Il s'agit, en effet, d'un sujet d'intérêt national, avec des ramifications sans commune mesure par rapport aux autres projets du pays. En offrant aux Mauriciens un mode alternatif de transport de masse, du moins pour l'instant rien que pour ceux et celles empruntant le corridor Curepipe-Port-Louis, comme ce fut le cas de l'autoroute, en 1960, entre Port-Louis et Phoenix, le Metro Express va éventuellement changer, de fond en comble, notre manière de voyager, avec des implications extraordinaires pour l'économie et le social de notre pays.
Le débat va, sans doute, s'amplifier et se compliquer davantage quand commenceront les grands travaux, prévus au mois de juillet ou août prochain. Cela, au fur et à mesure de l'avancement des opérations. Bien des bouleversements se manifesteront là où les stations vont sortir de terre et là où le tracé passera, pour les habitants du coin.
Coûtera-t-il en vrai Rs 90 milliards ou Rs 100 milliards ? Et le temps que cela prendra, une heure et demie, voire deux heures, pour compléter le trajet Curepipe–Port-Louis ? Et si c'était vrai que le projet va être un désastre financier absolu et qu'il ne va être sans plus qu'un projet de prestige pour satisfaire l'égocentrisme des politiques actuels ? C'est ce qu'on entend de nos jours...
Ce projet est trop important, pour nous et pour l'avenir de notre pays, pour laisser passer ces commentaires sans aucune tentative de modérer, voire de contredire par de simples réflexions, qu'un projet de telle nature ne peut être clairement le résultat d'une quelconque fantaisie de la part de ceux qui l'ont conçu. Encore moins de la part du gouvernement de l'Inde, donateur généreux à plus de la moitié de la valeur estimée de l'investissement.
Commençons par le débat autour de l'aspect financier mais vu de l'autre angle. Celui du système de transport déjà en place, qu'on oublie trop souvent, pour des raisons diverses.
Le vrai désastre financier
En effet, le vrai désastre financier, celui dont on ne parle pas, c'est notre mode de transport actuel : la voiture privée, l'autobus et les deux-roues, notamment. En dehors de ses accidents, qui tuent plus de 125 de nos concitoyens annuellement, et des milliers d'autres qui se retrouvent avec des blessures de divers degrés d'intensité, notre mode de transport est un vrai rapace financier.
Ce désastre financier, on le vit déjà sans nous en rendre compte. Il est quotidien. Il est au sein de notre parc automobile et sur les centaines de kilomètres de nos routes qui empoisonnent nos ressources financières ainsi que notre environnement. Et un jour, il aura notre équilibre psychologique aussi. On n'échappera pas à la maladie de la rage de la route.
Voyons les faits tels qu'ils existent :
Le parc automobile vaut dix fois le Metro Express
Aujourd'hui, il y a un parc de véhicules avec, en gros, plus de 500 000 unités, dont 200 000 automobiles. Un simple calcul nous permet d'estimer le montant de l'investissement, en capital d'origine, à bien plus de 200 milliards de roupies. Soit au moins dix fois ce que coûtera, en estimation, le Metro Express. En divisant par quatre ou cinq ce montant, pour ceux qui font le trajet quotidien entre Port-Louis et Curepipe, le coût de l'investissement est de deux fois plus cher que le Metro Express.
Il faudra aussi y ajouter l'investissement par rapport à la construction des routes et des autres infrastructures, soit encore plusieurs milliards de roupies. La route Terre-Rouge – Verdun, longue de 19 km, a coûté plus de Rs 4 milliards à elle seule.
Rs 20 milliards par an pour faire rouler nos véhicules
Quid des dépenses courantes de ces 500 000 véhicules, pour transporter quotidiennement nos 1,2 million d'habitants ? Encore une fois, un simple calcul nous permet de situer les dépenses d'essence et d'autres consommations des véhicules à au moins Rs 20 milliards par an. Soit l'équivalent d'un Metro Express chaque année. Et encore, il faudra ajouter plusieurs milliards de roupies tous les ans, pour l'entretien et la réparation de ce parc d'un demi-million de véhicules.
C'est cela le vrai désastre financier pour les besoins de transporter 1,2 million de personnes. Et si, d'aventure, on devait subir une autre crise du pétrole, comme en 2008 lorsque son prix atteignit 140 dollars le baril, quelles seront les conséquences pour notre pays et pour notre économie ?
Une structure de transport rétrograde
Notre structure de transport, telle qu'elle existe à Maurice, n'est plus d'actualité dans la plupart des pays développés. De Gold Coast en Australie à Nantes en France, en passant par Singapour, les gouvernements planifient déjà les années 2020/2030, en vue de réduire le nombre de voitures sur les routes par le développement du transport de masse.
Gold Coast, qui a son Metro Express depuis 2014, veut en rajouter davantage en 2018. À Singapour, l'enjeu des années 2025, c'est la stratégie du Car-lite, caractérisé par la réduction de l'utilisation des voitures, tout en emmenant le métro devant les lieux de résidence.
À Beijing et à Canton, en Chine, la pollution, une des plus sévères au monde, rend le paysage invisible. Cela est dû non seulement aux usines mais est aussi le résultat des résidus de l'essence brûlée par les voitures. La marque automobile Volkswagen a été, par exemple, sévèrement punie par les autorités américaines pour non-respect des émissions de carbone de ses voitures vendues aux États-Unis. Chez nous, Beau-Bassin – Rose-Hill se trouve déjà parmi les 500 villes les plus polluées au monde, selon l'Organisation mondiale de la santé.
Est-ce ce modèle de transport rétrograde, de plus en plus coûteux à tous les points de vue, que l'on veut léguer à nos enfants ?
Et il se passera quoi si on ne fait pas le Metro Express ?
Chaque année, en dépit de la tendance vers une baisse de la population, rien n'empêchera le parc automobile de continuer sa croissance de 3 à 5 %. Encore une fois, un simple calcul nous permet d'affirmer que le pays dépensera Rs 1,5 milliard en plus – en essence, en entretien et en réparation – chaque année. Soit un montant qui dépasserait largement ce que le Metro Express a prévu.
Voilà le vrai désastre financier qu'on est habitué, hélas, à subir. Avec une complicité à laquelle il nous faudra commencer à mettre un terme. Il est vraiment dommage que parmi les réactions qui pleuvent dans les journaux, celle qui devrait pourtant interpeller notre réflexion provient du directeur de Rose-Hill Transport, qui disait que le Metro Express est l'occasion, pour nous, de réinventer notre système de transport.
On aurait aussi bien pu porter le débat sur les embouteillages de plus en plus insupportables pour notre pays et pour nos citoyens qui empruntent le trajet futur du Metro Express. Les répercussions sur le temps de travail et de loisirs devraient aussi être évoquées. Ceux qui empruntent tous les jours les autoroutes du Nord et du Sud, les axes vers le sud et le nord de la Cybercité ou les principales agglomérations de Quatre-Bornes et de Rose-Hill, savent l'étendue de leur calvaire, qui grandit au fur et à mesure que s'élargit inexorablement le parc automobile, avec ses effets par rapport à la pollution.
Quel sera le coût sur la productivité du pays, sur la compétitivité de nos exportations et sur la population atteinte de plus en plus par la maladie du road-rage, si on doit perdre des heures dans les embouteillages grandissants ? Est-ce le modèle pour notre pays, en 2030, que l'on veut ? On y reviendra.
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