L’exemple vivant de ce que nous reprochent les touristes : Trou-Aux-Biches, la descente aux enfers

4 years, 10 months ago - 6 June 2019, Le Mauricien
L’exemple vivant de ce que nous reprochent les touristes : Trou-Aux-Biches, la descente aux enfers
Trou-aux-Biches est considérée comme l’une de plus belles plages du pays, mais elle est en passe de perdre ce statut envié par les autres localités de l’île.

Pire, elle est actuellement le reflet vivant de ce que nous reprochent les touristes concernant la dégradation de l'environnement à cause de la combinaison des actions négatives de l'homme et de la nature et du comportement des usagers des plages mauriciennes qui contribuent, de leur côté, à rendre le pays de plus en plus.

Il y a d'abord l'érosion de la plage qui est le résultat de mauvaises décisions prises par les autorités. Puis, il y a une nette dégradation de cette plage par le manque d'entretien qui permet aux mauvaises herbes de s'étendre sur les étendues de sable là où l'érosion est encore absente. Il y a aussi une dégradation de la qualité du sable, conséquence de la fréquentation abusive et illégale de 4×4 et de vans sur la plage et les pollutions associées, au point où le fameux sable fin blanc est devenu une pâte noirâtre. Enfin, on y note, depuis quelque temps, un manque de respect flagrant de cette plage par des visiteurs qui laissent, sur le sol, leur détritus, mais aussi souvent dans les cours privés des riverains où ils s'installent sans gêne pour ne pas dire avec provocation.

L'érosion naturelle induite par de mauvaises décisions de l'homme

Dans un article de Week-End en 2018, il était fait état de la dégradation de la plage de Trou-aux-Biches. A cette époque, on ne faisait état que de sa dégradation naturelle qui était due à un phénomène d'érosion accélérée. Ce constat accablant à l'époque a pris plus d'ampleur ces jours-ci. Le sable et le gazon, malgré des aménagements spéciaux, continuent à disparaître à vue d'œil en aval du débarcadère, dont le bord a été pavé de roches qui servent plus d'accélérateur aux vagues ; des sacs de sable à même le banc de sable dont l'effet attendu de rétention du sable s'est finalement avéré vain. Il n'y a même plus de passage devant les bungalows, il faut marcher dans l'eau qui jouxte les murs des campements. La plage s'est progressivement rétrécie, jusqu'à perdre totalement son sable.
Au point où certains riverains tentent de récréer des zones de plages devant leur résidence.

Les causes de cette érosion étaient expliquées par l'océanographe et expert en environnement, Vassen Kauppaymoothoo, qui affirmait à Week-End : « Si l'érosion est un phénomène naturel, il n'en demeure pas moins que l'activité humaine en est aussi responsable. Les causes du phénomène d'érosion accentuée, principalement à Trou-aux-Biches, sont, d'une part, anthropiques, résultant de l'intervention de l'homme avec le dynamitage et l'élargissement de la passe et, d'autre part, tout cela est combiné à d'autres causes liées au changement climatique avec le relèvement du niveau de la mer, la mort des coraux causée par le réchauffement des masses d'eaux océaniques. En effet, les coraux jouent un rôle crucial dans la dissipation de l'énergie océanique des vagues avant que ces dernières n'atteignent le rivage. On a joué à l'apprenti sorcier en considérant diverses problématiques dans leur isolement sans prendre en considération les interactions complexes et les effets à long terme que ces interventions pourraient avoir sur la dynamique sédimentaire des plages uniques de cette partie de notre île ».
Il faisait déjà ressortir que les conséquences d'une telle érosion sont dramatiques. « « Cette accentuation ne laisse présager rien de bon pour la plage mythique de Trou-aux-Biches, et aura des conséquences irréversibles sur le secteur touristique, mais aussi sur nous, les Mauriciens », prévenait-il.

L'océanographe avait lancé un appel pour que les habitants et les opérateurs économiques du coin travaillent de concert pour la sauver. Rien dans ce sens n'a abouti. Dès qu'il y a eu un appel pour des fonds, les riverains, dans leur ensemble, ont joué aux abonnés absents. Un an après, force est de constater que rien n'a été fait, hormis quelques actions individuelles, qui ressemblent bien plus à des solutions à court terme qu'à un règlement durable de la problématique.

Un va-et-vient incessant de voitures et de 4X4 sur la plage

Mais le problème de Trou-aux-Biches ne se résume pas seulement à son érosion. Là où la plage trône toujours, c'est à sa dégradation en direct que nous assistons. D'abord, il y a un manque d'entretien flagrant de la plage et elle est de plus en plus envahie par des visiteurs qui délaissent la plage publique de la localité, à côté du Trou-aux-Biches Hôtel, pour envahir celle qui se trouve devant les bungalows et qui, selon la réglementation en vigueur, ne devrait être qu'un lieu où peuvent transiter les visiteurs.

Pourtant, chaque week-end, c'est un défilé de voitures dans les deux accès à la mer qui ont survécu à Trou-aux-Biches, contrairement à d'autres villages touristiques de l'île. Certains n'hésitent pas à utiliser cette plage comme rond-point pour regagner dans le bon sens la route côtière. En faisant fi de ceux qui bronzent au soleil et ces nombreux enfants qui font leurs châteaux de sable. Le risque à tout moment d'un accident qui pourrait être mortel et impliquant des enfants en bas âge est très élevé.

D'autres utilisent la plage comme parking devant les bungalows. Non seulement ils cachent la vue de la mer, mais ils débarquent avec chaises et tables et tout l'attirail pour passer la journée, déjeuner ou dîner sur une plage, qui n'a pourtant pas la dénomination publique. Il ne faut pas oublier les marchands de glace qui y font leur va-et-vient tout au long de la journée avec leur bruyante sirène. On se croirait vraiment dans une foire, en tout cas loin de ces plages tranquilles, sécurisées et propres que l'on vend sur les cartes postales.
Ainsi, la grande majorité des riverains qui paient au prix fort la taxe sur les campements ou leurs locataires qui déboursent un pactole pour être là, n'ont plus le droit d'être là et de profiter de la mer en toute tranquillité. Cet envahissement illégal de la plage devant les bungalows avec des véhicules est interdit par la loi, est passible d'une contravention de Rs 10, 000. Mais ni la police ni les garde-côtes, pourtant prévenus et qui seront tenus en premiers responsables si un accident se produisait, ne font rien pour faire respecter les lois de la République sur ces plages où la tension entre visiteurs et habitants est parfois très palpable. Devant cette situation, certains riverains ont érigé des mini-clôtures pour se protéger et mieux marquer leur territoire vital au point de délaisser la plage, qui est pourtant loué très cher par l'Etat, et de laisser l'herbe l'envahir à certains endroits.
Le paradoxe, c'est que les autorités sont très actives sur les plages publiques et, là, elles font, sans coup férir, respecter cette même loi pour qu'aucune voiture ne puisse pénétrer sur la plage. Bien plus, les autorités ont aménagé des parkings pour que les usagers des plages soient sécurisés et passent leur journée au calme.

Pourquoi ce laxisme devant les bungalows ? En tout cas, elles encouragent des agressions de plus en plus fréquentes sur les propriétaires de bungalow et les touristes sur les plages, mais surtout la transgression du droit à la propriété privée. En effet, les pique-niqueurs, lorsqu'ils ne s'installent pas sur la plage, ne se privent pas d'envahir des cours, surtout en l'absence des propriétaires pour festoyer en laissant sans vergogne leurs détritus au sol, malgré des poubelles mises à leur disposition.

Surexploitation des bateaux

Depuis quelques années, ces accès à la plage sont devenus un point de dépôt pour ceux qui aspirent aller faire un tour en mer. Et les plaisanciers viennent y récupérer leurs clients. En sus de cela des propriétaires de bateaux viennent y déposer ou enlever leur embarcation en utilisant leur 4X4 ou autres véhicules. Ces deux activités ont augmenté de façon spectaculaire les allées et venues entre la route et la plage, si bien que le sable fin blanc s'est sali, est devenu une pâte noirâtre qui a rendu une partie de la plage de Trou-aux-Biches, infréquentable, d'autant plus que lors de grosses pluies de petits canauxse forment et répandent leur décomposition aux alentours.

Cette croissance d'activités nautiques à Trou-aux-Biches a entraîné une multiplication de bateaux de toutes sortes allant de la pirogue aux speed boats les plus luxueux dans cette baie qui est de plus en plus surexploitée au point de détériorer la faune at la flore avec les conséquences que cela présente pour son environnement marin. Ce trop-plein d'embarcations a augmenté les points de mouillage au point d'avoir envahi la zone de baignade qui s'est rétrécie comme une peau de chagrin et qui représente du coup un danger potentiel pour ceux qui s'aventurent dans l'eau.

Trou-aux Biches est en train de perdre son lustre d'antan. Très, trop rapidement. Les touristes rencontrés sur la plage et les riverains le déplorent avec regret et inquiétude. Même ceux qui en tirent des bénéfices s'en inquiètent. Tout le monde constate, mais personne ne réagit. Les autorités laissent faire soit par calcul, soit par incompétence Mais Trou-aux-Biches n'est que le sommet de l'iceberg de la dégradation de l'environnement et des mœurs de fréquentation et d'exploitation touristique des plages. En attendant, le littoral mauricien risque de se vider laissant de nombreux opérateurs économiques des régions avoisinantes dans une descente aux enfers, dont peu, aujourd'hui mesurent la portée réelle !