Tourism Authority: Plus de 200 opérateurs nautiques bloqués par l’inaction administrative

4 weeks ago - 30 April 2025, lexpress.mu
Tourism Authority: Plus de 200 opérateurs nautiques bloqués par l’inaction administrative
Depuis plus de six mois, les opérateurs de bateaux de plaisance à Maurice sont pris dans une tempête bureaucratique.

Sans directeur à la tête de la Tourism Authority, le comité des licences est paralysé, empêchant le traitement de centaines de dossiers. Pendant ce temps, des bateaux flambant neufs restent cloués à terre, des familles perdent leurs revenus et l’économie bleue mauricienne dérive lentement vers la crise. Témoignages, indignation et appel à l’aide d’un secteur en plein naufrage.

Un opérateur commercial basé à l’Est, détenteur d’une Pleasure Craft Licence, a récemment brisé le silence dans une lettre poignante adressée au ministère du Tourisme. Il y exprime avec désespoir et frustration la situation kafkaïenne dans laquelle il se trouve depuis qu’il a déposé, le 24 décembre 2024, sa demande de remplacement de bateau. Trois mois plus tard, au moment où la haute saison touristique touche à sa fin, il attend toujours que sa demande soit examinée. Pendant ce temps, son bateau flambant neuf – un investissement de près de Rs 4 millions – reste immobilisé sur une remorque, inutilisé, alors que les coûts d’entretien, de stockage et de remboursement bancaire continuent de s’accumuler.

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Des dizaines d’opérateurs dans la même situation, parfois endettés jusqu’au cou, voient leurs entreprises sombrer dans l’incertitude, faute d’autorisation administrative pour exercer leur métier. La faute, selon eux, à une inertie institutionnelle devenue insupportable. Depuis novembre 2024, aucun directeur n’a été nommé à la tête de la Tourism Authority. Or, sans directeur, le comité de licences ne peut légalement siéger, et les dossiers – qu’il s’agisse de nouvelles demandes, de remplacements ou de variations – sont laissés en suspens sans perspective claire.

Répercussions en cascade

L’impact est colossal. Les opérateurs, souvent de petites structures indépendantes, ne peuvent générer aucun revenu en l’absence de licence valide, alors que les banques exigent toujours le remboursement des prêts contractés. Certains en sont réduits à envisager des licenciements. Le même opérateur raconte avec amertume qu’il emploie un skipper et un assistant, eux aussi plongés dans l’incertitude et incapables de subvenir aux besoins de leurs familles. Il affirme ne plus pouvoir assurer leurs salaires, et redoute de devoir les licencier très prochainement. Cette précarité se propage au-delà de l’équipage immédiat : les chauffeurs, guides, cuisiniers pour les BBQ en mer, marchands ambulants sur les plages… tous subissent indirectement les conséquences d’un tourisme paralysé sur les lagons.

L’ironie de la situation est d’autant plus frappante que l’île Maurice mise énormément sur son image de destination touristique de rêve, où les activités nautiques jouent un rôle central dans l’expérience offerte aux visiteurs. Or, ces mêmes acteurs du terrain, qui représentent l’un des visages les plus visibles de l’industrie touristique mauricienne, se sentent aujourd’hui abandonnés et ignorés. L’un d’eux résume la situation ainsi : «Ce n’est pas notre faute si la Tourism Authority n’a pas de directeur. Pourtant, ce sont nos familles, nos employés, nos clients qui en paient le prix fort.»

Divergence de traitement

Face à cette détresse généralisée, certains opérateurs se demandent aussi s’il existe une inégalité de traitement. Un cas a particulièrement suscité la colère : celui d’un opérateur basé à Trou-d’Eau-Douce, dont la demande a été approuvée le 18 avril 2025, alors même que d’autres attendent depuis des mois. Comment expliquer cette décision isolée dans un contexte de blocage général ? Cette exception soulève de nombreuses interrogations parmi les opérateurs du secteur, qui réclament désormais plus de transparence dans le processus d’évaluation des dossiers.

Lassés d’attendre et se sentant exclus du système, plus de 200 opérateurs ont décidé d’adresser une lettre ouverte au Premier ministre. Dans ce texte, ils dénoncent un système «sans cœur, sans plan, sans urgence». Ils y posent plusieurs questions fondamentales : pourquoi l’absence d’un seul directeur peut-elle mettre à l’arrêt tout un secteur ? Pourquoi ne pas permettre au président du comité, nommé depuis janvier 2025, de convoquer une séance exceptionnelle pour débloquer les demandes en souffrance ? Pourquoi le traitement administratif est-il si long dans le secteur touristique, alors que des centaines de véhicules sont enregistrés quotidiennement à la National Land Transport Authority sans le moindre retard ?

Dans leur lettre, les opérateurs affirment qu’ils ne demandent pas de privilèges, mais simplement le droit de travailler. Ils rappellent leur rôle fondamental dans l’économie bleue: générateurs d’emplois directs et indirects, ambassadeurs de l’île auprès des touristes, acteurs d’un tourisme durable qui fait vivre des milliers de familles mauriciennes. Pourtant, contrairement à d’autres secteurs comme la pêche, ils ne bénéficient d’aucun filet de sécurité : pas d’allocation en cas de mauvais temps, pas de soutien pour le marketing, pas d’exonérations fiscales sur les pièces marines, ni même de subventions pour les gilets de sauvetage.

Face à la pression médiatique et à la grogne montante, la cellule de communication du ministère du Tourisme a tenu à réagir. Dans une déclaration transmise à la presse, elle indique que les demandes existantes de licences commerciales pour bateaux de plaisance sont bel et bien à l’étude. Ces dossiers, affirme le ministère, seront présentés lors des prochaines réunions du comité, à condition qu’ils soient complets et conformes à la politique en vigueur. Elle précise également que le nouveau comité, constitué le 30 janvier 2025, a déjà tenu deux réunions depuis sa mise en place, dans le but de rattraper le retard accumulé en 2024, année durant laquelle le comité ne s’était réuni que cinq fois.

Mais pour les opérateurs, ces promesses restent insuffisantes. Nombreux sont ceux qui n’ont toujours pas reçu de réponse ou même d’accusé de réception de leur dossier. D’autres dénoncent l’absence de calendrier clair pour la tenue des prochaines réunions du comité, et surtout l’absence de mécanisme temporaire en cas de vacances à la direction. À l’approche des consultations pré-budgétaires pour l’exercice 2025-26, les opérateurs espèrent que le gouvernement en profitera pour reconnaître officiellement leur rôle dans le tissu économique mauricien. Ils réclament une réforme en profondeur du processus de délivrance de licences, un soutien structurel et fiscal adapté, et surtout, une gestion plus réactive de la Tourism Authority. Car si la mer est leur terrain de jeu et leur gagne-pain, elle ne peut rien contre les vents contraires de la bureaucratie. En l’absence de mesures urgentes, ce sont non seulement des entreprises qui risquent de faire naufrage, mais aussi toute une filière touristique qui se retrouve à flotter sans cap.