Transport en commun en zone rurale : Les oubliés de la mobilité

1 year, 1 month ago - 20 March 2023, Le Mauricien
Transport en commun en zone rurale : Les oubliés de la mobilité
l Les usagers des lignes reliant le Victoria Urban Terminal (VUT) et certains villages de Flacq au bord de la dépression nerveuse l Ces propriétaires d’autobus qui jouent aux abonnés absents… tout en percevant mensuellement les subventions liées au transport gratuit

À très peu d’exceptions près, les zones rurales sont de parfaites illustrations que les réseaux de transport d’autobus individuels demeurent toujours aussi déplorables. Jusqu’à quand durera ce marasme qui ne date pas d’hier ? Le service est réduit drastiquement sur certaines lignes et d’autres sont quasi-inexistants. Il suffit d’emprunter une seule fois l’un des autobus faisant le trajet entre certaines régions de Flacq et le Victoria Urban Terminal, à Port-Louis, pour comprendre le cauchemar enduré au quotidien par les usagers. La situation n’est guère reluisante dans le sud-est de l’île, à l’instar de la ligne reliant Saint-Hubert et Mahébourg (Route 11), et dans l’ouest où une compagnie d’autobus continue à faire la pluie et le beau temps malgré la ribambelle de plaintes dont elle fait l’objet.

Au bord de la dépression nerveuse. Le terme n’est pas trop fort pour décrire le train-train quotidien des centaines de milliers d’usagers des zones rurales devant ronger leur frein avant de trouver trace d’un autobus. Les files d’attente interminables sur les quais et les arrêts d’autobus aux heures de pointe témoignent du marasme qui prévaut, d’où le sentiment de révolte qui anime les voyageurs. Certes, le contexte géographique a une importance significative sur le plan de dessertes des autobus, et les conditions peu propices au développement des lignes dans certains villages, trop peu peuplés ou éloignés des centres d’activités essentiels, ont de quoi refroidir les ardeurs des opérateurs. Mais faut-il pour autant priver ces citoyens de leurs droits à un service de transport en commun décent pour des raisons financières ?

La pilule est d’autant plus dure à avaler à une époque où le Metro Express semble avoir grandement amélioré la qualité de vie et la mobilité de leurs homologues des villes. Les faiblesses et la pénibilité en matière de transports publics dans les zones rurales ont pour toile de fond le nombre insuffisant de rotations qu’effectuent les opérateurs d’autobus individuels. Les retards en série et les modifications d’horaires ont empiré, à tel point que les langues se délient au sein même du personnel des autobus de la Moka Flacq Bus Owners Cooperative Society, qui dessert les lignes reliant Victoria Urban Terminal (VUT) et certains villages de l’est, dont Camp-Thorel (93), L’Espérance (93A) et Bel-Air (113/113A), mais également le trajet Camp-Thorel-Centre de Flacq (15 F). Les habitants de ces régions subissent quotidiennement le calvaire du manque de moyens de transport, malgré leurs appels incessants et répétés aux différentes autorités. La situation se corse dans l’après-midi après une longue journée de labeur.

« Les usagers sont parfois contraints d’attendre, le matin, l’arrivée d’un autobus durant une, voire deux heures ou d’opter, en ultime recours, pour des taxis le matin », souligne une source. Ces contraintes de déplacement sont pénibles, au point d’amener des usagers à vouloir renoncer à accéder ou conserver un emploi à Port-Louis. Mike, résidant à Camp-Thorel et employé dans une compagnie d’assurance à Port-Louis, espère décrocher son permis de conduire dans quelques semaines, car cela fait trop longtemps que ces histoires de déplacements lui « prennent la tête. On ne voit pas la lumière au bout du tunnel. Sans voiture, je ne vois pas comment je pourrai continuer à subir cette pression. »

Là où le bât blesse demeure le fait que trois des 35 autobus individuels auxquels incombe la responsabilité de desservir ces lignes ont disparu des radars depuis un an sans que la National Land Transport Authority (NLTA) ne rappelle à l’ordre leurs propriétaires qui, soit dit en passant, perçoivent mensuellement des subventions mirobolantes liées au transport gratuit des étudiants et personnes âgées. « Les dessertes et le déploiement des autobus avaient forcément considérablement diminué lorsque le Covid faisait rage, mais les choses sont retournées à la normale depuis bien longtemps mais, hélas, force est de constater que trois opérateurs jouent aux abonnés absents depuis un an, bien que touchant leurs allocations. Qu’attend la NLTA pour retirer leur patente ? » s’insurge un propriétaire d’autobus. À Flacq, la tension monte aussi d’un cran face à l’absence d’autobus sur la desserte de Flacq à Curepipe. Suite au transfert des autobus de cette ligne, les habitants voulant se rendre à̀ Curepipe doivent d’abord s’arrêter à̀ Quartier-Militaire, payant ainsi le double du ticket.

Nul besoin d’épiloguer sur le combat que mène Nitin Jeeha, conseiller de village de Saint-Hubert, dans le sud-est, depuis deux ans pour que cesse le calvaire des usagers des autobus desservant la ligne Saint-Hubert/Mahébourg (Route 11). Mais rien n’y fait, malgré deux grèves de la faim et l’organisation de manifestations dans les rues du village. La NLTA n’avait-elle pas donné l’assurance aux habitants, en août dernier, que les deux autobus individuels ayant depuis plus d’un an cessé leurs opérations allaient de nouveau être opérationnels ou remplacés pour enfin soulager leurs peines ? Ces promesses n’étaient finalement que de la poudre aux yeux. Les propriétaires desdits autobus continuent en revanche de toucher leurs allocations de l’État.

La qualité de l’exploitation — avec peu de contrôles sur la régularité, la ponctualité et les normes de sécurité — des opérateurs dans l’ouest du pays laisse aussi à désirer. Une compagnie, qui avait pourtant été interdite en 2022 d’opérer le long des lignes 5 et 243, soit Quatre-Bornes/Baie-du-Cap et Chamarel/Quatre-Bornes, est plus que jamais pointée du doigt pour la médiocrité de ses services et des écarts de conduite de ses « brebis galeuses. » Outre les retards répétitifs, les usagers sont contraints de jouer des coudes pour arracher une place dans des bus sales et vétustes, roulant à pas de tortue dans un premier temps, avant de se lancer dans des excès de vitesse sous le craquement des essieux et des suspensions.

Entre bus unique, manque de places, horaires à la limite des heures scolaires et temps de trajet, les navettes s’apparentent à un véritable parcours du combattant pour de nombreux élèves qui habitent dans ces quartiers en proie au manque latent d’autobus qui a également un impact sur la mobilité des personnes âgées qui se voient contraintes, avec la perte d’autonomie, de se reclure chez eux. Plusieurs pistes de réflexion pourraient faire évoluer les réseaux de transport ruraux dans le bon sens, sauf que c’est la politique de l’autruche que l’on pratique depuis des lustres.