On a testé le pneu sans air : révolution ou fausse bonne idée ?

il y a 2 années, 4 mois - 3 Août 2022, automobile-magazine
On a testé le pneu sans air : révolution ou fausse bonne idée ?
Imaginez un pneu sans entretien ni risque de crevaison. Le rêve pour beaucoup ! Cette technologie existe déjà, mais cela ne veut pas dire qu'elle est adaptée à nos voitures. Démonstration avec un prototype Goodyear.

On a tendance à l'oublier, mais les pneumatiques sont essentiels pour notre sécurité car ils sont les seuls points de contact entre une voiture et la route. Ces composés de gomme, qui représentent au sol tout juste la surface de quatre mains, doivent donc être régulièrement entretenus, au grand dam des conducteurs et conductrices. Qui n’a jamais râlé de se salir les mains quand il faut dévisser un bouchon de valve souillé ? Ou pesté contre ce gonfleur de station-service aux indications aléatoires, quand il n’est pas en panne ? Sans oublier ceux qui ont eu la douloureuse expérience d’une crevaison, laquelle arrive toujours quand il ne faut pas et entraîne parfois le couteux remplacement des deux pneus de l’essieu ! Pas étonnant que tous les manufacturiers (Michelin, Bridgestone, Continental, Goodyear…) travaillent donc d'arrache-pied à concevoir un pneu increvable, bien que l'on attende toujours de le voir arriver sur le marché.

Une structure faite de lamelles en composite
En exclusivité, Goodyear nous a convié à essayer sur son circuit du Luxembourg sa technologie baptisée de façon provisoire NPT (Non Pneumatic Tyre), soit « pneu non pneumatique » puisqu’il ne comporte pas d’air. Comme vous pouvez le voir sur les images, ce pneu est creux, sans flancs, permettant de voir ce qui remplace l’air pour supporter la charge verticale que constitue le poids de la voiture. Comme tous les autres fabricants de pneus, Goodyear utilise des lamelles en matériaux composite plus ou moins rigides, lesquelles sont installées en biais et entrecroisées pour à la fois supporter le poids et assurer un minimum de confort en absorbant les défauts de la route. La roue est donc composée d’une jante autour de laquelle est collé cette entretoise composée des lamelles porteuses, puis d’une bande de roulement, elle aussi collée et chargée d’assurer le contact avec l’asphalte. Michael Rachita, le directeur de projet américain de ce pneu sans air me précise, juste avant que je prenne le volant, que des essais d’endurance ont été faits sur plusieurs milliers de kilomètres pour vérifier le bon vieillissement de ces organes ainsi que de leur collage. Le tout avec des phases longues de 24h non-stop à 120 km/h, puis des phases d’une heure et demie, à 140 km/h, 150 km/h et 160 km/h.

Incomparable avec un pneu classique
A l’arrêt, on voit bien une certaine flexion des lamelles au point de contact avec la route, signe d’une certaine souplesse, comme c’est le cas avec un pneu classique. Mais dès les premiers mètres de roulage, les différences avec un pneu à air apparaissent. D’abord des bruits de roulement très élevés, et des vibrations importantes dépendantes de la vitesse. En fait, bien qu’installées en biais, les lamelles agissent comme autant de rayons assez rigides, qui retransmettent plus qu’ils ne filtrent le contact de la bande de roulement avec la route. Et pour que ce NPT ne se couche trop sous les efforts latéraux en virage (il n’y a pas de flanc pour contenir sa déformation en courbe) il est extrêmement raide en transversal. Cela se traduit par une direction extrêmement incisive et fait instantanément changer de direction, comme sur une voiture de course, mais seulement dans un premier temps. Car ensuite, l’extrême rigidité latérale de ce pneu fait qu’il travaille mal au sol, ou du moins beaucoup moins bien qu’un pneu gonflé qui se déforme, épouse le bitume, et va chercher l’adhérence en virage. Résultat, ce pneu sans air manque finalement de grip en courbe, au point de donner l’impression de rouler sous la pluie alors que la piste est parfaitement sèche. Et puis il perd l’adhérence brusquement, sans aucune progressivité, ce qui n’est pas vraiment rassurant, et le sera encore moins sur une chaussée mouillée.

Petit problème de poids
Bruits de roulement, fortes vibrations, et adhérence réellement décevante sont des points sur lesquels cette technologie ne semble donc pas du tout en mesure de remplacer de sitôt les pneus classiques. Et c’est sans compter d’autres caractéristiques qui ne jouent pas en faveur des pneus sans air : en discutant avec des ingénieurs du projet, nous avons appris que la masse d’une telle roue est presque 50% plus élevée que celle d’une roue complète classique. Même si des progrès sont attendus pour la prochaine évolution, cette technologie devrait encore rester environ 30% plus lourde concernant les masses non suspendues, lesquelles compliquent les réglages de suspension, et dégradent autant le confort que l’efficacité sur route dégradée. Autre souci majeur, la résistance au roulement du pneu sans air, déformation des lamelles oblige, est à peu près deux fois plus élevée que celle d’un pneu classique. Totalement inacceptable de nos jours, tant les consommations sont impactées par ce critère. Enfin, le coût de ce NPT est sensiblement supérieur à celui de nos pneus actuels.

D'autres secteurs peuvent en profiter
Vous l’aurez compris, ce pneu increvable et sans entretien restera encore pour longtemps un fantasme d’automobiliste. D’ailleurs, Michael Rachita confirme que cette technologie est déjà commercialisée sur des engins de levage (chariots élévateurs…), de génie civil, ou pour des engins de mines. Viable, car se sont des véhicules roulant à faible vitesse sur des sols potentiellement agressifs, et transportant de fortes charges. L'objectif avoué n'est pas de cibler les voitures particulières mais plutôt de viser, à l’horizon 2030, des flottes opérant sur de courtes distances (bus, camion de livraison du dernier kilomètre, robots-taxis, nouvelles mobilités en libre-usage…) aux exigences de confort et efficacité moindres, mais ayant besoin de s’affranchir totalement de la maintenance des pneumatiques. Plus improbable mais pas moins intéressant, Goodyear travaille aussi sur une version de son pneu sans air qui sera utilisé pour le projet Artemis de la Nasa, sur la lune ! La conception de ce véhicule lunaire est menée en partenariat avec Lockheed Martin. Mais si l'espace peut convenir à ces pneus nouvelles génération, il n'est décidemment pas facile de remplacer l’air par quelque chose d’aussi léger, gratuit, silencieux et élastique une fois de retour sur terre !