Le viaduc reliant Coromandel à Sorèze, dont les travaux avaient commencé en avril 2018, a été inauguré le 10 mars 2024. Le coût ? Cela varie selon la source d’information : entre Rs 3,6 milliards et Rs 4,31 milliards ! Officiellement, jamais aucun chiffre n’a été avancé. Répondant à une question parlementaire, le 26 mars, sur ce pont, le ministre des Infrastructures nationales, Bobby Hurreeram, avait surpris en n’élaborant pas, contrairement à son habitude et à celle de son Premier ministre, sur toute l’histoire de ce projet et, encore moins, sur son coût. Ni sur les consultants et les constructeurs désignés.
Il faut savoir que c’est Korea Expressway Corporation (KEC) qui avait été choisie initialement pour le design par le Conseil des ministres les 1er avril et 21 octobre 2016. Il n’y avait pas eu d’appel d’offres car, nous expliquait Nando Bodha en juillet 2021 – il avait déjà démissionné comme ministre ; mais il avait conservé la langue de bois de ministre – que c’était parce qu’après trois appels d’offres en 2015 et 2016, «pas un seul consultant qualifié n’avait répondu à l’exercice». Tout était dans le mot «qualifié», ce qui voudrait dire que les consultants intéressés par les gros projets de pont Dowlut et pont SAJ ne satisfaisaient pas les critères, on ignore lesquels. Le contrat avait été signé en novembre 2016 pour la Road Development Authority (RDA) par Claude Wong So et Das Mootanah, chairman et officer-in-charge de cet organisme à l’époque.
En fait, ce sont les services des compagnies coréennes privées Cheil Engineering et Kyongdong Engineering qui avaient été retenus par la RDA pour la conception mais elles étaient représentées par la compagnie d’État KEC ; on ne sait pas sous quelle formule. En tout cas, cela avait permis de passer un contrat G-to-G entre les gouvernements mauricien et coréen du sud, court-circuitant ainsi la procédure d’appel d’offres. Commode pour ne pas répondre aux parlementaires trop curieux !
Rs 500 millions jetées
Ces frais de consultant d’un montant de Rs 500 millions ($ 10 833 000) – que l’on a pu avoir quand même – avaient fait polémique, car jugés prohibitifs par le député rouge Osman Mahomed. La lettre allouant ce contrat faramineux – rien que pour les services de consultant – avait été signée par Das Mootanah le 11 novembre 2016. Mais ce que l’on savait moins, c’est que la conception architecturale, constituant la moitié de ces frais de consultant payés aux Coréens, avait été jetée à la poubelle par la RDA après que le consortium de constructeurs choisi Transinvest-GCC-Bouygues Travaux Publics-VSL International avait fait comprendre à la RDA que le plan des Coréens n’était pas fiable.
Un ingénieur avait trouvé cela étrange et nous avait rappelé que les Coréens, qui construisent des navires, des voitures, etc. sont aussi bons, sinon plus performants, que les Européens. Cependant, le choix des Coréens avait quand même interpellé en 2021, lorsque l’on avait évoqué le lien d’un responsable de la RDA de l’époque avec les Coréens et le voyage de Nando Bodha au pays du matin calme alors que celui-ci nous avait fait comprendre que c’est le gouvernement coréen qui avait approché le gouvernement mauricien et non l’inverse. Le consortium de constructeurs avait alors proposé sa propre conception et s’est fait payer, rubis sur ongle, Rs 155 millions ! Et l’on ne sait pas – et Bodha encore moins – si les sommes faramineuses payées à KEC ont été remboursées ni même réclamées.
«Two-in-One»
Le coût total du projet du viaduc aurait atteint Rs 4,31 milliards alors que le coût initial budgété lors de l’allocation du premier contrat s’élevait à Rs 4,08 milliards mais incluait le pont Dowlut et SAJ Bridge. On ne sait pas trop pourquoi les chiffres n’avaient jamais été donnés séparément pour chaque projet de cette envergure. Cela a en tout cas servi à brouiller les pistes. Et ce n’est pas tout pour le pont SAJ. Il y aurait eu aussi des réclamations supplémentaires de Rs 170 millions pour des dépassements de coût (cost overruns) qui ont été payées par la RDA au consortium Transinvest-GCC-Bouygues Travaux Publics-VSL. On ignore toujours la raison exacte de ces coûts additionnels imprévus qui ont tout de même poussé le gouvernement à mettre la main à la poche (du contribuable !) sans broncher. Nous attendons depuis la semaine dernière les réponses du ministère des Infrastructures nationales et du consortium.
Bouygues-Transinvest
Le consortium (Joint-Venture) de constructeurs pour le pont SAJ, Transinvest-General Construction Company-Bouygues Travaux Publics-VSL International n’en est pas vraiment un. Transinvest, une compagnie de la Hongrie communiste, qui avait obtenu beaucoup de contrats dans les années 80 sous SAJ devient Transinvest (Mauritius) Ltd en 1989, après le démantèlement du communisme en Hongrie. L’unique actionnaire est Transinvest Construction Ltd, elle-même fondée à Maurice en 1986 mais avec COLAS S.A. et A J Maurel comme principaux actionnaires. C’est Transinvest (Mauritius) Ltd qui s’est associée à GCC, Bouygues TP et VSL pour les projets de ponts Dowlut et SAJ. Or, COLAS, actionnaire de Transinvest, est elle-même la propriété du groupe Bouygues qui possède aussi Bouygues TP, associée à GCC, Transinvest Construction et VSL pour ces projets. C’est la même chose pour VSL International qui forme partie du groupe Bouygues. Un vrai casse-tête pour comprendre ce fameux consortium d’entreprises consanguines.
G-to-G et Standards coréens
Dans son discours dans le cadre des débats sur The Construction Industry Development Board (Amendment) Bill au Parlement en 2021, le député Osman Mahomed se demandait si le pays allait se convertir aux standards de construction des autoroutes coréennes après le contrat passé avec KEC. Il mettait aussi en garde contre le contrat G-to-G avec KEC et citait la déclaration de Navin Beekharry à l’express du 12 novembre 2016 : «Les contrats G-to-G sont trop opaques et favorisent la corruption.» «Pas de commentaire !» nous a dit Osman Mahomed, la semaine dernière. «C’est le directeur de la Financial Crimes Commission lui-même qui a dit ce qu’il pense des contrats G-to-G.»
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