Octroi du permis de conduire: un système totalement dépassé

1 year, 1 month ago - 25 September 2023, lexpress.mu
Octroi du permis de conduire: un système totalement dépassé
Les accidents fatals pour cette année 2023 – alors que nous sommes toujours en septembre – avaient causé 105 morts à hier, contre 108 pour l’ensemble de 2022.

Un chiffre qui affole et qui relance le débat sur les procédures pour obtenir le permis de conduire. Faut-il tout revoir ?

L’accident mortel du policier Vishal Goodur, 51 ans, mercredi, fait réagir. Il a été percuté par un jeune de 19 ans qui venait en sens inverse. Selon les informations obtenues de la police, ce dernier n’avait que récemment obtenu son permis. Est-ce qu’il faut revoir les examens pour l’obtention du permis de conduire ? C’est une question qui revient dès lors sur le tapis. Nando Bodha, ancien ministre du Transport, rappelle qu’il existe un cursus, mais que personne ne le suit. Ce cursus inclut 32 heures de leçons de conduite avant de pouvoir passer le test. «Ceci comprend aussi quatre heures de leçons sur l’autoroute et quatre heures de leçons la nuit. Mais comme personne ne respecte le programme, les conducteurs ont des permis sans savoir négocier un rond-point», dit-il. Il est catégorique. Avec l’évolution que le pays a connue, le système d’octroi du permis actuel est totalement dépassé.

Selon Iqbal Aubdool, chargé de communication de la Defensive Driving School Association (DDSA), le mode d’octroi du permis a été soulevé à plusieurs reprises, mais les autorités concernées font la sourde oreille. Il martèle qu’il faudrait adopter la même approche qu’à l’étranger. C’est-à-dire avoir un temps d’apprentissage pour tous les aspirants conducteurs. «Il faut obligatoirement qu’il y ait trois à quatre heures de théorie pour tous avant de débuter les cours de conduite. Cela permettra au futur conducteur de se familiariser avec la conduite défensive et de savoir comment se comporter sur la route.» La conduite défensive, soutient Iqbal Aubdool, est primordiale car elle enseigne à la personne qui est au volant «de conduire pour rester en vie malgré les conditions qui l’entourent». Le chargé de communication de la DDSA explique qu’à l’étranger, il y a une durée d’heure d’apprentissage requise en vue d’obtenir son permis et que cela devrait être également le cas à Maurice.

Conduite défensive

«Le contexte du pays a changé. La flotte automobile a augmenté, les gens sont soumis à plus de stress, les voitures sont plus puissantes. Mais le test pour le permis, lui, n’a pas évolué», avance Nando Bodha. Il est rejoint dans ses propos par Iqbal Aubdool. Il estime que la réintroduction du permis à points n’est pas la solution. Par contre, un changement des examens du permis aiderait à réduire le nombre d’accidents.

Actuellement, dans le pays, plusieurs jeunes décident d’apprendre à conduire avec des proches et de ne se rendre qu’à deux ou trois sessions d’auto-école avant de se présenter à leurs examens. Ce qui n’est pas logique car les auto-écoles ne peuvent pas tout leur enseigner en si peu de temps. À Maurice, rappelle Nando Bodha, une personne peut apprendre à conduire avec un conducteur qui a au moins cinq années d’expérience. «L’auto-école n’est pas obligatoire. C’est un non-sens car les aspirants conducteurs ne sont pas formés comme il faut.»

Que faudrait-il faire ?

L’ex-sergent Barlen Munusami – qui a longtemps servi à la Traffic Branch avant de prendre sa retraite, auteur du «Guide complet du conducteur», ouvrage maintes fois réédité, et expert en sécurité routière – déclare que l’apprentissage actuel se limite à une approche uniquement axée sur l’examen. «Cela signifie que l’élève apprend simplement le strict minimum pour réussir ses examens et non ce qui ferait de lui un bon conducteur.» Selon lui, il est impératif d’introduire un carnet d’apprentissage, qui serait validé et contrôlé par la police, pour tous ceux qui souhaitent obtenir le permis.

Cela mettrait un frein à l’apprentissage sans moniteurs. L’apprentissage devrait englober plusieurs aspects pour l’obtention ou pas du permis de conduire. Il suggère notamment d’évaluer le conducteur sur plusieurs points, tels que la manière de négocier un rond-point, les intersections, le maintien de sa voie ou encore la conduite en cas d’aquaplaning. Il propose également d’enseigner les bases de la mécanique, comme le changement d’une roue, les actions à entreprendre en cas de panne sur la route ou simplement le remplissage d’un formulaire en cas d’accident de la route.

Barlen Munusami aborde également le point soulevé par Iqbal Aubdool concernant l’introduction de la théorie sur la conduite défensive. Nando Bodha abonde dans le même sens. «On sait tous freiner, mais on n’apprend pas à freiner en cas d’urgence. Ou encore, à conduire par temps pluvieux. Ce n’est pas qu’après avoir eu le permis que le conducteur le découvrira. Tout ceci fait partie de la conduite défensive», dit-il.

Auto-écoles marrons

Barlen Munusami va plus loin en dénonçant le problème lié aux moniteurs d’auto-école, affirmant que certains d’entre eux proviennent de l’ancien système et ne se recyclent pas, notamment à travers des refresher courses. Il indique, qu’auparavant, il y avait un seul centre de conduite aux Casernes centrales avec 150 à 160 moniteurs d’auto-école. Cependant, aujourd’hui, il y a deux autres centres, à Curepipe et à Flacq, avec moins de moniteurs. Selon lui, cela encouragerait la présence de moniteurs d’auto-école illégaux. «Depuis 2021, 45 personnes ont réussi les examens dans le but d’obtenir le permis d’opération en tant que moniteurs. Mais à ce jour, elles attendent toujours. Il est crucial de se poser la question : pourquoi ? Parmi ces personnes, 15 possèdent même une maîtrise ; elles auraient définitivement contribué à offrir un bon niveau de pédagogie aux jeunes chauffeurs.» Il souligne ce qui se passe actuellement, notamment que les moniteurs existants doivent se partager les trois centres et se concentrent uniquement sur les examens, mais pas sur l’apprentissage qui se fait à ce moment avec ceux opérant dans l’illégalité. Nando Bodha, lui, avance qu’il faudrait impérativement mettre sur pied une école de formation pour les moniteurs, même ceux de poids lourds.

Plans précédents

Anil Bachoo, ancien ministre des Infrastructures publiques et du Transport, rappelle ce qui avait été fait avant 2014 pour contrer les accidents de la route. «Vous vous souvenez de la campagne de 2014 par rapport aux speed cameras et qui avaient même arrêté de fonctionner par la suite pendant un moment. Cela, au lieu d’augmenter le nombre à travers le pays pour justement limiter les accidents. Il en va de même pour le permis à points qui a servi comme argument phare lors de la campagne électorale de 2014.»

Pour lui, l’ancien gouvernement travailliste avait un plan d’action avec l’introduction d’un Training Centre. «Nous avions déjà repéré un terrain en ce sens à Ébène, mais nous n’avons pas pu aller au bout de notre projet. Revoir seulement les examens n’est pas la solution ; il est important de revenir avec les ‘Training Centres’ pour les aspirants chauffeurs.» Et puis, dit-il, pour les jeunes chauffeurs, il faut émettre des permis probatoires sur une à deux années avant de leur accorder le permis. Ceci pourrait contribuer à ce qu’ils soient plus vigilants et responsables sur les routes. En dernier lieu, Anil Bachoo parle des Road Safety Audits qui devraient être faits pour situer les dead spots et ainsi prendre les actions nécessaires. «À mon époque, nous l’avions fait et avions décelé quelque 100 zones mortes...»

Alain Jeannot, président de Prévention routière avant tout (PRAT), parle lui d’une société qui a beaucoup évolué. Ainsi, il est impératif qu’il y ait un changement de mentalité en ce qui concerne la sécurité routière. «Les examens de conduite ne doivent pas rester statiques. Il faut y ajouter une dimension sociale et psychologique, allant même jusqu’à faire une évaluation de la personne si besoin est. Car il ne faut pas oublier que 90 % des accidents sont causés par le comportement humain...» Selon ce dernier, il faudrait ainsi une remise en question perpétuelle et réaliser que «nous ne sommes pas que des chiffres sur la route mais des êtres d’émotions. Ainsi, réfléchissons sur nos responsabilités sur la route afin de ne pas transformer ces engins en des armes de destruction massive...»