«Pecho», chauffeur de taxi, véhicule ses valeurs

il y a 6 mois, 4 semaines - 20 Mai 2024, lexpress.mu
«Pecho», chauffeur de taxi, véhicule ses valeurs
Il affiche un sourire chaleureux et beaucoup d’humilité en relatant son parcours.

Ce chauffeur de taxi n’a pas connu une vie riche en possessions matérielles. Mais il est certes riche de valeurs, auxquelles il tient encore aujourd’hui.

Il est connu comme Pecho par la majorité des gens. «Lorsque j’étais enfant, mon père avait l’habitude de me taquiner en disant ‘to enn peto twa’. Cela s’est finalement transformé en Pecho. Depuis, tout le monde me connaît sous ce surnom», dit-il avec humour. Issu d’une famille très modeste installée à Plaine-Verte, le père d’Abdul Katib Kaufid était planteur et sa mère femme au foyer. «J’étais le troisième de six enfants, mon père voulait m’envoyer à l’école, mais je voyais bien à l’époque qu’il avait déjà des difficultés à réunir l’argent nécessaire à la scolarité de mes autres frères et sœurs. J’ai décidé de mon propre gré de travailler pour alléger son fardeau.»

À 13 ans, il commence par laver les voitures des autres. «J’ai fait cela pendant environ trois ans. En parallèle, je profitais pour apprendre à conduire, car je voulais devenir chauffeur de taxi et gagner ma vie.» Sa situation financière ne lui permettant pas de s’acheter un véhicule à l›époque, «je louais des voitures auprès de personnes que je connaissais et j’effectuais ensuite des trajets comme chauffeur pour gagner ma vie», avoue-t-il.

Son travail le conduira également à rencontrer Rosida, qu’il épousera et avec qui il fondera sa famille. «Un jour, alors que j’effectuais un trajet, je me suis rendu à un arrêt de bus où plusieurs personnes patientaient, dans l’espoir d’obtenir des sièges à bord des bus déjà bondés, mais en vain. Un groupe de quatre personnes m’a demandé si je pouvais effectuer un trajet pour eux chaque jour pendant une semaine, car cela leur convenait mieux et j’ai accepté. Elle était l’une des quatre à monter à bord de la voiture et je suis tombé amoureux d’elle. Je l’ai épousée à 27 ans.» Le couple aura deux enfants, Nawsheen et Nabiil.

Peu à peu, il réalisera des progrès financiers. Pecho a aussi exercé comme receveur à United Bus Service pendant 33 ans, avant de se reconvertir en chauffeur de taxi avec sa propre voiture. Si, en tant qu’homme, il pouvait compter sur le soutien de son épouse, en tant que père, il lui importait surtout d’offrir à ses enfants l’éducation académique qu’il n’avait pas pu avoir. En période de difficulté, il avait recours à la prière, la foi et la spiritualité pour retrouver la force. Valeurs qu’il a transmises à ses enfants. «Ma fille a poursuivi ses études ici et mon fils a décroché une bourse pour étudier le droit en Angleterre (...) J’ai fait de mon mieux pour économiser afin de répondre à leurs besoins et les soutenir dans leur éducation.»

Aujourd’hui âgé de 65 ans, Abdul Katib Kaufid se dit «fier et heureux père de famille». Sa fille Nawsheen est une professionnelle et mère de deux enfants. Son fils Nabiil est un avocat réputé. «Mon épouse reste ma bénédiction (...) Je me souviens qu’un jour, alors que je travaillais, je ressentais la faim et je n’avais que cinq roupies en poche. Je me suis arrêté devant un petit étal pour acheter enn ti dipin gato brinzel. Parfois les gens montaient à bord de mon taxi et me demandaient de s’arrêter à un endroit sous prétexte de rencontrer un ami. Ils partaient sans payer (...) Mais ces sacrifices ont porté leurs fruits.»

Compte-t-il ‘raccrocher’ le volant bientôt ? «Non, car j’ai encore de la force, l’espoir et le courage de continuer à soutenir ma famille et d’enseigner à mes petits-enfants les valeurs de la vie en étant au service des autres.» Pecho apporte également son aide à la communauté en distribuant des colis alimentaires aux plus démunis pendant le mois du ramadan. «J’ai pris la relève de mon père et cela fait 38 ans que je me consacre à cette activité avec une équipe de personnes généreuses. L’éducation est indispensable pour une société meilleure. Elle n’englobe pas seulement l’apprentissage académique, mais aussi les valeurs humaines qui sont tout aussi importantes.»