La beauté des laides - Lamborghini LM002 : le cancre sympathique né d'un accident stylistique, industriel et commercial

il y a 3 années, 1 mois - 19 Mars 2021, caradisiac
La beauté des laides - Lamborghini LM002 : le cancre sympathique né d'un accident stylistique, industriel et commercial
C'est le mauvais élève absolu de l'industrie automobile mondiale. Le 4x4 Lamborghini est le symbole même de la fausse bonne idée. Refusé par l'armée en tenue militaire, il a aussi été rejeté par les clients dans sa version civile.

Trop gros, trop fragile, trop lourd, trop cher, trop laid, l'engin en devient attachant à force d'être méprisé.

Parfois, certains constructeurs s'égarent ou sont tout simplement poursuivis par la malchance, car la création d'une automobile n'est pas une science exacte. Mais l'aventure de Lamborghini et de son 4x4 LM002 mériterait sans contexte la palme d'or du manque de bol, avec une mention particulière, tout de même, pour son brin de malhonnêteté et son absence de flair.

BMW au chevet du taureau de Sant'Agata
Voilà une maison qui, en cette fin des années soixante-dix, souffre comme jamais, crise du pétrole oblige. Comment sauver le soldat Lambo ? Les pertes s'accumulent et l'État italien est appelé à la rescousse. Mais ce dernier ne veut pas être seul à payer. La solution doit venir d'ailleurs et d'un constructeur étranger prêt à investir dans la marque. Car du côté de Fiat, l'autre unique groupe auto italien, la période est également difficile.

 Les émissaires font un tour d'Europe, mais de Sochaux à Boulogne-Billancourt en passant par Wolfsburg et Stuttgart, personne ne veut miser sur le petit fabricant de voitures de sport, aussi prestigieux soit-il.

Mais voilà qu'à Munich, BMW veut bien aider Lamborghini. Non pas en prenant des parts dans l'entreprise, trop risqué, mais en lui sous-traitant un projet. Top là. En plus, l'allemand accepte de verser une confortable avance et le gouvernement italien fait un chèque lui aussi pour sauver la marque de Sant'Agata Bolognese. Tout aurait donc pu reprendre un cours normal. Le constructeur aurait pu tranquillement développer le projet de son client allemand et continuer à produire ses sportives à lui. Mais l'appât du gain est passé par là.

Nous sommes en 1977 et à la direction de la marque italienne, on flaire le coup infaillible, l'une de ces martingales que les entrepreneurs risque-tout adorent. L'affaire a débarqué des États-Unis sur un plateau d'argent. Du tout cuit on vous dit. L'armée US lance un appel d'offres pour un gros 4x4 et serait prête à en commander près de 100 000 exemplaires. Une aubaine pour Lamborghini qui est approché par un bureau d'études américain avec un projet clé en main. Il n'y a plus qu'à le développer.

Ça coûte cher de créer une telle auto ? Qu’à cela ne tienne, les caisses sont pleines, grâce à BMW et à l'argent public. Le projet 001 est lancé avec une bonne idée qui devrait séduire l'Amérique : greffer sur l'engin non pas un moteur italien, mais un bloc Chrysler, un diesel de 180 ch. Sauf que le 4x4 Lambo pèse 2,6 tonnes avant même que le moindre GI ne prenne place à bord. Les généraux US sont consternés, et la direction de Lambo repart en Italie avec son monstre sur les bras. C'est finalement le très américain Humvee d'AM General qui est choisi, qui deviendra le Hummer H1 un peu plus tard.

Le militaire se civilise
En rentrant au pays, les initiateurs du projet font profil bas, car les ennuis s'accumulent. BMW demande des comptes, et c'est encore une fois l'État italien qui va effacer l'ardoise ; on ne saurait laisser couler un monument national.

À Sant'Agata on est fauché, mais on a des idées. Pourquoi ne pas utiliser les plans du concept LM001 en les modifiant pour créer un engin civil ? Les 4x4 sont à la mode, le Dakar attire les téléspectateurs sur leur canapé, les people dans les baquets et les sponsors sur les portières. c'est le moment idéal pour proposer un engin de ce type, mais avec la griffe Lamborghini. Son nom ? LM002 évidemment. Son moteur ? Un V12, celui de la Countach, forcément. Avec ses 450 ch, aucun problème pour arracher la lourde voiture. Il consomme 30 l/100 km, voir 50 l en off road ? Il suffit de lui coller un réservoir de 169 litres et tant pis si un plein coûte 250 euros.

C'est donc en toute confiance que l'engin est présenté en 1986 au salon de Bruxelles avec ses 4,80 m de long, ses 210 km/h de pointe et son 0 à 100 km/h en moins de 8 secondes. Le design est brutal, mais peu importe, l'engin impressionne la foule et la presse. Et les clients ? Zut, chez Lambo on a oublié ce léger détail : fabriquer une auto c'est bien, la vendre c'est mieux.

Qui pourrait bien acheter un truc pareil ? D'autant que pour se l'offrir, il faut débourser 1 million de francs. C'est beaucoup pour un monstre de 2 mètres de large, qui envoie ses nombreux chevaux sur le train arrière et pèse 2,7 tonnes dans cette version civile, ce qui l'exclut d'emblée d'un usage quotidien. Du coup, la clientèle habituelle de Lamborghini fait la moue et ne sort pas ses sous. Seuls 328 exemplaires vont voir le jour entre 1986 et 1993, soit un seul véhicule par jour ouvré. Pas vraiment de quoi rentabiliser une chaîne de production. Ces rares clients sont principalement de richissimes émirs qui trouvent dans leur voisinage désertique de quoi défouler les pneus de leur LM002.

Un géant aux pieds d'argile
Sauf que même les fortunes du Golfe n'ont pas toutes craqué pour le gros 4x4, lui préférant des Mercedes Classe G et de gros engins américains. Car le Lamborghini est capricieux. Il fait les gros bras, mais c'est une diva. Son moteur et ses six carburateurs double corps réclament un entretien et une attention de tous les instants. En plus, ce géant aux pieds d'argile et d'aluminium a des pneus fabriqués tout spécialement pour lui.  En clair : ils sont hors de prix et plutôt introuvables. Tous ces défauts et tant d'autres encore, comme l'odeur d'essence persistante dans l'habitacle liée au mauvais emplacement du réservoir, finissent par rendre le Lambo sympathique. Il est auréolé du prestige du cancre qui a échoué à tous ses examens, puisqu'il a même été réformé en voulant entrer à l'armée.