Shenaz: «J’ai eu l’impression de suffoquer (…) je n’ai pu que prier»

il y a 11 mois - 22 Janvier 2024, lexpress.mu
Shenaz: «J’ai eu l’impression de suffoquer (…) je n’ai pu que prier»
Chaos. Peur. Insécurité. Soulagement. Colère. Impuissance. Une multitude d’émotions mitigées envahissent encore les esprits.

Alors que les activités redémarrent après le passage du cyclone Belal, pour les personnes frappées par les inondations, d’une manière ou d’une autre, physiquement, émotionnellement ou psychologiquement, la normalité semble loin…

Lundi 15 janvier 2024. Ce jour certes restera gravé dans l’esprit des Mauriciens, notamment de ceux qui se sont retrouvés pris au piège en essayant de rentrer à la maison. Une mère de famille, fonctionnaire travaillant dans la capitale et qui a choisi d’emprunter ce jour-là le chemin le plus fréquenté pour rentrer chez elle, soit celui de la rue La Poudrière, relate son cauchemar, tout en gardant l’anonymat. Nous l’appellerons Shenaz. «Le matin, ce jour-là, j’étais un peu sceptique déjà parce qu’on était en alerte I et qu’il pleuvait. Néanmoins, comme c’est le début de l’année, je suis allée travailler en me disant qu’au cas où j’aurais vraiment besoin d’un jour de congé au cours de l’année, par exemple si je tombe malade, je pourrais prendre une pause pour aller mieux.»

Mais cette mère de famille était loin de se douter du cauchemar qu’elle allait vivre.«À peine quelques heures plus tard, il a plu intensément. Nous avons quitté le lieu de travail en prévision d’une alerte III et je me suis dirigée vers ma voiture, pensant que je pourrais rentrer à la maison à temps. Ignorant le danger qui m’attendait, j’ai emprunté le chemin habituel : La Poudrière. En cours de route, je me suis retrouvée bloquée par des voitures qui s’arrêtaient, incapables de circuler. Je me souviens avoir pensé à ma famille lorsque j’ai réalisé que je ne pouvais pas sortir de la file d’attente. En quelques minutes, l’eau boueuse, qui est arrivée avec force, a atteint un niveau incroyable et a commencé à pénétrer dans la voiture. J’ai eu l’impression de suffoquer de peur et, à ce moment-là, je n’ai pu que prier. Les personnes bloquées dans leur voiture autour de moi ont ressenti la même chose, j’en suis sûre...»

À ce moment-là, confie Shenaz, «presque comme par miracle, les gens ont commencé à s’aider les uns les autres. Un policier a ouvert la portière de mon véhicule, car je luttais contre le courant. J’ai pris mon téléphone et mon sac, j’ai pu sortir et je me suis réfugiée sur les escaliers du Garden Tower Building. J’ai vu d’autres personnes donner un coup de main à ceux qui étaient en détresse, et ce fut, au milieu de ce chaos, un moment de réconfort et de solidarité. J’ai appelé mes enfants pour leur dire que j’étais en sécurité et que je mettrai du temps à les rejoindre, mais surtout qu’ils ne devaient pas paniquer».

Les vents de la colère

Une fois que les eaux se sont calmées, au bout d’une heure environ, «un ami dont la voiture était garée ailleurs m’a déposée chez moi, car ma voiture était endommagée. Ces jours-ci, nous essayons de trouver comment réajuster notre routine pour que je puisse me rendre au boulot et que mon époux puisse déposer les enfants à l’école, entre les procédures entamées au niveau de la police et de l’assurance concernant les dommages pour la voiture. Ce fut un cauchemar qui m’effraie encore, mais qui m’a fait prendre conscience de l’importance de la famille. Vous imaginez si ce jour-là, les enfants n’étaient pas à la maison mais que les écoles étaient ouvertes, que se passerait-il ? S’ils ont suffisamment anticipé un temps cyclonique pour fermer les écoles, comment n’ont-ils pas anticipé un temps qui se détériorait rapidement, et assurer la sécurité des travailleurs qui contribuent à faire fonctionner ce pays ? Pourquoi ne pas nous avoir donné un jour de congé par précaution ?» Shenaz ne décolère pas et dit toujours ne pas comprendre…

Elle n’est pas la seule personne à avoir été confrontée au danger ce jour-là. Ils sont nombreux, à travers le pays, à avoir filmé et partagé leurs expériences sur les réseaux sociaux afin d’avertir la population de la détresse et du danger. Parmi, l’avocat Kooshal Bansoodeb. «(...) Je me rendais au travail en voiture en empruntant la rue qui relie le Jardin de la Compagnie et le bureau du Directeur des poursuites publiques. Il pleuvait et le niveau d’eau montait. Un autre avocat devant moi a abandonné sa voiture et m’a demandé d’en faire de même car ma voiture dérivait. Je me suis alors réfugié au-dessus du supermarché Winner’s, le niveau d’eau a doublé. Je suis soulagé d’avoir préféré abandonner ma voiture. Au moins, je suis sain et sauf», a-t-il confié sur Facebook.

Jean, qui travaille dans le secteur privé, dans la construction plus précisément, était parti de son chantier à Phoenix pour rentrer chez lui, lorsqu’il s’est retrouvé bloqué. «Sous la pluie battante, j’avais mon imperméable sur moi et un petit sac dans lequel je gardais mon téléphone et mon portefeuille. Je voulais prendre le métro, qui est le moyen de transport le plus sûr et le plus rapide, mais il avait cessé ses opérations. La pluie s’intensifiant, je me suis réfugié sous le toit d’un commerce, mais malgré une longue attente, la pluie ne s’est pas arrêtée. L’eau se déversait comme une rivière sur la route, jusqu’au niveau des genoux. J’ai marché pendant environ 15 minutes jusqu’à ce que je trouve un taxi pour rentrer chez moi, parmi les rares qui opéraient encore à ce moment-là.»

Cependant, si de nombreuses personnes ont fait preuve de solidarité en apportant une aide aux autres pendant cette période de détresse, Jean témoigne d’une expérience différente. «Nous étions tous des usagers de la route qui revenaient du travail et qui avaient du mal à rentrer chez eux. Nous cherchions des taxis qui pourraient nous déposer à la maison. Mais dans ces moments de désespoir, au lieu de faire preuve d’empathie, les chauffeurs de taxi ont profité de notre vulnérabilité et, alors qu’ils auraient réclamé Rs 500 pour ce trajet normalement, ils ont catégoriquement exigé Rs 2 000, en disant que nous pouvions soit les payer le montant qu’ils imposaient, soit nous battre pour notre sécurité par nous-mêmes alors que nous étions pris au piège dans les inondations. C’était terrible : ils se faisaient de l’argent sur notre souffrance. Mais ma priorité était de rentrer chez moi sain et sauf, car mon père, retraité, était à la maison et je devais m’assurer qu’il n’était pas stressé ou que l’eau ne pénétrait pas chez moi», déplore notre interlocuteur. «Cela a été traumatisant. Mais nous essayons de considérer cela comme une leçon à retenir. L’important, c’est que ma famille et moi soyons en sécurité...»