Pollution : À Maurice, l’air n’est pas si frais

il y a 5 années, 3 mois - 22 Septembre 2019, Le Mauricien
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Maurice a souvent été citée en exemple lorsqu’il s’agit de la bonne qualité de l’air. Deuxième au monde en 2011 selon une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé, le pays est resté en haut du tableau africain les années suivantes.

Mais à l’aube de la Journée mondiale de la qualité de l’air, cette réputation ne reflète pas tout à fait la réalité actuelle. Quand on se balade dans les villes et qu’on est bombardé par les grosses émissions de fumée émanant des véhicules, on peut s’imaginer que la qualité de l’air n’est pas aussi bonne qu’on veut bien nous le faire croire.

La Journée mondiale de la qualité de l’air sera marquée dans le monde le mercredi 18 septembre. Si l’on se base sur les études de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Maurice est un très bon élève en la matière. En 2011, elle était deuxième mondiale sur la liste des pays avec la meilleure qualité de l’air. En 2017, Maurice faisait partie des cinq premiers sur la liste en Afrique, gage de la bonne santé de notre atmosphère. Paradoxalement, en 2016, Beau Bassin/Rose-Hill était classée parmi les 500 villes les plus polluées au monde. À l’heure où nous mettions sous presse, le seul chiffre que nous avons pu obtenir du ministère de l’Environnement évoque une moyenne de 11,52 ug-m3 pour le mois de décembre 2018. Ce qui est inférieur aux 100 ug-m3, considéré comme le taux acceptable. Une situation qui démontre bien que les classements prennent en compte les moyennes. Quid des personnes qui vivent dans les villes au beau milieu de la pollution ?

L’arbre qui cache la forêt.

Thierry Lebreton affirme que l’on peut s’interroger sur ces classements sur la qualité de l’air, où Maurice est plébiscitée. “C’est vrai que d’une manière générale, nous avons tout à Maurice pour nous réjouir sur ce plan. Nous sommes une île au milieu d’un océan de l’hémisphère sud, à l’écart des grands centres de pollution, et balayée par des alizés qui garantissent le renouvellement de l’air que nous respirons. Mais c’est aussi un peu la limite de ce type de classement. Car de quel air parlons-nous ici ? Cherchons-nous à évaluer des enjeux liés à la couche d’ozone; ou les émissions de gaz à effet de serre associés au changement climatique; ou encore les enjeux de pollution qui sont de nature à affecter la santé publique ? On ne considère ici que les enjeux sanitaires. Et là encore, parle-t-on de l’air intérieur ? De l’air extérieur ? De l’air extérieur en ville ou au sommet du Trou aux Cerfs ? Ce type d’études a tendance à établir des moyennes pour un pays en prenant les mesures en extérieur, dans des lieux où on a une bonne circulation d’air. Il ne faut donc pas que la bonne note de l’OMS devienne l’arbre qui cache la forêt ou encore qu’elle soit interprétée comme un permis à polluer davantage.”

L’un des principaux pollueurs de l’air se retrouve sur la route. Avec un parc automobile de plus de 500,000 véhicules, chiffre qui ne cesse de croître et qui entraîne avec elle son lot d’émanation de CO2, la qualité de l’air que l’on respire ne peut que se détériorer. Avec l’opération des centrales thermiques utilisant du fioul lourd pour produire de l’électricité, il ne fait aucun doute que notre atmosphère est très polluée.

Épaisses fumées noires.

Avec la lente transition vers les énergies propres et les initiatives écologiques comme les véhicules électriques, qui sont toujours très timides, doit-on s’étonner que la qualité de l’air que nous respirons quotidiennement ne soit guère à un niveau acceptable ? Il suffit de passer un moment dans la circulation pour se rendre compte de la quantité de fumée qui se dégage des véhicules, notamment des autobus. Les épaisses fumées noires ne sont pas gage de la bonne santé de notre atmosphère. “Il y a eu des efforts dans le dernier Budget pour encourager les véhicules hybrides. Mais les mesures se font encore trop de manière piece meal. Il est difficile de voir une trame cohérente dans la politique nationale sur cet enjeu. Sur la décentralisation de la production énergétique, les choses restent encore très crispées. Les attentes envers le CEB restent encore grandes pour permettre à davantage de producteurs indépendants ou individuels de s’installer. On attend maintenant de voir ce que l’Utility Regulation Authority, nouvellement créée, permettra d’achieve”, explique Thierry Lebreton.

On montre souvent du doigt la mauvaise qualité des carburants que nous utilisons, ce qui peut être un facteur à prendre en compte. À Maurice, nous utilisons toujours des carburants aux normes antipollution euro 4, alors qu’en Europe, on en est à euro 6. Une différence qui pèse lourd dans la balance. “La qualité de nos carburants laisse à désirer. On préfère s’approvisionner en carburant bon marché plutôt que de se tourner vers un qui aura moins d’impact sur l’environnement”, confie Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement.

Facteurs aggravants.

Il ne faut pas non plus négliger les problèmes liés au fitness des véhicules. Certains véhicules qu’on voit quotidiennement sur nos routes ne donnent pas l’impression d’être aptes à rouler. “Ça peut être la qualité du pot d’échappement, l’âge du véhicule ou encore la vitesse à laquelle nous roulons. Ce sont des facteurs aggravants. Ce qu’il faut surtout prendre en compte, c’est l’accumulation des polluants dans les milieux récepteurs, c’est-à-dire la qualité de l’air là où se trouvent les gens qui respirent; indépendamment de savoir si le carburant est bon ou mauvais”, souligne Thierry Lebreton.

Mais le transport n’est pas le seul coupable. La production électrique à base d’huile lourde joue également un rôle dans la mauvaise qualité de notre air. Alors que le passage aux énergies renouvelables poursuit sa lente progression, les centrales thermiques continuent de rendre l’air moins respirable. En 2015, le programme des Nations unies pour l’environnement affirmait que le fioul était la principale cause de pollution à Maurice. Sur ce point, une étude de l’Organisation mondiale de la Santé, publiée en 2011, montre que sur la ville de Port-Louis, le point de contrôle le plus proche de la centrale électrique présentait des taux de particules fines six fois supérieurs à ceux relevés dans le centre-ville.

Vassen Kauppaymuthoo affirme que le halo orange qu’on peut voir parfois sur le port, surtout le matin, vient de la centrale de Fort William. “Il s’agit de dioxyde de soufre qui se combine avec l’humidité. Cela peut provoquer, entre autres dégâts, des pluies acides. La Mauritius Ports Authority, qui est responsable du contrôle du port, devrait prendre des sanctions.”

En pole position des dix pires menaces

Cet air hautement pollué que nous respirons est responsable de plusieurs problèmes de santé. Les statistiques du ministère de la Santé démontrent que l’indice de mortalité lié à des maladies respiratoires a augmenté de 60% en dix ans. Le nombre de décès liés au cancer a connu une hausse de 50% sur la même période, relève Thierry Lebreton, militant écologiste. “On sait aujourd’hui à quel point l’environnement dans lequel nous évoluons est un facteur important dans le déclenchement d’un cancer.”

Nous sommes face à un phénomène qui ne peut être négligé. D’ailleurs, l’OMS a tiré la sonnette d’alarme cette année. Elle révèle que neuf personnes sur dix respirent quotidiennement de l’air pollué. Elle place la pollution de l’air en pole position des dix pires menaces pour le monde en 2019, devant le changement climatique, la dengue ou la résistance aux antibiotiques. Les micropolluants dans l’air ambiant pénètrent dans les systèmes respiratoire et circulatoire, affectant les poumons, le cœur et le cerveau. On estime que les cancers, accidents vasculaires cérébraux, cardiopathies et pneumopathies liés à cette pollution provoquent 7 millions de décès annuels prématurés. En diminuant les niveaux de pollution atmosphérique, les pays peuvent réduire la charge de morbidité imputable aux accidents vasculaires cérébraux, aux cardiopathies, au cancer du poumon et aux affections respiratoires, chroniques ou aiguës, y compris l’asthme.

Pollution à l’intérieur des habitations

En sus de la pollution en extérieur, il ne faut pas oublier celle qui touche l’intérieur des habitations. Les produits chimiques que nous utilisons pour le nettoyage sont tout aussi polluants. “On y pense moins, mais les indices de qualité de l’air à l’intérieur sont souvent pires que l’air du dehors. C’est dans cet environnement-là qu’il faut chercher en priorité des facteurs aggravants pour notre santé. Il est important de réaliser à quel point nos intérieurs sont remplis de pollution chimique. Quand on nettoie la maison avec des détergents ou quand on utilise des désodorisants, beaucoup de ces produits libèrent des molécules chimiques qui sont nocives à notre santé. Même chose lorsqu’on utilise des moquettes ignifugées avec des molécules bromées ou d’autres produits chimiques permettant la facilitation du nettoyage ou servant de retardateur d’incendie. Ces produits sont libérés dans l’air intérieur de la maison tout au long de la durée de vie de la moquette. On peut penser également aux colles utilisées dans les mélamines et meubles préfabriqués. N’oublions pas que cet air reste bloqué à l’intérieur de nos bureaux fermés, avec une climatisation qui marche toute la journée”, souligne Thierry Lebreton.