La route pourrait, d'un moment à l'autre, faire sa 100e victime. Sans grande surprise, la plupart des victimes de ce funeste classement sont des motocyclistes, étant les plus vulnérables. Mais quelle est leur part de responsabilité ? Sont-ils tous coupables de mauvaise conduite comme l'affirment les automobilistes ? Une virée à moto s'impose pour le vérifier...
Un carrefour, plusieurs infractions. Le conducteur qui nous précédait n'a pas jugé nécessaire d'actionner son clignotant avant de bifurquer. Résultat, il coupe la route à tous ceux qui le suivent. «Bah, ça c'est devenu presque banal», lâche le conducteur de notre deux-roues non sans avoir lancé quelques insultes bien senties à l'encontre du contrevenant. On le comprend. Il s'est arrêté juste à temps pour éviter la collision.
Outre l'insulte facile, il semble avoir développé une autre habitude : anticiper les manoeuvres des autres conducteurs. La conduite défensive est un réflexe de survie, selon lui. Un réflexe pour parer aux infractions commises par les autres.
À peine quelques mètres plus loin, deuxième alerte. Cette fois, le chauffeur a bien pris le soin d'actionner le clignotant. Mais il n'a pas tourné du bon côté. Deuxième collision évitée. Pas le temps de pousser un ouf de soulagement : un crissement de pneus se fait entendre. La voiture qui suivait notre moto a dû s'arrêter net pour nous éviter.
Coup de klaxon. «Ki to pe frenn sec coumsa !» hurle l'homme, ponctuant sa phrase de mots interdits aux moins de 18 ans, avant de nous doubler dans un grand nuage de fumée d'échappement et de filer en faisant rugir son moteur pour mieux extérioriser son agacement. Pas le temps de lui répondre... D'ailleurs serait-ce nécessaire ? La réflexion, toutefois, s'impose. Oui, une vraie réflexion. Pas celle qui consiste à se demander s'il faut maîtriser la liste des noms d'oiseaux avant de passer le permis de conduire... Le motocycliste, à bien y voir, n'est pas davantage à l'abri des insultes que des gaz toxiques des fumées d'échappement qui l'asphyxient et l'aveuglent au détour de routes cahoteuses.
Revenons à notre balade : outre les véhicules qui bifurquent à droite ou à gauche sans crier gare, il faut aussi compter avec les conducteurs que l'usage du téléphone au volant rend complètement aveugles ; les conducteurs de bus qui démarrent sans un regard dans le rétroviseur – faisant courir des risques non seulement aux motos, mais aussi aux autres véhicules.
Sur un rond-point, un automobiliste nous apporte la preuve que le téléphone n'est pas le seul élément de distraction. Engagé sur un rond-point, il oublie momentanément la règle de la priorité à gauche et continue son chemin sans s'arrêter. Heureusement que notre motocycliste réfléchit pour deux. Pour les excuses, il faudra repasser.
Plus loin, c'est au tour de notre conducteur de s'en prendre aux chauffeurs qui roulent au beau milieu de la route. «Kouma pou doublé si li res lamem ?» rouspète-t-il.
Feu rouge. Notre ami s'arrête et en profite pour nous énumérer la liste de ce qu'il subit au quotidien. On a l'impression qu'un soldat envoyé au front prend moins de risques. Le feu passe au vert. Il accélère, avance et évite de justesse une camionnette qui n'a pas respecté un feu rouge. Elle ralentit, puis voyant qu'il n'y a pas eu de dégâts, le chauffard repart dans un nuage de monoxyde de carbone. À ce stade, les invectives et gros mots fusent sans filtre. Un moyen d'évacuer sa frustration face aux risques d'accidents.
Autre quartier, autre danger. Les chiens, errants ou pas, sortent des cours ou des impasses... Un peu plus difficile, dans ce cas, de faire usage de ses réflexes. Dans ce cas, c'est l'équilibre qui compte le plus. Freiner sans mordre la poussière...
Au bout de deux jours de virées à moto dans divers quartiers de la capitale on comprend mieux pourquoi les motocyclistes sont les premières victimes d'accidents. Certes, le comportement de certains conducteurs de deux-roues laisse à désirer, mais dans un grand nombre de cas, les motocyclistes sont vus comme quantité négligeable. Or pour une bonne cohabitation sur nos routes, tous les autres automobilistes gagneraient à changer de conduite.
Et les piétons dans tout ça ?
Les situations à risques ne se comptent plus, même si, selon une étude, le piéton est exposé à moins de risques sur la route que le motocycliste. Ce qui n'empêche pas les conducteurs de deux-roues de faire un peu n'importe quoi. Ces derniers s'arrêtent plus rarement aux passages piétons, alors que les autres véhicules le font. «Wi bé zot krwar zot pran enn ti plas, donc zot krwar ki zot kapav pas an mem tan ki bann dimounn», explique un piéton résigné rencontré à La Chaussée.
Une autre pratique hérisse les usagers de la route. Souvent, les motocyclistes, pour gagner du temps, doublent du côté gauche. Les choses se gâtent sur les arrêts de bus, lorsqu'ils se retrouvent nez à nez avec des passagers qui descendent du bus... «Ki pou dir zot ? Vo mié ou guet bien avan desann», commente un receveur.
Les automobilistes souvent pris de court
Les motocyclistes sont loin d'être des anges sur la route. On aura maintes fois l'occasion de le constater sur l'autoroute, à Port-Louis. En quelques minutes, pas moins de quatre motocyclistes nous doublent à gauche sans raison apparente. Ceux qui ne portent pas le gilet réfléchissant – obligatoire – ne se comptent plus. Le pire ? «Zot zig zag ant bann loto kouma bann fou», commente un chauffeur, expliquant qu'il leur arrive même de se cogner contre les rétroviseurs des voitures sans que cela ne les perturbe. «Ki pou fer ? Kit loto galoup deryer zot?» lâche-t-il en désespoir de cause. Si les motocyclistes déplorent le non-respect des feux rouges par les automobilistes, le contraire est aussi vrai. Les motocyclistes, effectivement, se faufilent entre les voitures, se positionnant devant celles-ci pour être les premières à prendre le départ lorsque le feu passera au vert, mais certains n'attendront même pas ce signal pour démarrer. Une situation moyennement appréciée par les chauffeurs...