Les inondations de grande ampleur se succèdent à un rythme effréné. C’est un bien triste spectacle qui s’est offert à nos yeux, dimanche dernier, aux quatre coins de l’île et plus particulièrement dans la capitale où, en un rien de temps, les pluies torrentielles ont transformé les rues en baignoires, alors que des habitations et des voitures ont été submergées par les eaux. Cette succession de phénomènes météorologiques extrêmes est forcément imputable au changement climatique. Mais comment passer sous silence l’envahissement de l’espace public et résidentiel par des constructions anarchiques et le bétonnage à outrance qui imperméabilisent le sol et empêchent l’eau de s’infiltrer? Certes, la gestion du risque d’inondation demeure un casse-tête, sauf qu’à force de jouer à l’autruche, en bétonnant à tout-va, on se réveillera un jour pour constater qu’il sera un peu tard pour rectifier le tir.
Comme réglée par une horloge, le pays oscille entre des mois de pénurie d’eau et de pluies abondantes. Mais ce qui diffère, ces dernières années, c’est le fait que les averses engendrent des inondations qui dépassent l’entendement. Elles se traduisent par une augmentation de son débit, de sa hauteur d’eau et de sa vitesse. Le déluge, d’une ampleur inouïe, qui a ébranlé le pays le 13 mars et qui a entraîné des dégâts matériels considérables à Port-Louis, est sur toutes les lèvres. De mémoire, on ne se souvient pas d’avoir vécu pareil phénomène à Vallée-Pitot et Vallée-des-Prêtres qui ont pâti le plus du torrent d’eau qui s’est infiltré partout. Plus de 100 mm de pluie sont tombés en trois heures, ne laissant d’autre choix aux habitants que de vider leur mobilier sur les trottoirs, le temps du nettoyage.
Des voitures ont été emportées par des torrents d’eaux boueuses à la rue Ingénieur qui longe le nouveau bâtiment du Victoria Urban Terminal (VUT). Les images d’une dizaine de passagers pris au piège dans un autobus à la route Saint-Jean à Quatre-Bornes a fait le tour des réseaux sociaux.
Ces évènements sont-ils uniquement le fruit du dérèglement climatique? « Non », à en croire l’urbaniste Gaëtan Siew, qui souligne que les inondations extrêmes qui frappent le pays ne signalent pas uniquement les débuts d’un monde fragilisé par le changement climatique, mais portent aussi la marque de la mauvaise gestion de l’aménagement du territoire : « L’eau ne trouve plus de chemin de sortie, comme dans le centre de Port-Louis, pour prendre la mer. Pour la simple et bonne raison que les terres qui sont censées absorber cette eau sont occupées par des bâtiments. Les gouvernements qui se succèderont devront absolument échafauder des plans solides pour rectifier le tir avant qu’il ne soit trop tard, car les surfaces absorbantes se réduisent comme peau de chagrin d’année en année. »
Le poids électoral important de certains quartiers
On peut également établir un lien de cause à effet avec les constructions illégales de maisons dans les zones inondables sur les flancs des montagnes. De même, le poids électoral important de certains quartiers formels et informels amène les politiques à permettre aux gens de s’arroger le droit de construire de manière anarchique et excessive dans des zones interdites, afin d’en tirer une image favorable dans l’opinion publique. Les exemples illustrant cette situation sont légion dans les faubourgs de la capitale où la situation s’est détériorée au fil du temps suite à la démographie galopante et à la non-application des règlements d’urbanisme. « Il y a, d’une part, les habitations qui sont construites dans le lit majeur de certains cours d’eau et, d’autre part, des quartiers où le béton est roi. Il ne faut pas s’étonner d’être inondé ensuite », soutient Gaëtan Siew.
L’ingénieur en environnement et océanographe Vassen Kauppaymuthoo a également décortiqué toute la question, en soutenant que « tous les doutes que les sceptiques avaient sur les conséquences du réchauffement climatique sur ces nouveaux types d’inondation ont volé en éclats et les choses vont empirer si on ne prend pas très vite des mesures probantes. »
« L’accaparement démesuré des surfaces agricoles »
Il ne mâche pas ses mots en évoquant « un laisser-faire » ayant abouti à une véritable urbanisation anarchique : « Le gouvernement continue à octroyer des permis pour des projets de développement infrastructurel ou de morcellement sans prendre en compte les risques d’inondation, mais basé sur un aspect purement financier dont l’accaparement démesuré des surfaces agricoles pour favoriser les activités résidentielles et commerciales. On n’est pas loin d’arriver à un point de non-retour. »
Vassen Kauppaymuthoo analyse aussi sévèrement la responsabilité de la station météorologique de Vacoas dans ses prévisions et l’usage des outils dont elle dispose : « Est-ce que le dernier radar est suffisamment calibré pour permettre aux météorologues de disposer d’un système d’alerte efficace qui vise en premier lieu à éviter que les Mauriciens soient pris au dépourvu et ne perdent la vie ? J’en doute fort et je pense bien qu’il y a d’énormes failles dans notre système. En général, il semble que l’attentisme et l’inertie prennent plus de place que l’action et la protection. »
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