Cette mesure s’inscrit dans une suite logique de l’engagement du gouvernement pour une île Maurice plus verte, car depuis quelques années déjà, il y a eu des réductions successives des taxes sur ces véhicules.
Les hybrides et électriques Duty Free viennent en même temps, diluer la colère sur les récentes hausses du prix du carburant. Mais dans la pratique, la transition s’annonce beaucoup plus difficile, de par le prix élevé de ces véhicules et l’absence de mesures permettant la recharge à l’énergie verte. Les professionnels du secteur donnent leurs points de vue sur la question.
À avril 2022, on comptait plus de 21 000 véhicules hybrides et environ 700 véhicules électriques à Maurice. Ces chiffres sont ceux de la National Land Transport Authority (NLTA). On relève ainsi qu’un plus grand nombre de Mauriciens achètent des voitures hybrides reconditionnées, soit 19 198 pour la période allant de 2010 à avril 2022, contre seulement 2 048 pour les véhicules hybrides neufs. Ces mêmes statistiques démontrent que ce marché a pris de l’essor à partir de 2017-2018. Car avant cette période, la vente de véhicules hybrides ne dépassait pas les 1000 unités par an.
Au niveau des marques, c’est Honda qui se taille la part du lion avec 11 232 véhicules hybrides vendus pour la période 2010-avril 2022, la grande majorité, soit 11 183 étant des reconditionnés. Le plus grand nombre d’hybrides neufs pour cette même période est de BMW (646), suivi de Toyota (316).
En ce qui concerne les véhicules électriques, les chiffres de la NLTA démontrent que ce n’est pas encore l’engouement sur le marché mauricien, même s’il y a eu des progressions dans la vente, à partir de 2019. Cette période coïncide avec la décision du gouvernement de réduire la taxe sur les voitures hybrides et électriques. Au niveau des ventes, c’est Nissan qui arrive en tête avec 288 voitures électriques vendues de 2012 à avril 2022, suivi de BMW, avec 88 ventes pour la même période.
Avec la décision du gouvernement d’abolir la taxe sur les voitures hybrides et électriques, c’est une économie d’environ Rs 200 000 en moyenne qui pourrait être faite par les acheteurs. Les concessionnaires s’attendent ainsi à ce que la mesure budgétaire vienne booster ce marché, même s’il y a quelques difficultés d’approvisionnement sur le marché international actuellement (voir encadré).
Chez les revendeurs de voitures reconditionnées, on préfère ne pas se prononcer pour le moment. Zaïd Ameer, président de la Dealers in Imported Vehicles Association (DIVA), indique que ses membres et lui vont prendre le temps de calculer leurs chiffres, avant de s’exprimer à ce sujet. L’hésitation du président de la DIVA peut se comprendre du fait que le rapport de forces entre les véhicules reconditionnés et les véhicules neufs peut basculer avec la décision du gouvernement d’abolir les taxes. Déjà, si l’on se réfère aux statistiques de la NLTA sur les ventes, toutes catégories confondues, pour la période de janvier à avril 2022, l’on constate que les véhicules neufs sont loin devant. Soit 6 151 véhicules neufs vendus pour cette période contre 3 129 véhicules reconditionnés.
L’entretien, un frein à la transition
Des professionnels du secteur se disent tout de même sceptiques quant au fait que la décision du gouvernement puisse réellement créer un boom dans la vente de véhicules hybrides et électriques. Kamla, engagée dans la prévente chez un concessionnaire, avance : « Je dois dire que la vente de véhicules hybrides a beaucoup progressé ces dernières années, mais c’est encore loin derrière les véhicules classiques au carburant. »
La raison, dit-elle, c’est le coût élevé de ces véhicules. « Il faut compter à partir de Rs 2 millions pour un véhicule hybride neuf. Et l’électrique c’est encore plus. Peu de Mauriciens ont les moyens d’en acheter. D’ailleurs, certains concessionnaires n’apportent pas de véhicules 100% électriques sur le marché. Ils préfèrent se limiter aux hybrides. Peut-être que maintenant, avec le Duty Free, ils vont faire leur marketing et passer les commandes. »
Le profil des acheteurs pour ce type de voitures actuellement, dit-elle, c’est évidemment la clientèle aisée. « Il y a des directeurs d’entreprise, mais aussi des hauts fonctionnaires, comme les Permanent Secretaries, qui ont des facilités avec le gouvernement. »
Se référant aux commentaires de ses clients, Kamla indique que beaucoup font le calcul également par rapport à l’entretien. « Par exemple, on sait que la batterie doit être remplacée à un certain moment et beaucoup hésitent car cela coûte très cher. Les clients me disent que finalement, ils sont plus gagnants avec le carburant. En même temps, avec les récentes hausses des produits pétroliers peut-être que la donne a changé. »
Ce point de vue est partagé par Julien, électrotechnicien. « Les véhicules hybrides et électriques ont de nombreux avantages, mais il y a aussi des coûts. Pour moi, le gouvernement aurait dû s’assurer que nous ayons tout le service nécessaire à Maurice avant de venir avec une telle mesure. » Il cite en exemple l’absence de borne de recharge dans les espaces publics. « Quelqu’un qui prend sa voiture électrique pour aller travailler doit bien recharger sa batterie pour rentrer. Comment va-t-il faire ? Est-ce que son employeur lui permettra de recharger sa batterie au bureau ? Ce n’est pas comme un téléphone qu’on recharge ça fait quand même rouler une voiture et il y a de fortes charges. »
Selon lui, le gouvernement aurait pu donner les facilités aux stations d’essence d’installer des panneaux photovoltaïques et l’énergie pourrait être utilisée par des bornes de recharge. « Les clients auraient pu venir recharger leurs voitures comme ils viennent prendre de l’essence, quitte à payer une certaine somme. Car rouler une voiture électrique, cela ne veut pas dire que vous n’avez pas de frais du tout. Même quand vous rechargez chez vous, il faut payer l’électricité. À moins que la personne ait son installation photovoltaïque, à ce moment-là ce serait vraiment rentable. »
Main-d’œuvre qualifiée
Julien met aussi le doigt sur un autre problème : les compétences nécessaires pour l’entretien à Maurice. « Est-ce qu’il y a des gens formés, des garages certifiés pour réparer ces voitures à Maurice ? Les concessionnaires par exemple, peuvent bénéficier de l’expertise des marques qu’ils représentent. Généralement, les agences envoient leur personnel en formation ou alors, il y a quelqu’un qui vient sur place. Mais qu’en est-il pour ceux qui achètent des voitures reconditionnées ? Où vont-ils réparer les voitures ? Il y a bien certains garages qui essayent de se mettre à jour, mais sont-ils certifiés pour les véhicules hybrides et électriques ? C’est là toute la question. »
Ce dernier fait ressortir que l’entretien de véhicules hybrides et surtout électriques, doit se faire dans des conditions spécifiques. « Tout ce qui est électrique nécessite des précautions, car il y a un super voltage dans ces véhicules. Par exemple, il faut des gants spéciaux, des outils appropriés pour ne pas être électrocuté. Même au niveau des concessionnaires, ils doivent avoir une plateforme spéciale pour réceptionner les véhicules électriques. On ne peut les mélanger avec les autres. »
Parlant des batteries, le professionnel concède que le prix est élevé et peut aller jusqu’à Rs 100 000 pour une grosse batterie neuve. « Cela dépend aussi des modèles. Certains peuvent avoir une demi-douzaine de petites batteries et on ne change pas nécessairement tout en même temps. Mais d’autres ont une grosse batterie qui coûte effectivement très cher. On peut aussi en trouver à seconde main dans des magasins de pièces de rechange, mais on n’a aucune garantie combien de temps cela va durer, surtout si elle a déjà été utilisée à l’étranger. »
Pour ce dernier, ce sont autant d’éléments qu’il faut prendre en considération si le gouvernement veut effectivement passer à la transition vers des véhicules plus propres. « Le Duty Free seul ne va pas apporter de grands changements. Il faut d’autres mesures pour que tout le système soit mis en place et soit bien rodé. Autrement, une voiture hybride ou électrique permet vraiment de faire de grandes économies, surtout avec le prix du carburant qui ne cesse de flamber. »
Julien termine par une boutade : « Si le gouvernement veut voir plus de voitures hybrides sur nos routes, il faudra aussi apprendre aux Mauriciens à bien les conduire autrement on risque de se retrouver avec de gros bouchons sur les routes. » Il explique ainsi que les voitures hybrides roulent à l’électricité jusqu’à 40 km/heure. Passé ce cap, elles basculent sur l’essence. « Pour faire des économies, les Mauriciens ont tendance à se limiter aux 40 km/heure. Si vous observez bien sur les routes, vous trouverez toujours une voiture hybride là où la circulation est ralentie. Les gens roulent doucement pour ne pas basculer sur l’essence… »
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Questions à…
Mrinal Teeluck (secrétaire, MVDA) :
« La remise allant jusqu’à Rs 200 000 va rendre ces véhicules plus attrayants »
Comment accueillez-vous la mesure budgétaire concernant l’abolition des taxes sur les voitures hybrides et électriques ?
La voiture est un outil de travail important, et en détaxant les hybrides et électriques, et en donnant en plus une remise allant jusqu’à Rs 200 000 sur les électriques, le gouvernement s’assure que cette mobilité des Mauriciens, devient rapidement moins polluante.
La Mauritius Vehicle Dealers Association (MVDA) a toujours milité pour que les voitures neuves deviennent plus abordables grâce à des taxes plus basses. En effet, les voitures neuves sont un signe concret de la modernité et du progrès dans une économie.
Avec la montée du coût des énergies fossiles à l’international, une flotte de véhicules plus économique, et donc moins polluante, est plus nécessaire que jamais.
De plus, la montée rapide programmée du pourcentage d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de Maurice permet d’envisager plus de voitures électriques. C’est sûr que ces deux domaines ont reçu un coup de fouet !
Selon vous, cette initiative va-t-elle booster ce marché à Maurice ?
Oui, l’intérêt pour les véhicules hybrides et électriques va connaître un boost important avec l’annonce de ces nouvelles mesures et les clients sont prêts à acheter.
Nous allons donc rapidement moderniser le parc automobile avec des véhicules plus propres.
Actuellement, nous sommes malheureusement dans l’incapacité d’en fournir autant que nous le souhaiterions pour des raisons indépendantes de notre volonté, la rareté des semi-conducteurs entravant la production dans le monde entier et la guerre en Ukraine perturbant l’approvisionnement en pièces et matières premières.
Mais Maurice reste l’exemple dans l’hémisphère sud avec des incentives sur les voitures propres bien plus conséquents qu’en Australie ou en Afrique du Sud, par exemple. Nous pensons que les producteurs seront très intéressés par un marché qui encourage la voiture propre. À la MVDA nous restons très optimistes pour l’intérêt que les marques portent à notre petite île qui veut être l’exemple régional !
Sans les taxes, combien coûterait une voiture hybride/électrique sur le marché local ?
Aux alentours de Rs 1,3 million pour les voitures hybrides neuves et environ Rs 1,6 million pour les voitures électriques neuves dépendant des modèles bien entendu.
Dans le passé, il y a déjà eu des réductions de taxes sur les voitures électriques. Quelles ont été les retombées ?
De décembre 2014 à décembre 2021 approximativement 335 unités d’EV (voitures électriques) ont été vendues. Maintenant que de plus en plus de modèles sont disponibles, la vente a été boostée à approximativement 150 unités sur les cinq premiers mois de 2022. La remise allant jusqu’à Rs 200 000 maintenant accordée aux acheteurs d’EV dans le budget va rendre ces véhicules encore plus attractifs.
Comme en moyenne les modèles vendus à Maurice en 2022 peuvent parcourir approximativement 400km avec une batterie pleine, le parcours moyen du Mauricien étant de 68km par jour (25 000km par an) le trajet est facilement parcouru en toute sérénité.
Faudra-t-il des aménagements sur nos routes pour l’utilisation des véhicules électriques à grande échelle ?
Une voiture électrique est parfaitement rechargeable à la maison ou en entreprise avec une prise murale habituelle. Il suffit d’approximativement de cinq heures de charge pour retrouver 75km d’autonomie en moyenne. Avec un wallbox de 7 kwh disponible chez plusieurs installateurs, on retrouve plus de 200km d’autonomie en 5 heures de charge.
Mais évidemment avoir un réseau de recharge public disponible par exemple en stations d’essence, au supermarché ou à l’aéroport va donner beaucoup plus de flexibilité. Du reste, c’est ce que préconise le rapport commandité par le gouvernement et c’est la recommandation du secteur privé à travers Business Mauritius. De plus, de nombreux investisseurs semblent disposés à investir dans ce métier si le gouvernement le libéralise.
Qu’en est-il de l’entretien ? Est-ce plus coûteux d’entretenir une voiture électrique qu’une voiture classique ?
Les EV demandent beaucoup moins d’entretien, et consomment beaucoup moins de pièces. Le freinage est surtout assuré par le frein moteur, qui du coup recharge la batterie. Les disques et patins de freins sont donc beaucoup moins sollicités.
Je voudrais aussi préciser qu’une batterie d’EV est constituée de centaines de cellules. En cas de défaut on remplace les cellules abîmées, pas la batterie en entier.
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