Policier «toxicomane»: «Toute vérité n’est pas bonne à dire», confient les Hazemoth

il y a 6 années, 2 mois - 25 Septembre 2018, lexpress.mu
Policier «toxicomane»: «Toute vérité n’est pas bonne à dire», confient les Hazemoth
Ils voulaient jouer les héros, ne serait-ce que pour un jour. Mais ils se sont retrouvés au banc des accusés.

Niroy et Nicolas Hazemoth, âgés de 30 et 20 ans, ont été interpellés, lundi, pour le vol d'une matraque, d'un képi et d'un gilet appartenant à Srinesh Boochia, un policier. Ce, après qu'ils l'ont filmé dans un état second, aussi au volant d'une voiture. L'express a rencontré les deux frères chez eux, à La Valette, Bambous, après leur libération, hier vendredi 21 septembre. Récit.

Niroy et Nicolas Hazemoth, n'oublieront pas de si tôt cette semaine cauchemardesque qu'ils ont vécue. Un épisode qui leur fait dire que «toute vérité n'est pas bonne à dire...»

Comment se sentent-ils après avoir passé quelques nuits derrière les barreaux ? Sourire aux lèvres, Niroy Hazemoth répond : «Cette bouffée a une nouvelle saveur. Celle de la liberté», dit-il, en tirant sur sa cigarette.

Son épouse, Aurélie Victor, ne le quitte pas du regard. Elle aussi a très mal vécu cette semaine. Le trentenaire, qui a célébré son anniversaire au cours de ce mois, fait le récit de l'incident qui leur a valu à tous d'eux bien des ennuis.

«Dimanche dernier, nous sommes sortis entre amis pour aller à Médine, près du bassin où beaucoup de gens partent pêcher.» Et d'expliquer qu'à un moment, ils ont aperçu une voiture qui roulait à reculons, au beau milieu de la route.

«J'ai klaxonné pour essayer de mettre le propriétaire en garde. Mais rien à faire. Finalement sa voiture est entrée en collision avec la mienne» , affirme Niroy Hazemoth.

Le trentenaire décide de s'enquérir auprès du conducteur. Arrivé à sa hauteur, il constate que l'homme était en plein sommeil au volant de la voiture. «Quand il s'est réveillé, j'ai réalisé qu'il ne pouvait conduire : il a essayé de démarrer sans toutefois y parvenir.» Niroy Hazemoth soutient qu'il a tenté de lui prendre les clés de contact. «Mais il a effectué une manoeuvre et a failli m'écraser si je ne m'étais pas reculé.»

«J'avais peur...»

Srinesh Boochia aurait roulé une centaine de mètres avant de s'arrêter sous un arbre. Il se trouvait alors à Chemin-Moulin, Médine. Niroy Hazemoth et les siens l'ont suivi car ils craignaient pour la sécurité de l'homme, fait-il ressortir.

«Nous avons tenté de le raisonner afin qu'il ne reprenne pas le volantdans l'état où il se trouvait. Je lui aipris son képi et un gilet, pensant que cela allait le faire rester sur place. C'est à ce moment que je l'ai vu prendre quelque chose et le mettre dans la bouche. Je lui ai également suggéré de se rendre à la police. Mais il a démarré avec l'une des portières ouvertes et il a disparu.»

Niroy Hazemoth avance qu'à cet instant il voulait continuer à suivre le policier. «J'avais peur qu'il renverse quelqu'un. Mais au final, on a décidé de retourner à la maison.»

Par la suite, il est allé au poste de police de Bambous pour y déposer les effets de Srinesh Boochia, la vidéo de l'incident et pour raconter toute l'histoire. Quid de la matraque du policier ? «Je ne savais pas qu'elle se trouvait également dans ma voiture. C'est mon frère qui l'avait prise pour la remettre au poste de police.» De souligner que lundi matin, il est allé la déposer comme prévu.

Sur place, les policiers de Bambous lui ont demandé de ne pas diffuser la vidéo sur les réseaux sociaux. Mais depuis, cette vidéo a provoqué le buzz sur Facebook.

Ce même jour, les limiers l'auraient intimé de se rendre au poste de police. Il ne se doutait pas qu'il y aurait un revirement de situation : «Ils m'ont mis les menottes, m'accusant d'avoir tenté de voler le policier en question... que je l'avais suivi parce que j'avais de mauvaises intentions... Mais pensez-vous que j'allais voler ces objets ? Pour en faire quoi par la suite ?»

Nicolas Hazemoth a, lui, été sommé de se rendre au poste de police mardi matin. Et s'est retrouvé également avec des menottes aux poignets. Les limiers lui auraient informé que leur collègue a fait une déposition contre eux. «C'est incompréhensible. Allions-nous voler des objets pour, par la suite, les remettre au poste de police ?»

En tout cas, les deux frères ne comptent pas baisser les bras. Ils veulent que justice leur soit rendue. Ils affirment qu'ils feront tout pour se disculper...

Me Irvin Collendavelloo: «Il faut saluer leur courage»

Ils étaient loin d'être seuls hier. Les frères Hazemoth ont comparu en cour de district de Rivière-Noire. Et leurs proches ont tenu à leur apporter leur soutien. Idem pour leurs avocats. Notamment Me Irvin Collendavelloo qui souligne : «Je salue le courage des deux frères qui n'ont pas hésité à dénoncer une affaire qu'ils n'ont pas trouvée correcte.»

Nicolas et Niroy Hazemoth, qui répondent d'une charge provisoire de larceny by two or more, ont comparu devant la magistrate Reshma Sewpaul Ramdhur. Ils ont retrouvé la liberté conditionnelle contre une caution de Rs 5 000 et une reconnaissance de dette de Rs 15 000.

Ils étaient environ une dizaine de membres de la famille Hazemoth à avoir attendu pendant plus de deux heures avant que Nicolas et Niroy n'arrivent dans le 4 x 4 des limiers de la Criminal Investigation Division de Bambous.

Christine Hazemoth ne croyait pas ses yeux lorsqu'elle a aperçu son fils, Niroy, menotté et des chaînes aux pieds. Les mots fusent de partout : «Vol zanfan, viol zanfan, ou swa touy zanfan, lapolis pa ansenn dimounn kumsa...» entendon, ou encore, «kan remet lapolis lor ray gagn sa kalité trétman-la. Zot pa mérit sa».

À l'issue de la comparution des «suspects», Me Irvin Collendavelloo a expliqué qu'une motion a été présentée pour la remise en liberté de ses clients. «Je suis satisfait de la justice et le bon sens a prévalu dans cette affaire», a-t-il avancé. «La famille Hazemoth est passée par un moment difficile cette semaine (...) Avec davantage de personnes, comme ces deux frères, notre société sera meilleure. Je lance un appel aux citoyens pour oeuvrer ensemble afin de combattre le fléau de la drogue.»

Me Nirmal Busgopaul qui représente aussi les Hazemoth a, pour sapart, fait ressortir que les frères repasseront en cour le 10 octobre. «Nous attendrons que la police fasse son enquête car il y a des procédures à suivre dans cette affaire et nous prendrons une décision.» Il tient à ajouter : «Je n'ai pas aimé le fait que mon client est apparu enchaîné, tel un criminel.»

De son côté, Niroy Hazemoth a remercié ses avocats pour ce dénouement. «Je ne croyais pas que je sortirai en liberté. Mo inosan dan sa zafer-la é sa sarg kinn mett kont mwa, li foss.»

Poursuivant, Niroy Hazemoth a déclaré : «Je suis fier d'avoir dénoncé ce genre de chose. Mo pansé sa vidéola zot tout in gété... Si mo pa ti aret suiv lapolis-la, li ti kapav fer plis déga dan léta ki li ti été.»

Niroy et Nicolas Hazemoth devront se présenter au poste de police tous les samedis entre 06 h 00 et 18 h 00.

Niroy Hazemoth était détenu en cellule depuis le lundi 17 septembre. Nicolas Hazemoth depuis le mardi 18 septembre.

Deux autres interpellations

Adel et Ludovic Victor ont été interpellés afin qu'ils fassent une déposition, au poste de police de Bambous. Ils sont les beaux-frères de Niroy Hazemoth et étaient en compagnie des «suspects» lors de leur partie de pêche, le dimanche 16 septembre.

Srinesh Boochia «surveillé» par l'ADSU

«Nou péna repros pour fer lor li.» Ce sont les mots de ceux qui ont côtoyé Srinesh Boochia ces derniers temps. Pourtant c'est lui qu'on voit sur la vidéo qui fait le buzz sur les réseaux sociaux. Ce policier est actuellement surveillé par l'Anti-Drug and Smuggling Unit. Mais qui est-il ?

Srinesh Boochia, 31ans, a rejoint la force policière en 2007. Il habite dans un village de l'Ouest.

Pendant un moment, le constable a été affecté à la brigade antidrogue. Or, ses collègues auraient appris qu'il était tombé dans la drogue. Il a été transféré au poste de police des Line Barracks, il y a quelques mois.

Mais certains affirment que le trentenaire est «très sérieux» dans son travail. «Zamé li rant travay sou ou dan enn léta ségon, dit-on. Nous n'avons rien à lui reprocher. Nous ne comprenons pas ce qui s'est passé.»

Selon nos informations, la publication de cette vidéo aurait pour origine un problème d'argent. Le policier n'aurait pas payé l'un des frères Hazemoth, qui est connu des services de police, pour une transaction.

Par ailleurs, nous apprenons que le jour où le constable Srinesh Boochia a été filmé, il n'était pas de service. Ce, même s'il portait l'uniforme.

Nous avons tenté de prendre contact avec le policier sur son portable. Mais il est resté injoignable.

Une seule déposition faite ?

Que dit la police sur cette affaire ? Sollicité pour une réaction, le Police Press Office a laissé entendre qu'aucune déclaration n'a été faite au poste de police de Bambous depuis la semaine dernière sur un policier ayant été sous l'influence de «substance illicite». Par contre, faiton ressortir au Police Press Office, un limier y a fait une déposition... Ce, pour vol de képi, gilet et matraque.

La mère : «Où se trouve le coupable ?»

Les jours et les heures lui ont paru bien longs. Christine Hazemoth (photo) n'a toutefois pas perdu courage dans sa quête pour la justice.

«C'était quand même un cauchemar de voir mes deux enfants en détention alors qu'ils ne sont pas coupables.»

Selon elle, la pilule aurait été plus facile à avaler si ses fils avaient été fautifs. «Mais ce n'est pas le cas», martèle-t-elle.

Elle ne cesse de se poser une question : «Où se trouve le coupable ? Jusqu'à présent, on n'entend rien. Est-il protégé par certains de ces collègues ? E mo bann zanfan bann tidimounn, donk kapav fer sé ki zot lé ar zot.»

Christine Hazemoth souligne que le gouvernement a, à maintes reprises, demandé le soutien de la population dans sa lutte contre «les substances illicites». «Mais quand vous les aidez, regardez le résultat

Comme ses fils, elle tient à obtenir justice. «J'espère que les autorités feront la lumière sur cette affaire.» Et elle y croit dur comme fer...

L'épouse de Niroy : «Que dire aux enfants ?»

Tout au long de notre entretien avec son époux, Niroy Hazemoth, elle ne l'a pas quitté des yeux. Aurélie Victor confie qu'elle a poussé un «ouf» de soulagement lorsque son mari a franchi la porte.

L'absence de son mari a été tout aussi difficile car ses deux enfants ne cessaient de lui demander où se trouvait leur père. «Dès le réveil, mon fils a réclamé son papa. »

Elle leur a notamment dit que Niroy se trouvait au travail. «À court d'idées, je ne savais plus quoi répondre...»

Pour sa part, tout au long de cette épreuve, la jeune femme n'arrivait pas à s'alimenter ni à dormir. «Je me demandais ce que mon époux faisait et surtout quand ce cauchemar allait cesser. »

Pour cette habitante de Bambous, le plus douloureux a été l'arrivée de son époux en cour de district de Rivière-Noire. «Il avait des menottes aux poignets et une chaîne aux pieds. On aurait dit un criminel. Je me suis sentie mal.»