Prendre patience au sein d’un trafic à l’allure d’escargot pour atteindre votre destination et rechercher dans une botte de foin un parking disponible. Voilà la double mission cauchemardesque impartie à ceux qui se risquent à aller à un rendez-vous là-bas, à ces heures-là, mais une habitude stressante pour ceux qui y travaillent et un détour inacceptable pour ceux qui n’ont rien à y faire. Week-End fait le tour de la question.
Sur notre trajet entre Curepipe et Port-Louis vers 8h15 en ce lundi, en mode arrêt à plusieurs centaines de mètres au niveau du rond-point de Pont Fer à Valentina, nous nous aventurons à prendre la bretelle de raccordement à ce niveau en direction de l’autoroute Terre-Rouge/Verdun/Ebène pour rallier la Cybercité et l’autoroute M1 en direction de Port-Louis. Une chaussée impeccable et une fluidité de rêve qui font qu’en en moins de dix minutes - nous en aurions pris une vingtaine voire une trentaine pour traverser le double rond-point (Dowlut/Pont Fer) - nous sommes aux abords du complexe de l’Église chrétienne à environ 500 mètres du rond-point qui permet de reprendre l’autoroute M1 vers Quatre-Bornes ou la traverser sur un pont aérien pour aller à Ébène, trajet obligatoire pour rejoindre l’autoroute pour Port-Louis. Oui, car pour aller à Port-Louis de l’autoroute Terre-Rouge/Verdun, il faut au moins aller rejoindre le rond-point d’Ébène, sinon y traverser. Et à cette heure-là, c’est un véritable calvaire.
Rouler en sens inverse
Ces 500 derniers mètres d’accès à Ébène peuvent prendre entre 25 et 45 minutes selon le cas. Et si la situation s’est améliorée ces derniers temps, c’est parce que des motards et des policiers ont été sollicités pour régler le trafic de l’autre côté du pont surplombant la M1. À ce niveau, le trafic quittant Ébène est bloqué. Ceux s’y rendant sont alors invités à emprunter la chaussée dans le sens interdit pour pénétrer dans ce triangle, non par le rond-point d’Ébène comme cela avait été conçu à l’origine, mais dans une ruelle parallèle, en phase d’élargissement dans le cadre de travaux d’urgence pour le compte de BPML depuis quelques semaines (voir hors-texte).
De là vous retrouvez votre route normale pour votre destination si vous allez à Ébène. Et si vous vous rendez à Port-Louis, il faut revenir vers le rond point d’Ébène. Si vous avez de la chance, vous accédez directement à l’autoroute en deux minutes, autrement vous devrez attendre une dizaine de minutes supplémentaires que les voitures autorisées à rouler en sens inverse sur votre voie l’ait débarrassée.
Mauvaise planification
Après une telle expérience et le temps perdu dans cet exercice, vous n’avez qu’une seule option, revenir au bon vieux calvaire du double rond-point Dowlut et Pont Fer. Au moins là, le trafic est conforme aux normes habituelles et vous savez à quoi vous attendre.
Ces problèmes de trafic à Ébène et son rôle de raccordement à l’autoroute vers Port Louis relèvent clairement d’une mauvaise planification spatiale. Elle est d’origine, certes, pour ces décideurs qui avaient sous-estimé le volume de personnes mais surtout leur statut social devant se rendre à Ébène pour le travail. Mais elle est également plus récente pour ces pontes qui n’ont pas connecté directement les autoroutes Terre Rouge/Ébène à la M1 et qui ont préféré canaliser ces automobilistes dans le triangle d’Ébène pour rejoindre l’autoroute en direction de Port-Louis.
Pour mieux comprendre la situation intrinsèque à Ébène, c’est-à-dire le volume de trafic qui s’y rend, les concepteurs d’origine avaient planifié une zone totalement dédiée au numérique avec essentiellement des call centers qui requièrent une catégorie d’employés nécessitant plus du transport en commun que des voitures personnelles pour se rendre au travail. Autobus et vans étaient parmi les véhicules les plus attendus et dans cette optique l’infrastructure voulue et la circulation prévue et même les parkings semblaient suffisants.
Mais devant le relatif échec des call centers, reliés avec un internet à débit insuffisant et encore trop cher en sus d’un manque de personnel suffisamment formé, les nombreux terrains sans construction et à l’état sauvage. La nature économique de cette zone allait basculer vers des secteurs de service de plus haut de gamme (banque offshore, assurances, universités, services gouvernementaux, etc.) entraînant dans son sillage corollairement des employés de plus niveau, essentiellement des cadres, qui sont pour la plupart des automobilistes.
C’est cette évolution qui a rendu caduques les prévisions de départ. Mais cette mutation décidée par l’État et exécutée par BPML n’a pas été suivie de mesures compensatoires, d’où les problèmes de circulation et de parkings actuels. Et lorsqu’on y ajoute l’accentuation du trafic supplémentaire occasionnée avec l’ouverture de la nouvelle autoroute Terre Rouge/ Ebène décuplée par la grave erreur d’y inclure ceux se rendant à Port-Louis, contraints d’utiliser les mêmes voies d’accès, on peut évoquer avec force la mauvaise planification et le manque de vision des gouvernants successifs qui ont opéré depuis la pourtant bonne idée de faire d’Ébène ce qu’il est aujourd’hui.
La jungle du parking sauvage
Il n’y a pas que la circulation qui pose problème dans le triangle d’Ebène. Il y aussi le parking. Et là c’est la jungle. En juillet dernier, au parlement, opposants d’hier, alliés d’aujourd’hui s’envoyaient à la figure invectives et insultes pour parler du dumping hub qu’était devenu l’Ébène Cybercity. Ils ne parlaient pas de la circulation calamiteuse mais de parking. Le phénomène de parking sauvage s’est effectivement accentué à Ébène ces derniers temps, à tel point que des mesures urgentes se sont avérées nécessaires.
Selon les échanges parlementaires en juillet dernier, Business Parks of Mauritius Ltd a indiqué qu’il y a quelque 15 000 personnes qui sont employées dans les différents tours et immeubles dans la région d’Ébène. Il y a une quarantaine d’immeubles fonctionnels et le nombre de parking slots est de quelque 3 600. Vu la dynamique qui anime Ébène, le déficit en parking est flagrant, d’autant que les visiteurs de cet espace très convoité sont sans doute aussi nombreux que ceux qui y travaillent. Les sept autres terrains où les immeubles prévus n’ont pas été construits et qui ont été convertis en aire de stationnement accueillant quelque 900 voitures ne suffisent pas à combler le déficit.
Il est vrai que 40 % de ces parkings de fortune transformés en véritable business demeurent inoccupés et ont entraîné une explosion du problème de parking sauvage. Car les prix sont si exorbitants et assurés que par les usagers, que ceux-ci ne sont pas disposés à payer le manque de planification de BPML et de leurs employeurs. Et ils le font savoir. En effet, le prix d’un parking “légal”, selon nos sources, varie entre Rs 1 300 et Rs 2 500 mensuellement, plus cher qu’à Port-Louis, même si BPML annonce officiellement qu’on peut en trouver entre Rs 1200 et Rs 2000.
Des informations recueillies sur place indiquent que le risque de payer une amende pour parking illégal est jugé financièrement moins risqué que de casquer plus de Rs 25 000 annuellement pour se garer. Ce qui a engendré d’autres bizness parallèles qui se développent à grands pas. Il y a d’abord les lizaz illégaux payés aux gardes de sécurité pour obtenir un parking dans les zones gratuites des entreprises réservées aux employés et visiteurs. Les propriétaires de voitures parlent actuellement d’un autre phénomène en développement : les voitures sont rayées et les roues dégonflées lorsqu’elles sont garées dans des zones illégales et gratuites. Apparemment par les préposés aux parkings payants pour contraindre leurs victimes à choisir des espaces de stationnement plus sécurisés mais payants. Il y aurait donc depuis quelque temps un développement d’un racket à ce niveau.
Verbalisation peu dissuasive
Pour contrecarrer le parking sauvage, de nombreux automobilistes ont été verbalisés, mais cela n’a apparemment pas été suffisamment dissuasif car les contrevenants continuent de plus belle. De plus en plus d’automobilistes ont trouvé le filon pour ne pas se garer sur les doubles lignes jaunes et se faire ainsi verbaliser : le stationnement est directement fait sur le trottoir. Ce qui contraint les piétons à marcher sur la chaussée et à mettre leur vie en danger.
Depuis quelques mois, les principales routes d’Ébène ont été décrétées routes publiques avec les autorités, dont la police, en mesure de dresser des contraventions pour des délits sous la Road Traffic Act. Des doubles lignes jaunes pour interdire le parking sauvage et des road signs appropriés ont été également mis en place pour décourager les contrevenants. Pour cette phase répressive, BPML a prévu quelque Rs 23 millions.
Ce qui fait rager les automobilistes, qui préconisent que BPML devrait mettre en place de nouveaux parkings avant de penser à punir ceux qui n’ont ni les moyens ni le choix. La question qui revient sur toutes les lèvres est celle qui pointe du doigt BPML. Pourquoi n’a-t-on pas prévu suffisamment de parkings au départ ? Pourquoi n’en développe-t-on pas de nouveaux mais encourage-t-on des parkings privés et payants alors qu’il serait du devoir de BPML de mettre à disposition plus de parkings gratuits ?
Les dernières mesures annoncées semblent aller en ce sens. BPML a accédé au principe de la construction d’une Parking Tower au coût de Rs 300 millions où près d’un millier de voitures pourront être garées. Le démarrage était prévu pour août de cette année mais pour l’heure sur place il n’y a que les indications légales de construction et ce parking, payant ou pas (?) ne devrait pas voir le jour avant fin 2015. Et tous savent qu’il sera à lui seul insuffisant pour pallier le problème de parking.
Le métro léger doit passer par Ébène et Réduit
Avec la proximité de l’université de Maurice et ses 10 000 étudiants, la résolution du problème de saturation de parking et du trafic d’Ébène qui comptera bientôt 20 000 employés - fort justement développé entre autres pour désenclaver la capitale Port-Louis - reposera surtout sur une amélioration du transport en commun dans cette partie de l’île. Inclure dans le trajet du futur métro léger Ébène et Réduit est une absolue nécessité et ne pas le faire relèverait d’une nouvelle erreur de vision et de planification pour le pays. Pour l’heure, le tracé du métro léger n’en fait point mention.
C’est l’une des mesures urgentes que devront approuver nos futurs gouvernants pour permettre à cette zone phare du pays d’atteindre ses objectifs et permettre à nos jeunes de se développer et s’épanouir dans un espace novateur moderne et sans contrainte de circulation.
En attendant nos automobilistes devront faire preuve d’une sacrée patience
Des mesures insuffisantes
Face à la situation chaotique de cet espace dévolu à sa juridiction, Business Parks of Mauritius Limited (BPML) a été contraint de revoir toute l’infrastructure routière opérationnelle depuis 2011 et qui est déjà sursaturée aujourd’hui. Des travaux effectués par Gamma Construction sont déjà en cours et sont effectués pour ne pas gêner le trafic et empirer la situation actuelle. L’élargissement de voies principales de la Cybercité est prévu pour fluidifier davantage le trafic. De nouvelles bretelles, deux ronds-points et des trottoirs supplémentaires sont aussi dans le pipeline. Quant aux arrêts d’autobus et abribus et les routes intra-Ébène empruntées par ces transports en commun, leur révision et réfection sont en cours.
Tout cela apparaît malheureusement comme étant des mesurettes pour calmer les esprits face à une montée d’adrénaline des usagers, mais le problème est plus profond et mérite des mesures plus appropriées, comme celle de connecter directement l’autoroute Terrre Rouge/Ebène à l’autoroute M1. Mais cela n’est pas l’affaire de BPML mais bien des Infrastructures publiques. Le prochain ministre de tutelle a du pain sur la planche