Suivant la crise pandémique et économique, plusieurs pays étudient sérieusement cette éventualité alors que d’autres l’ont déjà mise à l’essai. Par exemple, en mai 2021, les pays européens ont entériné la Déclaration de Vienne pour l’adoption d’une mobilité et de transports propres, sûrs, sains et inclusifs, en privilégiant le vélo dans cette région. Le Plan directeur paneuropéen a été adopté et vise en outre à doubler la pratique du vélo dans la région d’ici à 2030. Parallèlement, en Croatie, France, Suède et Italie, l’e-bike se popularise de plus en plus après des essais concluants.
Sur le plan local, le projet d’intégrer la bicyclette pour aller au travail entre autres déplacements date de 2012. À ce titre, Michael Sik Yuen, alors ministre du Tourisme, avait fait le déplacement vers son bureau à bicyclette le 23 avril 2012. En dépit des discours encourageant ce mode de transport, rien ne s’est concrétisé. Pourtant, internationalement, le «bikenomics» – intégration de l’usage des bicyclettes pour les activités économiques – est plébiscité. Paradoxalement, l’usage des voitures augmente systématiquement. En 2021, 622 988 véhicules étaient enregistrés, selon les autorités. Comparativement, en 2015, ce nombre était de 486 144 et en 2010, de 384 115 véhicules, traduisant un accroissement au fil des ans. Sauf qu’avec les récentes majorations du prix de l’essence et du diesel, des alternatives plus économiques sont plus qu’urgentes.
Que faut-il pour que cela devienne une réalité à Maurice ? D’abord, précise Stéphanie Wiehé, Marketing Executive chez Emcar Sports, il faut changer l’infrastructure routière. Ainsi, elle souligne qu’il est vital d’aménager des pistes cyclables. Parallèlement, la sécurité routière et le respect du code de la route des automobilistes et cyclistes sont indispensables. L’enseigne dispose d’ailleurs de beaucoup de vélos de qualité pour les grands et petits.
Pistes cyclables
De son côté, Khalil Elahee, professeur à la faculté d’ingénierie de l’université de Maurice, rebondit sur le besoin des pistes cyclables avec des normes de sécurité afin de ne pas mettre en danger la vie des cyclistes. Pour lui, la construction des lignes et des stations du Metro Express ainsi que l’élaboration des plans de l’aménagement du territoire pour les villes doivent être des exercices fondés sur une vision intégrée. «Il faut voir plus loin que le bout du nez. Par exemple, à Ébène ou Réduit, il faut des pistes cyclables menant aux stations de métro. C’est la même chose pour les faubourgs de Curepipe vers la gare de métro. Les équipements sont indispensables mais ils peuvent coûter cher pour la plupart des gens», précise-til. Ailleurs, rétorque Khalil Elahee, il y a tout un business autour de la location de bicyclettes et leur stationnement sur des sites surveillés. Selon lui, Maurice nécessite une approche globale.
Pour sa part, Sunil Dowarkasing, ancien Global Strategist de Greenpeace International, estime que dans pas mal de pays, en Europe notamment, la bicyclette demeure un mode de transport très populaire. «J’ai vécu pendant cinq ans à Amsterdam et mon seul moyen de transport était la bicyclette. Des programmes modernes de partage de vélos découlent du lancement des vélos Vélo’v à Lyon en France. Le concept a vraiment pris son envol à Paris avec le système Vélib’ qui a transformé la ville aux embouteillages terrifiants en paradis des cyclistesnavetteurs», explique-t-il. Désormais, Amsterdam compte des stationnements pour vélos de plusieurs étages.
Toutefois, il reste sceptique quant à l’application du «bikenomics» à Maurice. Il associe plusieurs facteurs entourant la difficulté à sa mise en oeuvre. «Premièrement, nous avons le syndrome ‘‘Ma voiture, mon statut’’. Donc, il est difficile de sortir les gens de leur voiture pour choisir un vélo. Aux Pays-Bas, le Premier ministre voyage à bicyclette. Deuxièmement, notre structure routière a été construite sans véritable planification, ce qui entrave la création de pistes cyclables. Finalement, il y a notre mode de vie», déclare Sunil Dowarkasing.
Selon lui, cela nécessite de repenser notre système de mobilité. D’après notre interlocuteur, l’unité de gestion du trafic routier est une institution obsolète qui ne peut résoudre aucun problème de circulation sans même innover. A son sens, les problèmes routiers sont abordés de manière fragmentaire. À titre d’exemple, il cite le cas sur la M1, qui témoignait d’un embouteillage au rondpoint de St-Jean. Après la construction d’un nouveau circuit, le problème s’est déplacé vers celui de Phoenix. Et après d’autres constructions au coût faramineux, la congestion accable désormais le rond-point de Curepipe, estime-t-il.
«La seule option envisageable est probablement un projet pilote intra-urbain. Encourager le vélo requiert une refonte totale de notre schéma de mobilité. Cela dépendra beaucoup de la volonté politique et de la vision. Si ces deux conditions sont réunies, ce projet pourrait être possible», indique-t-il. Pour lui, si nous avons réussi à forger un tracé pour le métro léger, la création de pistes cyclables est une tâche beaucoup plus facile. Cependant, le plus grand défi reste la discipline des usagers de la route, qui, fort de l’indiscipline et le non-respect du code de la route, auraient du mal à respecter une bande cyclable. Dans de telles circonstances, une piste cyclable ne sera jamais sûre. En revanche, aux Pays-Bas, une piste cyclable est une voie prioritaire, avance-t-il.
Parallèlement, Emcar s’aligne sur la faisabilité du «bikenomics» mais ceci nécessite un budget très important pour l’infrastructure routière. Sur ces aspects, Khalil Elahee évoque la capacité du «bikenomics» à engager les citoyens dans une action solidaire, durable et écologique de proximité, ce qui nécessite une sensibilisation du public à la base. Les touristes aussi peuvent mieux découvrir le pays grâce au vélo dans le cadre d’une initiative éco-touristique. À Amsterdam, la complémentarité des moyens de transport est optimisée afin de faire du vélo une solution pratique. Par exemple, les pistes cyclables se connectent aux gares de train ou de bus comme au métro, mais aussi se rejoignent afin de permettre aux gens de couvrir de plus longs trajets s’ils le peuvent à vélo. La flexibilité est le maîtremot», déclare-t-il.
Mode de paiement
Quels bénéfices en tirerions-nous ? Pour Sunil Dowarkasing, les chances de succès sont minces. Il ne prévoit pas une telle intégration dans la prochaine décennie et avoue qu’il serait heureux d’avoir tort à ce sujet. Pour Khalil Elahee, il incombe de rendre la mobilité possible sans les problèmes de transport comme l’usage des énergies fossiles, la pollution, les gaz à effet de serre, mais aussi la congestion routière et la frustration entraînée par les embouteillages.
D’après lui, il y a un potentiel pour lancer une économie circulaire, créer des emplois locaux et valoriser les compétences locales. «C’est aussi une chance pour améliorer notre qualité de vie tout en nous donnant une meilleure santé. Avec l’ère post-Covid-19, c’est une solution idéale contre la transmission du virus que nous voyons dans le transport public. Et avec la guerre en Ukraine, cela nous fera des économies en devises étrangères», recommande le professeur.
D’après le Dr Sidharth Sharma, Group CEO de RHT Holding Ltd, également membre du Road Safety Committee, le «bikenomics» est un parfait exemple d’un mode de transport qui convient pour la micromobilité. Pour en faire une réalité à Maurice, il estime que les autorités devront se pencher sur l’amélioration de l’infrastructure routière en termes de pistes cyclables dédiées à ces véhicules. «Un plan holistique de transport est indispensable si on veut mettre en place un plan de mobilité fiable. Celui-ci doit être axé sur des supports multimodaux et la technologie. Il y a eu plusieurs expériences de vélos et beaucoup n’ont pas marché comme le Vélib’ en France. Cependant, nous remarquons que des pays plus petits, comme l’île de la Réunion, ont déjà mis en oeuvre avec succès un tel projet depuis 2021», affirme-t-il. Par exemple, l’Alter vélo libre-service, un système de location de vélos en libre-service confié à la société Semittel, a distribué, dans dix stations, 80 vélos à assistance électrique disponibles à la location pour les Réunionnais et les touristes.
Selon lui, il est vital d’évaluer la tarification d’un tel service en milieu urbain. Idem pour le mode de paiement, étant donné que le service repose sur le principe que les clients peuvent accéder au service sans l’intervention d’un opérateur via leur smartphone, souscrire à un abonnement, déverrouiller automatiquement un vélo et le restituer au terme de leur déplacement. «Nous sommes convaincus que ce nouveau mode de transport sera largement accepté et adopté par nos concitoyens, surtout la jeune génération, ce qui aura certainement un impact positif sur les embouteillages et l’environnement», souligne Sidharth Sharma.
Bikenomics, l’idée d’Elly Blue sur papier depuis 2016
Depuis 2016, l’ouvrage «Bikenomics» d’Elly Blue vante les mérites du vélo pour sauver l’économie. Selon Sunil Dowarkasing, l’auteur offre une nouvelle perspective surprenante et convaincante sur la façon dont nous nous déplaçons et dépensons notre argent en tant qu’individus, familles et société. Examinant les coûts de transport réels des Américains avant de passer aux dépenses civiques actuelles de notre système de transport, Elly Blue raconte les histoires d’individus, d’organisations et de villes investissant dans le transport à deux roues. Le mouvement cycliste nord-américain aux multiples facettes, avec ses contradictions, ses défis, ses succès et ses visions, est révélé, ce qui rappelle à notre interlocuteur la campagne menée avec Greenpeace International pour les alternatives de transport dans les villes mondiales.