Accidents de deux-roues: formation reconfigurée et test antidrogue pour freiner les dégâts

il y a 3 années, 6 mois - 16 Octobre 2020, lexpress.mu
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De jeunes motocyclistes sont impliqués dans 49 % des accidents, indiquent les autorités. Pourquoi ?

Le manque de formation, l'influence de l'alcool et de la drogue synthétique sont décriés. Après le fiasco des moto-écoles, qui ont fermé ou revu leur tarif , des mesures seraient attendues avant fin 2020. Quelles stratégies pour réduire les accidents ?

«Quand on parle de jeunes perdant la vie à moto, il faut identifier la source du problème. Ces derniers ont été habitués aux bicyclettes, puis aux mobylettes et motos. Tant qu'on les y autorisera au pis-aller, les accidents s'accumuleront», déclare Mohammud Hussayn Baulum, Operations Manager de Rozil Moto Ecole. Un des derniers accidents en date est survenu le 3 octobre à Baie-du-Tombeau. Bilan : deux jeunes de 19 et 25 ans y ont laissé la vie. Tout récemment, les drames impliquant les deux-roues se sont multipliés.

Par conséquent, un test d'aptitude pour évaluer la capacité à conduire une motocyclette avant l'allocation d'un permis provisoire (learner) est impératif, indique notre interlocuteur. D'autant, précise-t-il, que ce permis provisoire ne peut être utilisé à vie. Ce débat, lancé en 2018 avec la volonté de freiner les accidents de deux-roues, avait abouti à de nouvelles règlementations et la création de moto-écoles. La formation devait être effective, selon un moratoire établi jusqu'à mars 2021. L'État avait prévu l'institution d'une dizaine de moto-écoles par district.

Si au départ, les motocyclistes s'emballent pour la formation, cela n'a plus roulé pour les écoles au bout de quelques mois. Fermeture et cessation d'opérations surviennent. «En dépit des moto-écoles, la formation des motocyclistes ne fonctionne pas à Maurice. Voilà pourquoi les accidents sont récurrents», constate Rajendra Kumar Naga, un responsable d'Ark Drving Centre. De nouveaux règlements instaurés en 2020 corsent la situation. En effet, d'après une décision du Conseil des ministres, le moratoire pour passer le permis de conduire est étendu à 2023 pour les motocyclistes, tandis que le permis provisoire obtenu avant mars 2018 est prolongé à 2026. Alors que la formation reste optionnelle pour les conducteurs, les accidents de deux-roues se poursuivent. Chez les jeunes conducteurs plus particulièrement, le constat est alarmant. «C'est un véritable fléau à Maurice. Beaucoup conduisent des bicyclettes électriques à vitesse excessive. Il suffit de quelques secondes pour qu'un accident se produise.» L'effet de la drogue synthétique s'y rajoute, confirme-t-il. Un fléau tout aussi difficile à combattre, selon lui.

À ce sujet, Mirzah Boodhun, sous-inspecteur de la Road Safety Unit, affirme que des tests de détection de drogue, dont la synthétique, seront introduits dans les mois à venir. «On procèdera très prochainement à la mise en application, probablement avant fin 2020», soutient-il. Entretemps, la détection d'alcool est maintenue, d'autant que la police observe l'influence de cette substance chez plusieurs jeunes motocyclistes impliqués dans des accidents après l'autopsie. «Les jeunes impliqués dans des accidents se montrent irresponsables. Ils viennent de quitter l'école ou ne travaillent pas. Ils se baladent et participent à des rallyes de nuit», indique-t-il.

Pertes colossales

La prise de conscience s'impose surtout chez cette génération. Hélas, la formation est largement boudée par de nombreux motocyclistes. À l'Ark Driving Centre, toujours ouverte malgré l'absence d'élèves, des pertes colossales s'accumulent après un investissement de Rs 10 millions. 65 apprenants y ont été formés. «On ne sait pas jusqu'où ça ira. Beaucoup de promesses ont été faites par l'État mais on ne voit rien venir», ajoute le responsable.

Du côté de Rozil Moto Ecole, un nouveau virage est amorcé en dépit des pertes. Prix revus, paiements échelonnés, horaires de cours révisés : autant de mesures déployées. Une formation pratique de huit heures coûte entre Rs 3 000 et Rs 4 000, avec des facilités de paiement. Une autre combinant pratique et théorie pendant trois heures revient à Rs 1 700. «Au lieu de fermer nos portes, on persévère dans la formation. Les 49 % de jeunes motocyclistes impliqués dans des accidents traduisent l'absence de techniques sur la route. La formation ne se limite pas à leur faire passer leur examen mais vise à changer le comportement, anticiper les dangers et devenir de meilleurs conducteurs», explique l'operations manager dont l'école a formé un millier d'apprenants depuis 2018. Une journée portes-ouvertes est d'ailleurs prévue ce samedi à partir de 10 heures au Sanathan College, à Réduit, à l'arrière de la clinique Wellkin.

Face à l'affluence des inscriptions et la limite de places, d'autres pistes seront opérationnelles. «Actuellement, la pratique se fait à Réduit. Prochainement, on l'effectuera à Port-Louis. Et dès janvier 2021, nous basculerons à travers l'île», précise Mohammud Hussayn Baulum. Si pratiquement neuf sur dix apprenants réussissent aux examens via une moto-école, tel n'est pas le cas de la majorité des motocyclistes qui négligent cette option. La prolongation du moratoire et de l'usage du permis provisoire en 2023 et 2026 ne sont pas incitatifs. Comment y remédier ? D'après Rajendra Kumar Naga, la formation devrait avoir force de loi. Mohammud Hussayn Baulum appelle à une meilleure assimilation des risques et enjeux des techniques de conduite. «Quand un Mauricien obtient son permis provisoire pour une voiture, il est accompagné par un chauffeur expérimenté pour ses sorties. Il ne peut conduire à sa guise. Une même rigueur est requise pour les motocyclistes», précise-t-il.

Alain Jeannot, porte-parole de l'association Prévention Routière Avant Tout (PRAT), évoque l'indiscipline des jeunes. Ci- tant les rapports du Global School-based Student Health Survey de 2007 à 2017, il note l'implication d'environ 30 à 35 % des jeunes de 13 à 17 ans dans des bagarres. De plus, 57,3 % des parents ignorent les activités de leurs enfants durant leur temps libre. «La route est un miroir de ce qu'on fait chez soi et en société. Il faut aborder ce problème d'indiscipline et d'éducation. Quand un accident survient, prend-on la peine de faire l'historique détaillé du jeune, de savoir comment il vivait avant l'accident ou remonter à la source ? Il faut une enquête vraiment approfondie», martèle-t-il.

Le président de PRAT critique l'indice de risque très élevé des motocyclettes sur la route. Ainsi, avance-t-il, un deux-roues motorisé est 25 fois plus dangereux qu'un véhicule normal. «À Maurice, nous en avons 200 000, soit 40 % de notre flotte. L'île figure parmi les dix premiers pays au monde à avoir le plus de motocyclettes par tête d'habitant», ajoute-t-il. La solution n'est pas de proscrire l'usage de ces véhicules mais de le limiter aux loisirs. En rendant le transport public plus accessible, l'utilisation des deux-roues serait réduite et, par extension, les accidents.

De leur côté, les autorités ont déclaré qu'un durcissement des lois arrive. Mais quand et surtout comment ? Nous n'avons pu obtenir de réponses du ministère de tutelle malgré nos requêtes.

20 % des apprenants sont des femmes

Selon les statistiques de janvier à octobre 2020, 20 % des inscriptions à Rozil MotoEcole provenaient de Mauriciennes. En revanche en 2018, il n'y avait qu'une ou deux femmes inscrites. Selon Mohammud Hussayn Baulum, plusieurs sont débutantes et optent pour cette formation afin de pouvoir se déplacer plus facilement. Certaines le font pour leur emploi.

41 motos impliquées dans des accidents en 2020

D'après la police, du 1er janvier au 12 octobre 2020, 41 motocyclettes ont été impliquées dans des accidents de la route. Pour l'année 2019, le nombre était de 52. De janvier à octobre 2020, le nombre de motocyclistes victimes a été de 41 contre 34 pour la même période en 2019. Parallèlement, huit passagers sont décédés lors d'accidents de janvier à octobre 2019 et sept pour la même période en 2020. Comparativement, pour les dix premiers mois de 2020, le nombre de voitures privées impliquées a été de 45 contre trois taxis, 14 vans et 11 véhicules de marchandises. Six accidents de bicyclettes sont également répertoriés cette année contre neuf en 2019. Un fait intéressant : quatre accidents impliquant des bicyclettes électriques sont survenus en 2020 alors qu'aucun n'avait été recensé l'an dernier. En termes d'accidents mortels, 130 ont été recensés en 2019 résultant en 144 décès. Jusqu'au 12 octobre 2020, on compte 89 accidents mortels et 98 décès.