Après l’accident, le conducteur ne s’est pas arrêté mais s’est dirigé vers le poste de police de Rivière-Noire. Des citoyens furieux l’y ont poursuivi et ont saccagé son véhicule alors que lui a été lynché dans la cour du poste de police. Les policiers ont dû intervenir pour qu’il ait la vie sauve.
Au cours des derniers mois, plusieurs incidents liés à ce phénomène de lynchage, soit une forme de justice populaire au cours de laquelle des citoyens se mettent ensemble pour punir une personne dont ils pensent qu’elle viole une norme légale, morale et sociale, ont été constatés. Par exemple, en septembre, une vidéo circulant sur les réseaux sociaux a montré trois garçons aux mains nouées, qui étaient agressés par des individus. Dans la vidéo, on pouvait également entendre les agresseurs accuser les garçons d’être des voleurs, avant de les malmener et de les battre à coups de tringles de bois. Les parents des trois mineurs ont affirmé que la veille, ces derniers ont fait une blague à leur voisin relativement à sa moto. Le lendemain, des personnes les ont entourés, les ont attachés alors que d’autres les ont agressés en les traitant de voleurs.
Dans un autre cas, Steward Gandoo, 37 ans, un habitant de Sadally à Vacoas, a été lynché après avoir prétendument volé des litchis dans la cour d’un habitant de Solferino. Il aurait été surpris par un individu. Ce dernier l’a violemment attaqué avant de l’abandonner à Trois-Mamelles. Blessé, il a été transporté à l’hôpital Victoria, Candos, où il a succombé à ses blessures.
Qu’est-ce-qui incite les citoyens à prendre la loi entre leurs mains ? Et cette forme d’indignation publique ou d’administration de la justice atteint-elle son but, en fin de compte ? «Le citoyen mauricien a été témoin de la façon dont le système d’enquête de la police a été faussé dès le départ et a aussi vu la contradiction des faits, ce qui l’a poussé à ne plus croire qu’un système d’enquête et de traitement équitable existe ou que la vérité en sortira. Cela explique aussi pourquoi de nombreux cas de vols, de violence domestique ou d’accidents ne sont pas rapportés. Les cas de délit de fuite ont aussi augmenté. Par conséquent, les gens préfèrent prendre les choses en main», affirme l’avocat Rama Valayden.
L’ancien Attorney General explique également que cela découle d’une colère générale et d’un élément de haine contre la lenteur du fonctionnement des institutions et du système judiciaire, qui donne souvent l’impression qu’il y a une politique de deux poids deux mesures. «Le riche, qui dispose de ressources, est entendu par le système judiciaire tandis que la grande majorité de personnes n’ayant pas de connexions, subit inconsciemment un préjudice et se retrouve en prison, en attente de justice, et finit souvent par perdre son procès. Il existe également une accumulation de colère à l’égard des échecs et des bouleversements politiques.»
Néanmoins, cela justifiet-il l’idée que pour donner une «correction» à ceux qui commettent un délit, les gens en commettent un autre en les lynchant ? Si de la part de la police, on nous affirme que des actions appropriées sont toujours prises lorsque les citoyens prennent la loi entre leurs mains, il doit y avoir une responsabilité individuelle et collective pour apporter des changements de manière plutôt constructive, déclare Manishwar Purmanund de Youth For Human Rights - International Chapter. «Ce ressenti du public est souvent justifié car les gens sont ballottés d’un point à un autre – les autorités étant défaillantes et les dirigeants politiques ne se souciant pas de l’intérêt du peuple. Néanmoins, il doit y avoir un sens de la responsabilité pour ne pas agir de manière destructive car cela ne sert pas le but recherché», dit-il.
Dans la législation actuelle, le lynchage et la Mob violence ne sont pas définis. Les participants à un lynchage sont poursuivis sur la base de l’acte individuel de chacun, ce qui implique que quiconque se livre à cette forme de violence physique peut être poursuivi pour meurtre ou pour homicide, entre autres, et les autres participants pour les mêmes accusations ou pour complicité. Compte tenu des défis sociopolitiques auxquels le pays est actuellement confronté, une réforme juridique pourraitelle constituer une étape vers la résolution de ce phénomène ? «Cela semble secondaire. Les problèmes sont plus profonds et reflètent les lacunes de la société. La première priorité devrait donc être de faire fonctionner les institutions de manière appropriée. Un exemple simple serait d’introduire des commissariats de police, qui fonctionneraient 24/24, avec uniquement des policières, ce qui pourrait essentiellement encourager les victimes de violence domestique à faire des déclarations sans risquer une victimisation secondaire ou des commentaires insensibles de la part de policiers, qui pourraient nourrir des préjugés inconscients. En outre, de nombreuses affaires peuvent être traitées en six mois au tribunal si l’institution fonctionne de manière plus efficace. Malheureusement, il y a des gens qui profitent des failles et cela entraîne une dynamique, qui englobe le ‘lynchage’ du cerveau lorsque nous nous sentons opprimés, celui des institutions parce qu’elles ne sont pas crédibles, et finalement, le lynchage physique, qui aboutit à une anarchie qui peut mettre en péril toute la nation», explique Rama Valayden.
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