Elle a un empattement différent à droite et à gauche : il est 4 cm plus court d’un côté que de l’autre. Elle, c’est la “Quatrelle”, que l’on connaît tous, dont on parle tous, mais sur laquelle on ne sait rien…
Tout a pourtant été dit sur cette grand-mère qui, du haut de ses soixante balais, compte parmi les modèles les plus importants du patrimoine automobile mondial.
Pour autant, beaucoup d’interrogations demeurent à son sujet ; que signifie le “L” de 4L ? ; combien de séries spéciales ont été produites ? ; qui l’a dessinée ? Pas de réponse.
A l’époque, personne n’a clairement revendiqué ce modèle ; le “département du design” n’était pas encore une notion très claire, et les lignes de la 4L n’étaient pas au cœur des préoccupations.
Côté production, le nombre de châssis produits était connu, mais pas ce qu’on avait positionné dessus : aucun registre ne permet par exemple de savoir précisément combien de modèles Plein Air ont été fabriqués.
Enfin, personne aujourd’hui n’est capable, avec assurance, de préciser si le “L” de 4L (il s’agissait dans un premier temps d’une version plus haut de gamme que la Renault 4) signifiait Luxe ou Limousine.
Ce dont tout le monde a conscience, en revanche, c’est que cette R4, officiellement dénommée Renault 4 à partir de 1965, a rencontré un succès incroyable.
8 135 424 modèles sont sortis d’usines situées dans 28 pays, dont la France, la Belgique, la Yougoslavie, l’Algérie, le Ghana, l’Australie ou la Colombie, où la “Quatrelle” est considérée comme une voiture nationale…
La Renault a été beaucoup plus produite que la Citroën 2CV (5,1 millions d’unités), l’autre icône tricolore.
Mais, alors que la “Deudeuche” a été étudiée dans les années 30, à une époque où la France est un pays rural, la R4 débarque au moment de l’exode.
Cette migration, synonyme de villes nouvelles et de banlieues, où les transports en commun demeurent quasiment inexistants, change la donne. La voiture est nécessaire.
Et l’évolution de la part féminine dans le monde du travail contribue à une augmentation des revenus par foyer : l’achat d’une voiture devient possible.
Pierre Dreyfus, patron de Renault depuis mars 1955, passionné par la sociologie, dirige ses équipes vers la conception d’un modèle répondant aux nouveaux besoins.
Dès le début, la décision est prise de ne pas concevoir un profil conventionnel, avec un capot, un habitacle et un coffre. “Faites-moi donc un volume”, glisse-t-il à Yves Gorges, directeur du bureau d’études.
Dans son livre de mémoire, le patron de Renault indique qu’il demande à ses collaborateurs de créer “une voiture blue-jean”.
Voilà le cahier des charges de la 4L…
C’est-à-dire, selon ses propres mots “un vêtement que l’on peut porter en toutes circonstances, si l’on n’a pas de prétention au snobisme ni au conformisme social. C’est un habit qui vous rend tous les services, que l’on traîne partout, qui ne coûte pas cher et que l’on peut remplacer sans se sentir dépaysé”.
Ce qui peut sembler banal aujourd’hui, avec un profil bi-corps, est révolutionnaire pour l’époque.
Renault ne sait même pas comment désigner commercialement sa première voiture à roues avant motrices, qui ressemble un peu à un break et dispose du premier hayon de grande série, alors appelé “porte de service”.
Son coffre dispose d’un plancher plat, comme un seuil de fourgonnette, et la possibilité de basculer la banquette arrière sert la polyvalence.
Autre nouveauté : pas besoin de rajouter de l’eau lors des départs en vacances, y compris dans les embouteillages. Le circuit scellé de refroidissement avec vase d’expansion met fin aux risques de surchauffe.
Renault va plus loin, avec la suppression des points de graissage ; jusqu’ici, lors des grands trajets, on s’arrêtait pour remettre de l’essence… et de la graisse. Par exemple, les pivots de supports de fusée, les biellettes de direction et certains roulements nécessitaient un graissage régulier.
Mais avec la 4L, c’est terminé. Cette voiture est facile d’usage, increvable, inusable, très robuste et polyvalente. En contrepartie, elle demeure assez minimaliste, mais toutefois supérieure à ce qu’offre une 2CV, pour un tarif identique.
Devenue symbole de liberté, la 4L touche, avec le temps, toutes les populations. Comme le blue-jean évoqué dans le cahier des charges.
C’est la voiture des administrations, la voiture du curé, celle du voisin et de l’institutrice, celle du maire, de l’EDF, du facteur, la voiture de la gendarmerie et celle du hippie…
La production de la 4L s’arrête.
1992 : les normes de pollution sonnent la fin de carrière. Les coûts nécessaires au maintien dans le commerce sont trop élevés et les ventes s’essoufflent. La production s’arrête.
Mais l’histoire perdure, autant par le biais du 4L Trophy, raid automobile le plus parcouru au monde, que par les collectionneurs ou ceux qui, aujourd’hui encore, sollicitent leur 4L au quotidien.
On trouve même des clubs de passionnés partout, jusqu’au Japon, et d’innombrables ouvrages sur l’histoire et l’industrialisation de cette icône, qui regorgent d’anecdotes et d’informations diverses.
On y apprend ainsi la raison pour laquelle l’empattement est différent d’un côté et de l’autre : les barres de torsion transversales de la suspension arrière et les amortisseurs hydrauliques positionnés à l’horizontale ne pouvaient pas être installés face à face. Ils ont donc été décalés, et les roues avec !
La lecture de documentations liées à la rondouillarde française permet aussi d’entrevoir les multiples déclinaisons lancées, avec plus ou moins de succès, des versions 4×4 hélitreuillées pensées pour l’armée jusqu’à celle de La Poste, dont les charnières de portes étaient renforcées.
Initialement appelé “la 350” au début du projet, à cause du prix de ventes espéré (350 000 francs maximum), le véhicule en cours de développement profite ensuite d’une autre classification : c’est le projet 112.
A cette époque, ce n’est pas sur les ordinateurs que l’on conçoit une voiture ; on la met au point sur la route.
C’est la spécialité de Louis Buty, directeur des essais, qui va chapeauter tous les tests routiers de la voiture, en Afrique du nord, aux Etats-Unis, en Guinée, dans le désert mais aussi dans des endroits très froids, loin des appareils photos.
Buty, en Sardaigne, à la toute fin des essais, reçoit Pierre Dreyfus, venu essayer l’un des derniers prototypes. Dreyfus conduit, avec Buty côté passager, et commet une “impardonnable légèreté”, comme il le dira lui-même des années plus tard.
La course de la Quatrelle se termine dans le ravin, la voiture est dans un sale état. On décide alors de taire l’accident, survenu à quelques semaines du lancement, malgré les blessures des deux occupants et le visage tuméfié et suturé de Buty.
La vérité sera publiquement rétablie quelques années par la suite, lorsque Pierre Dreyfus, devenu Ministre de l’Industrie, remet à son passager l’Ordre National du Mérite.
Un titre honorifique que mériterait également la Renault 4, un phénomène français ET mondial : environ un modèle sur deux a été vendu à l’export.
Au volant des anciennes…
Deux trajets, deux modèles : pour fêter les soixante printemps de la 4L, on ne lui souffle pas sur les bougies. Mais Renault nous a permis de reprendre les commandes de la française.
Choix numéro 1 : une reluisante version F4, aux couleurs d’un garage Renault imaginaire. La rondouillarde, apparue en 1961, pouvait embarquer 300 kg de charge dans sa soute de presque 2 mètres-cube.
Utilisé par de nombreux artisans, sur les cinq continents, cet utilitaire s’est aussi illustré par ses versions “La Poste”, vestiges d’un autre temps.
Réglée comme une horloge et habitée par l’inimitable odeur caractéristique d’un intérieur de 4L, “notre” F4 nous a permis de découvrir l’origine du terme “rossignol”, qualifiant les bruits de mobilier perçus à l’intérieur des voitures.
Dans celle-ci, les sons venant de la partie arrière ressemblent vraiment au chant d’un rossignol. Pour le reste, tout paraît simple et essentiel, désuet mais fonctionnel. Et la tenue de route reste très honnête.
Deuxième essai : la fameuse “Plein Air”, version décapsulée moins connue que la Citroën Méhari, et pourtant beaucoup plus commode, notamment en ce qui concerne la position de conduite.
Réalisée par Sinpar en très petite série et en coloris unique, de mai 1968 jusqu’en avril 1970, cette décapotable poids-plume (590 kg) se passe de portes et dispose d’un demi hayon.
Seule une petite chaîne sert à empêcher les occupants de basculer dans les fossés ! En parfait état, ce modèle de 1969 a été acheté au Canada par Renault, il dispose ainsi d’un compteur en miles.
La boîte 4 vitesses est identique à celle de la F4, avec une première “en bas”, vers soi. Et cette promenade d’une heure, dans le Vexin, rappelle ô combien les cabriolets d’antan s’avèrent plaisants.
Et avec 27 chevaux sous le capot et un simple frein à tambour à chaque roue, mieux vaut prendre le temps d’apprécier…
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