Blanchiment d’argent: ces voitures modifiées au service de la drogue

4 years, 9 months ago - 10 July 2019, lexpress.mu
Blanchiment d’argent: ces voitures modifiées au service de la drogue
Les récentes descentes et saisies de l’Independent Commission against Corruption lèvent le voile sur un autre trafic: la modification des voitures.

Diverses parties d'un bolide sont altérées pour le transport de drogue et d'argent sale, selon des «tuners».

Air bag, coffre, sièges, haut-parleurs, portières... Autant d'équipements qui sont modifiés dans une voiture pour le transport de drogues et d'argent sale. C'est pourquoi l'enquête de l'Independent Commission against Corruption (ICAC) se penche entre autres sur la modification des voitures. Cela, suivant ses récentes descentes et saisies, notamment celles des biens de Ricardo Agathe. La commission anticorruption soupçonne que les bolides du trafiquant présumé ont été acquis grâce au blanchiment d'argent.

«Avant, seule une ou deux personnes faisaient du tuning. Désormais, il y a tellement de garages. C'est donc plus facile pour les trafiquants d'y avoir recours», déclare un «tuner» exerçant depuis dix ans. Un phénomène qui s'accélère, estime-t-il. «Tous les moyens sont bons pour faire passer la marchandise. Les trafiquants ne manquent pas d'imagination», renchérit un autre opérateur.

Selon eux, une bonne majorité des parties des véhicules peut être transformée en cachette. «Par exemple, les vitres des portières à l'avant et le parebrise ne doivent pas être teintés, et ce, peu importe le pourcentage. Mais les trafiquants le font. À 25 % par exemple, cela permet de masquer leurs transactions», précise l'un d'eux.

Les portières ne sont pas en reste. Garnissage et pièces en plastique sont enlevés. Et là, l'espace permet de contenir de l'argent, de la drogue et même des armes, poursuit-il. D'autres petites sections modifiables incluent les boîtes à gants et le levier de vitesse ou le dispositif de climatisation. «Il suffit de les démonter. Ce sont des zones faciles à modifier dont la police ne se doute pas», ajoute l'autre opérateur.

Le compartiment abritant l'air bag est aussi une cachette idéale pour les trafiquants. Quid du coffre ? Ici, la doublure est enlevée pour y dissimuler de la drogue ou de l'argent, soutient-on. Et d'ajouter que les caissons de basse, appelées «kanon bas», sont très sollicités par les trafiquants. Ces dispositifs sont installés dans les coffres pour un son à casser les oreilles. Mais en vérité, les haut-parleurs sont prélevés. On se débarrasse du tissu d'amortissement intérieur pour céder la place à la drogue, avant d'y replacer les enceintes. En outre, à l'arrière, les sièges sont abaissés. Et à l'avant, les tapis en dessous sont retirés pour les cachettes. La doublure est replacée après la dissimulation.

Hormis ces sections mécaniques, le moteur passe à la vitesse supérieure. Une source de l'Anti-Drug & Smuggling Unit (ADSU) confirme : «Les trafiquants privilégient des grosses cylindrées dotées d'une puissance de 6 000 cc et des motocyclettes à partir de 1 000 à 1 200 cc pour deux raisons. D'abord, pour des déplacements plus rapides et pour le show-off.» Ensuite, d'après les médias internationaux, ces bolides dis- posent d'une suspension capable de supporter de lourdes charges. De plus, souvent, les trafiquants n'achètent pas leurs berlines directement. Ils utilisent plutôt des prête-noms ou les acquièrent au nom de leur conjoint(e) ou proche.

Comme un jeu d'enfant

Mais la Dangerous Drugs Act prévoit des dispositions pour ces acquisitions suspectes, affirme notre interlocuteur. «Nous devons être vigilants face aux modifications car les trafiquants sont bien rodés sur les nouvelles technologies. La police aussi doit évoluer», ajoute t-il. D'ailleurs, dans les milieux des concessionnaires, on nous confie qu'après l'achat de voitures, certains acquéreurs achètent des dispositifs pour les reconfigurer à leur guise. «On peut tout trouver et tout savoir en ligne. Les modifications deviennent un jeu d'enfant», lâche un ingénieur mécanique.

Quel contrôle est exercé sur ces modifications ? D'après Koshik Reesaul, commissaire de la National Transport Authority, une unité composée d'inspecteurs a été créée en janvier pour ces détections. «Ils examinent les véhicules en route pour voir si les normes sont respectées. Si tel n'est pas le cas, on enlève le fitness aux conducteurs.» Selon lui, environ 150 anomalies sont décelées par semaine. Et de préciser que les propriétaires doivent se plier aux Construction and Use of Vehicles Regulations 2010 et aux normes du fitness.

Cependant, confirment nos interlocuteurs, les conducteurs peuvent enlever l'autocollant teinté juste avant l'exercice et le replacer. Idem pour toute autre pièce qui, une fois passé le contrôle technique, reprend la voie de la modification. Au sein de l'ADSU, les Field Officers scrutent et collectent des informations sur le terrain. Des infiltrations peuvent également être effectuées au besoin selon la loi. Du côté de la Mauritius Revenue Authority, les douanes inspectent les voitures neuves et reconditionnées importées. Les chiens renifleurs de narcotiques et de devises sont également mis à contribution.

En chiffres Rs 800 000

C'est le montant que demandent certains garagistes pour la modification de voitures. Les prix varient selon l'étendue des travaux. «Par exemple, pour fixer un autocollant teinté sur les vitres et le pare-brise, cela coûte Rs 2 500», explique un opérateur. Quant aux enceintes, la fourchette est de Rs 1 000 à Rs 20 000. Et pour d'autres parties, les tarifs varient entre Rs 75 000 et Rs 100 000.