C’est ce qu’affirme Saleem Bacsou, vice-président de l’Union of Bus Industry Workers (UBIW). Dans l’interview qui suit, il dit sans ambages que le métro n’est pas en train de résoudre le douloureux problème de la congestion routière. Tout en affirmant qu’il n’est pas contre le métro ou le développement dans l’industrie du transport, il souligne que les autorités auraient dû prendre On Board les suggestions de l’UBIW pour maintenir l’emploi dans ce secteur.
Le vice-président du syndicat trouve aussi étonnant qu’il n’y ait pas de distanciation sociale dans les autobus. Pour lui, le ministre du Transport, Alan Ganoo, doit démissionner s’il n’est pas capable de résoudre les problèmes des travailleurs de cette industrie. Pour l’UBIW, le gouvernement est en train à la fois de tolérer les opérateurs illégaux dans ce secteur et de favoriser Metro Express. Cette situation a fragilisé les finances des compagnies d’autobus. Il propose la nationalisation du transport en commun pour que les receveurs et chauffeurs ne connaissent pas le même sort que les natifs des Chagos.
Pourquoi les travailleurs du transport ont peur du Metro-Express ?
Ce mode de transport alternatif soulève beaucoup de craintes chez les travailleurs du transport en commun. D’abord, le Metro-Express a commencé à opérer sur la route No 1. Il fera bientôt son entrée sur les routes No 2 et No 3. Ce sont, au fait, des routes qui ont pris naissance ensemble avec les travailleurs du transport. Ces routes ont duré grâce au courage et à la sueur des travailleurs du transport. Ce sont là nos territoires, les lieux mêmes où les travailleurs du transport travaillent de 5h à 21h au rythme de 24/7. Nous travaillons peu importe le temps.
Maintenant, le métro veut coloniser nos territoires. C’est une colonisation à la manière des Chagos. C’est-à-dire une colonisation sans consultation avec les travailleurs du transport. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est venu dire que la façon dont les Anglais ont colonisé lrs Chagos constitue une grande injustice pour les natifs de cet endroit. Et l’UBIW est en train de dire au chef du gouvernement que nous subissons aussi une grande injustice.
Est-ce que l’UBIW est contre le métro ?
L’UBIW n’est pas contre le métro. Nous ne sommes nous pas non plus contre la modernisation et le développement dans ce secteur. Cependant, il faut que la modernisation se fasse en consultation avec les travailleurs du transport en commun. Il faut que nous soyons partie prenante de tout gros projet de développement dans cette industrie.
Plusieurs ministres du Transport ont commis l’erreur capitale d’apporter des changements majeurs dans le secteur du transport sans pour autant consulter les membres de l’UBIW qui sont, au fait, les meilleurs spécialistes dans le secteur. C’est nous qui connaissons en profondeur ce secteur car c’est nous qui côtoyons les passagers du matin au soir. Et c’est encore nous qui connaissons les rouages de ce secteur.
Nous sommes, en fait, en mesure de conseiller le ministère du Transport sur ses décisions. Il est malheureux qu’aucun ministre du Transport n’ait pas eu la décence de nous consulter avant de prendre de grandes décisions. Les ministres prennent des décisions avec des gens qui ne sont pas sur le terrain et qui s’assoient dans leurs bureaux climatisés sans jamais avoir eu l’occasion de faire un déplacement dans un autobus. C’est ainsi que cela se passe.
Est-ce que l’UBIW a déjà rencontré le nouveau ministre du Transport et du Métro, Alan Ganoo ?
Nous avons une rencontre avec le ministre de Transport il y a environ un mois. Nous lui avons fait comprendre que dans ce secteur, nous sommes le principal acteur et que c’est pourquoi il ne suffit pas d’écouter seulement les autres acteurs du secteur. Nous avons expliqué au ministre qu’il y a beaucoup d’institutions dans ce secteur qui prennent des décisions sans discuter avec nous. C’est la même chose du côté des employeurs.
Le ministère de l’Éducation et celui de la Sécurité sociale prennent des décisions pour faire voyager gratuitement les personnes âgées et les étudiants sans pour autant nous consulter. Et ce faisant, nous devenons des victimes de ce système. Ce qui fait que pratiquement toutes les semaines, il y a des cas où les travailleurs du transport sont victimes du système en place. Je cite un exemple. Disons que sur telle ou telle ligne, la NTA exige d’assurer une fréquence chaque dix minutes et si l’employeur ne respecte pas les consignes, ce sont les receveurs qui auront à gérer une telle situation.
C’est pourquoi nous avons demandé au ministre du Transport de mettre sur pied un comité élargi pour écouter les doléances des travailleurs de l’industrie du transport. Le ministre avait laissé entendre que dans deux semaines, le comité serait mis sur pied. Un mois s’est déjà écoulé et on attend toujours la mise sur pied de ce fameux comité.
Maintenant, le ministre vient parler lors d’un séminaire sur la nécessité pour les travailleurs du transport de manger correctement. Mais dans le fond, voilà comment cela se passe. Les employeurs préfèrent acheter des autobus qui puissent transporter un maximum de passagers. Ce faisant, les travailleurs du transport voient leurs activités augmenter sensiblement.
Pour faire face à cette situation, ils doivent apporter leur déjeuner. L’eau que nous apportons pour le déjeuner devient tiède à côté du moteur du véhicule et le repas est très souvent gardé dans la cabine du chauffeur. Parfwa nou bizin avans kankrela akote nous gard manze. Voila la réalité dans laquelle on travaille. Lorsque j’ai vu ce séminaire à la télévision, j’ai souri car les receveurs et chauffeurs n’ont pas de Mess Room dans les gares routières. Certains doivent prendre leur déjeuner dans le bus.
Comment les travailleurs du transport font-ils face au Covid-19 ?
Tous les experts s’accordent à dire que c’est en touchant des surfaces contaminées qu’on peut attraper le virus. Les receveurs d’autobus sont appelés à attraper pratiquement toutes les surfaces dans un autobus pour éviter de trébucher. En sus de cela, on collecte de l’argent avec les passagers. Nous sommes donc un vecteur potentiel pour la transmission du virus. Le moyen le moins cher de combattre ce virus, c’est de se laver régulièrement les mains avec du savon. Or, aucun robinet n’a été installé dans les gares routières.
L’employeur a les moyens pour faire installer ces robinets. Je dois dire aussi que le transport en commun est devenu en quelque sorte une école pour les futurs délinquants. Il n’y a pas de distanciation sociale actuellement dans les autobus. On éprouve parfois des difficultés à faire des passagers porter des masques. Nous savons que dans un autobus, la transmission de ce virus peut se faire très vite.
Il n’y a pas a priori de distanciation sociale dans les autobus. Que pensez-vous de cette situation ?
C’est un véritable problème. Parfois des passagers refusent de porter le masque. Lorsqu’on intervient, cela finit toujours par des engueulades. Parfois, c’est un passager qui demande au receveur de faire respecter le protocole sanitaire dans un autobus. Lorsque le receveur agit, certains passagers deviennent agressifs. Nous savons tous que dans un autobus, c’est un moyen très rapide pour la transmission du Covid-19.
Je suis étonné que le gouvernement ait accepté qu’il n’y ait plus de distanciation sociale dans un autobus. En sus de cela, le transport gratuit encourage les personnes du troisième âge et les élèves à voyager dans les autobus. Lors de la rencontre avec le ministre Ganoo, j’ai dit que le Metro-Express est en train de puiser dans le réservoir des passagers des compagnies d’autobus et de l’autre côté, on est en train de tolérer les taxis marrons et vans marrons qui opèrent sur les lignes desservies par les compagnies d’autobus. Ce n’est certainement pas les travailleurs de l’industrie du transport qui devraient payer les pots cassés.
Si le ministre ne peut gérer une telle situation, il vaudrait mieux qu’il quitte son poste et qu’il parte. Le conseil des ministres du 18 septembre de l’année dernière avait corrigé une discrimination qui existait s’agissant de l’allocation de Rs 1 000. Le ministre du Transport, Alan Ganoo, et le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, sont venus à la télévision pour annoncer cette décision aux travailleurs de l’industrie du transport, approuvée par le Premier ministre. Jusqu’à maintenant je n’ai pas encore vu ou encore touché cette allocation.
Comme moi, une trentaine de travailleurs n’ont pas encore touché cette allocation. Toutes les compagnies d’autobus ont honoré cet engagement à l’exception d’une compagnie privée. Elle a décidé de donner aux travailleurs un Individual Agreement. Ils nous demandent de signer ce document pour avoir droit à cette allocation car c’est l’argent de l’Etat. Nous considérons cet accord comme illégal. La compagnie aurait dû négocier avec l’UBIW qui est le seul à pouvoir négocier avec des travailleurs, Nous avons porté cette affaire devant le ministre du Transport. Il a affirmé qu’il va voir ce dossier. Cela fait un mois qu’on attend. J’ai porté également l’affaire devant le ministère du Travail.
Des inspecteurs dudit ministère sont allés chez la compagnie en question pour s’enquérir de la situation. La compagnie attend le point de vie de son homme de loi. Tout cela est très drôle. L’application de cette décision du gouvernement dépend du point de vue de l’avocat de la compagnie qui n’est autre qu’un député de l’opposition.
Metro-Express se propose d’opérer ses propres Feeder Buses dans certains endroits. Que pensez-vous de cette démarche ?
C’est encore une tentative de brouter les herbes sur nos territoires. Nous ne sommes pas contre le développement. Mais demandons au ministre Ganoo une rencontre pour discuter de nos propositions. Pourquoi pas le VRS ? Avec ce système, tout le monde est gagnant. Mais avec le système que propose le gouvernement, on finira les habitants de Diego Garcia. Il faut poser la question pourquoi le système de Feeder Buses n’a pas marché la dernière fois. Le système n’a pas marché parce que les gens ne savaient pas à quel intervalle ils auraient droit aux Feeder Buses. Si le gouvernement était venu avec un système informatisé indiquant à quelle heure ces bus allaient passer, ils auraient été remplis.
Pourquoi l’UBIW est-elle en faveur de la nationalisation ?
Les travailleurs du transport, comme ceux de la fonction publique, sont appelés à côtoyer directement le public. Toutes les grandes décisions sont prises par le gouvernement. L’employeur a le droit seulement de convoquer un travailleur devant un comité disciplinaire. Les opérateurs d’autobus du secteur privé prennent des instructions auprès du gouvernement pour savoir quelles routes il faudrait desservir. Les compagnies d’autobus ont pris aussi des engagements pour opérer des autobus et de faire en sorte qu’à la fin du mois, les travailleurs soient rémunérés, selon les dispositions de la loi. C’est justement pour cela que les jeunes entrent dans l’industrie du transport pour faire leur avenir et fonder plus tard une famille.
Maintenant si l’employeur n’est pas en mesure d’honorer ses engagements salariaux envers ces travailleurs, nous demandons que le gouvernement s’occupe de nous à travers le processus de nationalisation. Si aujourd’hui, les recettes des compagnies d’autobus sont en train de diminuer, c’est bien parce que le gouvernement autorise le métro, les taxis marrons et les vans marrons. Si les compagnies n’arrivent pas à assurer d’emploi des travailleurs de ce secteur, le gouvernement doit Take Over ces compagnies. L’avantage de la nationalisation est que les travailleurs sont couverts à la fois par le Pay Research Bureau et le National Remuneration Board. C’est une décision facile à prendre car c’est le gouvernement qui contrôle les subsides, les tarifs, les routes, etc.
Considérez-vous que ceux qui paient leur ticket quotidiennement sont moins nombreux que ceux voyagent gratuitement ?
Je dois répondre à cette question par une anecdote. J’ai rencontré un travailleur la dernière fois, il me demandait combien cela coûte pour voyager d’un endroit à un autre. J’ai fait le calcul pour lui car il a besoin de cela pour présenter à son employeur afin qu’il calcule son allocation de transport. Une fois qu’il a obtenu son allocation de transport, il commence à voyager à bord des taxis-trains ou taxis marrons. C’est qui fait que parfois nos passagers sont seulement les personnes du troisième âge et les étudiants qui ne paient pas leur ticket.
Nous ne pouvons être tenus responsables si les passagers choisissent d’autres moyens de transport pour se déplacer. Il y a quelque part une volonté du gouvernement de ne pas arrêter ces opérateurs illégaux car il aura à gérer d’autres problèmes. Donc, les autorités laissent perdurer cette situation.
Maintenant le gouvernement est en train de venir avec des terminaux. Les travailleurs du transport opèrent matin et soir dans ces endroits. Nous allons devenir des étrangers maintenant dans ces terminaux. Les gares routières sont nos territoires. C’est là qu’on converge. On sort tôt le matin chez soi lorsque nos enfants dorment encore. On rentre le soir, après le coucher de soleil lorsque nos enfants sont prêts à aller au lit. On passe la majeure partie de notre temps avec les passagers plutôt qu’avec les membres de nos familles.
C’est un sacrifice énorme et aujourd’hui mon enfant va dire que son père a passé toute son existence dans une gare routière et qu’il va devenir un étranger à cet endroit, tout comme les natifs des Chagos. Figurez que dans le cadre de tout ce développement, on n’a pas pensé à aménager un Mess Room pour les travailleurs du transport. C’est pour cela qu’on dit que si le ministre Ganoo ne peut gérer l’industrie du transport, que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, prenne une décision et mette à sa place une personne qui est ouverte aux discussions.
Les agressions à l’encontre des chauffeurs et receveurs d’autobus se poursuivent. Que faudrait-il faire ?
Je dois admettre que le nombre d’agressions est en train de diminuer. Je me souviens avoir déjà eu une rencontre avec un haut gradé de la force policière à ce sujet. Il m’avait demandé tout simplement quelles sont les mesures prises par les compagnies d’autobus pour mettre frein à ces agressions. À ce jour, tout le monde pense qu’avec les caméras installées dans les autobus, les choses vont changer.
Au lieu de fixer ces caméras sur les agresseurs, ces caméras sont fixées sur les travailleurs et sur les lieux où ils gardent leurs nourritures. Maintenant, ces caméras sont utilisées pour emmener les travailleurs devant des comités disciplinaires. On est en train d’utiliser ces caméras pour les sanctionner plutôt que de les protéger.
Nous avons proposé des visites surprises de la police du transport dans les autobus, cela sera une mesure dissuasive pour les éventuels agresseurs. Cela va empêcher les délinquants d’agir. Jusqu’ici, il n’y a pas eu de retour de la part des autorités à propos de cette demande. Chaque hôpital dispose d’un poste de police pour protéger le personnel soignant. Mais les travailleurs du transport travaillent dans des endroits isolés et parfois tard. Nous sommes vulnérables à ces agressions.
C’est dans les autobus que les élèves apprennent à mentir sur leur âge. Certains disent qu’ils vont à l’école mais ils atterrissent au Caudan Waterfront ou à Bagatelle. Pour moi, les autobus sont devenus pour certains jeunes l’ABC de la délinquance. Nous demandons donc au gouvernement de mettre sur pied une unité pour faire des visites surprises dans les autobus afin de combattre ce genre de criminalité.
Pourquoi les jeunes volent rarement dans les supermarchés ? Tout simplement parce que les sanctions sont sévères dans un supermarché, contrairement dans les autobus. Le système actuel encourage les jeunes à tricher et frauder. Il faut organiser une table ronde pour que nous puissions formuler des suggestions. Un gouvernement est responsable du développement et du progrès économique d’un pays. Il met aussi en place des lois et des règlements. Les employeurs ont tendance à ne pas respecter les dispositions des lois du travail.
Il est également impossible d’affecter des inspecteurs du ministère du Travail dans chaque gare routière et c’est nous qui en quelque sorte venons compléter leur travail. Nous veillons que l’employeur respecte les conditions de travail. La seule différence est que nous ne sommes pas rémunérés pour ce travail. Il faut savoir aussi que le taux de syndicalisation dans le privé est extrêmement bas. Les travailleurs ont peur de se faire syndiquer.
Comment se déroulent les négociations pour un nouvel accord collectif dans ce secteur ?
Notre accord collectif a pris fin le 30 avril 2016. À ce jour, nous avons perdu deux accords collectifs et deux augmentations salariales. C’est cela que nous avons demandé au ministre du Transport : pour compenser ces cinq années, il faudrait intégrer cette allocation de Rs 1 000 dans le salaire de base des travailleurs. Les membres de l’exécutif de l’UBIW vont bientôt se réunir pour se pencher sur cette allocation de Rs 1 000 car le gouvernement avait fait savoir qu’après avoir accordé cette allocation à partir de janvier 2020 et suite aux négociations, un nouveau protocole salarial allait entrer en vigueur en août 2020.
Avec le confinement sanitaire, les négociations n’ont pu avoir lieu. Maintenant nous sommes en train de demander au gouvernement d’ouvrir les négociations sur les salaires qui sont au statu quo depuis cinq ans. Les conditions de travail pour les Casual Workers sont devenues pénibles en ce moment.
On dit que la loi est plus souple pour les travailleurs du transport concernant la retraite. Est-ce vraiment le cas ?
J’ai été surpris d’apprendre qu’un ministre est venu dire que les travailleurs du transport peuvent prendre leur retraite à 60 ans au lieu de 65 ans. La loi qui gouverne les travailleurs du transport indique que nous pouvons prendre notre retraite à l’âge de 55 ans à travers l’Optional Retirement. Si le ministre en question avait une ligne de communication avec nous, il aurait su qu’il est en train de faire fausse route en affirmant ce fait erroné croyant bien faire.