dans le Collimateur du CCID

il y a 9 années, 8 mois - 9 Février 2015, Le Mauricien
Fret Pétrolier : L’ex-Ministre Jeetah dans le Collimateur du CCID
Après la résiliation du contrat-jackpot de Rs 10 milliards avec Betamax, les dessous et tractations au niveau du gouvernement entre 2007 et 2009 pour la signature soumis à une enquête au pénal

La résiliation du contrat de fret pétrolier avec un jackpot d’au moins Rs 10 milliards en faveur de la société Betamax du groupe Bhunjun, dont des proches de l’ancien ministre Rajesh Jeetah, ne constitue pas la fin de cette affaire qui a hanté la gestion du pays au cours de ces cinq dernières années. La décision a été prise par le gouvernement en vue de saisir le Central CID de ce scandale de dilapidation des fonds publics avec une enquête au pénal. Dans l’immédiat, MT Red Eagle ayant effectué en début de semaine sa dernière livraison de produits pétroliers, la State Trading Corporation (STC) a dû parer au plus pressé pour assurer l’approvisionnement selon le calendrier préétabli. Toutefois, dès la semaine prochaine, le focus pourrait changer de gear avec le secrétaire permanent au ministère de la Bonne Gouvernance consignant une déposition formelle au Central CID en soumettant tous les dossiers de Betamax en guise de unrebutted evidence d’illégalité et de violation des procédures établies.

Que ce soit à l’Hôtel du gouvernement, en particulier au ministère du Commerce, ou à la STC, l’on se veut rassurant quant au respect du programme de débarquement des produits pétroliers pour satisfaire la demande sur le marché local. Le prochain pétrolier affrété par la STC est attendu à Port-Louis vers les 20-21 février. En fin de semaine, les représentants des oil majors opérant à Maurice ont eu une séance de travail avec les autorités compétentes pour passer en revue le stock de produits avec les compagnies pétrolières se déclarant disposées à collaborer dans la conjoncture maintenant que Betamax a perdu le monopole des importations.

Dès les prochains jours, un nouveau chapitre se déclinera aux Casernes centrales avec le démarrage de l’enquête sur le contrat Betamax. Dans cette perspective, trois principaux protagonistes sont annoncés, dont

  • l’ancien ministre Rajesh Jeetah, qui a piloté le dossier du contrat du pétrolier MT Red Eagle en 2007 et 2008, avant de passer la main à Mahen Gowressoo pour la conclusion des procédures,
  • le secrétaire permanent au ministre des Infrastructures publiques, un dénommé Pather, qui avait signé les correspondances au sujet du contrat Betamax et
  • le secrétaire permanent au ministère du Commerce en 2009, qui avait présidé la réunion du board de la STC du 27 novembre 2009 pour octroyer ce contrat à Betamax.

Ces deux hauts fonctionnaires devront s’attendre à faire face à un véritable barrage de questions des limiers du Central CID au sujet de leurs rôles et responsabilités dans cette affaire. La raison demeure la violation des procédures légales prévues dans la Public Procurement Act. Ils devront justifier pourquoi les appels d’offres n’ont pas obtenu la validation de la Public Procurement Act alors que l’allocation des contrats n’a pas obtenu l’approbation du Central Procurement Board et la signature du contrat nullement en conformité avec la clause 14 (5) de la Public Procurement Act.

De son côté, l’ancien ministre Jeetah sera acculé sur le volet de conflit d’intérêts vu que son épouse est une des principales actionnaires de la société propriétaire du pétrolier MT Red Eagle. En 2007 et 2008, il avait traité ce dossier en tant que ministre du gouvernement responsable du Commerce.

Les fonctionnaires et le ministre seront interrogés sur la pertinence de la décision de privilégier Betamax vu que le contrat avec la STC comprend une «waver of immunity» entre la République de Maurice et Betamax. Cette clause réduit l’État souverain mauricien à une entité commerciale et expose les assets de l’État aux risques de saisie par une compagnie dont les actionnaires sont Mauriciens.

Les différents épisodes de la Betamax Saga, qui sont prévus dans les jours à venir, risquent d’être riches en rebondissements et en passions.

Betamax : Un «timeline» accablant !

  • 26 octobre 2007 : Décision du gouvernement autorisant des compagnies locales à investir dans l’achat d’un pétrolier pour le transport des produits pétroliers pour le marché local.
  • Décembre 2007 : La Chambre de Commerce est sollicitée en vue de dresser une liste de sociétés intéressées dans la réalisation de ce projet.
  • 10 janvier 2008 : Vickram Bhunjun du groupe Bhunjun prend connaissance d’un rapport sur l’acquisition d’un pétrolier lors d’une séance de travail se déroulant au MGI.
  • 4 mars 2008 : le Senior Chief Executive du ministère des Infrastructures publiques, portefeuille détenu par Anil Baichoo, invite Vickram Bhunjun à soumettre une «formal expression of interest» concernant le financement et l’opération d’un pétrolier.
  • 19 décembre 2008 : En dépit des objections du consultant, qui s’appesantit sur l’urgence d’un appel d’offres international, le gouvernement décide en faveur de Betonix et de son associé pour le projet d’acquisition d’un pétrolier avec le contrat s’échelonnant sur quinze ans et des conditions dont deux considérées comme fondamentales. La première est que le prix du transport des produits pétroliers soit basé sur le taux indicatif sur le marché et la seconde que la STC garantirait le contrat uniquement si les taux indicatifs sur le marché sont respectés.
  • 12 janvier 2009 : le Ministry of Public Infrastructure (MPI) adresse une lettre à Vickram Bhunjun avec copie au ministère du Commerce. Trois jours après, le secrétaire permanent du MPI adresse une copie de cette lettre à la STC « for your information and for any action deemed necessary ».
  • 30 mars 2009 : En réponse, Vickram Bhunjun soumet un projet de contrat ainsi qu’un projet d’implementation agreement au gouvernement.
  • 29 avril 2009 : L’Assistant Solicitor General d’alors émet de réserves quant au financement du projet. Les autres objections formulées sont que cette démarche enfreint les dispositions de la Procurement Act en l’absence d’autorisation du Central Procurement Board.
  • 5 mai 2009 : Incorporation d’une compagnie sous le nom de Betonix Holding Ltd avec un seul actionnaire, à savoir FSL One Ltd, comprenant six actionnaires.
  • 6 mai 2009 : Betamax Ltd voit le jour avec pour actionnaires Betonix Holding Limited (84 % des actions). Le même jour, le State Law Office rappelle le MPI réclamant que le contrat soit legally in order. De son côté, réunion du conseil d’administration de la STC pour conclure un contrat avec Betamax. Les deux conditions susmentionnées sont remplacées par un «escalation rate» de 1% les cinq premières années, de 1,5% pour les cinq ans subséquents et de 2% pour les cinq dernières années pour le fret.
  • 29 juin 2009 : Amendement à la Public Procurement Act pour exempter la STC des provisions de cette loi en ce qui concerne «goods purchase for resale».
  • 3 juillet 2009 : Le gouvernement soumet à Betamax un projet de contrat comprenant des changements proposés par le Parquet.
  • 17 juillet 2009 : Betamax rejette catégoriquement ce contrat.
  • 22 juillet 2009 : Directive formelle au président de la STC pour que le contrat soit mis à exécution. Dorénavant, les négociations ne sont engagées exclusivement qu’avec le secrétaire financier d’alors.
  • 30 juillet 2009 : Nouvel amendement à la Procurement Act.
  • 5 août 2009 : Pour la troisième fois, l’Assistant Solicitor General réitère le fait que le contrat n’est pas conforme à la Procurement Act. Le secrétaire financier est informé des raisons pour lesquelles les changements doivent être apportés au contrat.
  • 21 août 2009 : Protestation véhémente du président de la STC devant les pressions exercées, dont la réception par les membres du board d’un contrat la veille pour être avalisé le lendemain.
  • 29 septembre 2009 : Un comité interministériel, comprenant les ministres Duval, Sithanen et Bachoo, décide que la STC doit confier à la firme BDO une évaluation du contrat.
  • 27 octobre 2009 : Un premier rapport est soumis avec des précisions réclamées.
  • 27 novembre 2009 : La STC est en présence d’un nouveau rapport de BDO et aucune objection du ministère des Finances au sujet de la mise en application du contrat. Le secrétaire permanent du ministère du Commerce ordonne au président de convoquer une board meeting pour l’approbation et la signature du contrat. Le conseil d’administration se rencontre en l’absence de la présidente, Vimi Appadoo. La présidence des délibérations est assurée par le chef de Cabinet au Commerce. Presque en même temps, le Conseil des ministres prend note que le contrat a été signé.
  • 8 janvier 2010 : Le Solicitor General précise qu’il ne savait pas que le contrat de Betamax avait été signé.