Mu Rong Chan, mécanicienne automobile : De l’enseignement du mandarin au cambouis des moteurs

il y a 1 année, 10 mois - 24 Mai 2022, lemauricien
Mu Rong Chan, mécanicienne automobile : De l’enseignement du mandarin au cambouis des moteurs
Elle avait 45 ans quand elle a commencé son apprentissage de la mécanique

Mu Rong Chan a appris la mécanique automobile à 45 ans. Trois ans plus tard, elle est une apprentie confirmée et le bras droit de son mari garagiste, Michael Chan. C’est ce dernier qui lui a tout appris. Ancienne enseignante de mandarin dans le primaire, Mu Rong Chan est originaire de la province du Guang Dong en Chine. À Port-Louis où le couple travaille seul dans son garage, Mu Rong Chan assure la révision des véhicules des clients, sous le regard admiratif et bienveillant de son mari, son professeur…

Les gants bleus noircis par le cambouis, Mu Rong Chan enlève le filtre à air de sa japonaise, une hybride. Le capot de la voiture est relevé. C’est l’heure de la révision. Penchée sur le moteur propre de son véhicule, Mu Rong Chan affiche une silhouette élancée.

À 48 ans, elle en fait 15 de moins. Elle regarde attentivement le filtre à air, celui-ci sera remplacé. La vidange, la vérification des freins, des pneus, de la courroie de distribution… tout sera fait et passé au crible par Mu Rong, la mécanicienne. Elle est méticuleuse. Elle a aussi une autre qualité. Mu Rong Chan apprend vite. Ce qui force l’admiration de son mari, Michael Chan, lequel il y a plusieurs années avait mis au point un procédé qui lui permettait de transformer l’huile végétale de cuisson usagée en substitution de carburant pour le moteur de son 4×4. Celui-ci roule toujours avec de l’huile végétale.

Quand Mu Rong Chan s’est mise sérieusement à l’apprentissage de la mécanique, en 2019, elle avait déjà 45 ans. Trois ans plus tard, elle est en mesure de faire la révision complète d’un véhicule. “Je le conduis d’abord pour écouter le moteur. Le servicing vient après”, dit-elle. Au garage familial, elle a dépassé la phase de simple apprenti. “Elle est une apprentie confirmée. Vous voulez que je vous dise ? C’est la meilleure des apprentis que j’ai eus depuis que j’ai mon garage. Regardez celui-ci, il est propre. On pourrait presque dormir par terre. Moi, dès fois, je laisse traîner les outils. Elle, elle range tout ! Chaque chose est à sa place”, dit fièrement le garagiste sous le regard amusé de son épouse.
« C’est la meilleure apprentie »

“Il est un très bon professeur. Li explike enn fwa, de fwa. Parfwa li kriye”, raconte cette dernière comme pour lui renvoyer l’ascenseur. “Mais ce n’est pas grave. Moi aussi quand j’étais enseignante j’étais stricte. Les élèves disaient que j’étais une Miss sévère. Je leur donnais raison en leur expliquant que cette sévérité serait payante pour eux… ” dit la mécanicienne. Renchérissant, son époux se fait un point d’honneur de relever : “L’école où elle avait exercé avant d’arrêter l’enseignement avait enregistré le meilleur taux de réussite en mandarin aux examens de Certificate of Primary Education (ndlr : l’actuel Primary School Achievement Certificate).” Il y a trois ans, la première leçon du maître à l’élève a été la notion de sécurité. Puis, l’observation.

“Pour ses premières leçons en mécanique, elle devait observer et écouter”, explique Michael Chan. Ces deux sens sont essentiels pour reconnaître l’état des composants d’une voiture avant toute manipulation. Dans pas longtemps, Mu Rong Chan sera en mesure, assure-t-il, de passer au niveau supérieur. “Lerla li pou kapav fer diagnostik konple enn masinn avan li regle tou so problem mekanik e fer reparasion”, dit-il.

La curiosité n’est pas un défaut

Un peu plus tôt, Mu Rong Chan conversait avec un client au téléphone. Après 22 ans passés à Maurice, son pays d’adoption, elle maîtrise plutôt bien le kreol morisien. « Mo’nn aprann koz kreol ek travayer mem », dit-elle. Sa présence, quand elle s’affaire au garage, n’échappe pas au regard de ceux qui empruntent la rue Mère Barthélemy. Mais ceux qui confient leurs véhicules aux Chan ne s’étonnent pas de voir la mécanicienne recueillir leurs données avant de prendre les choses en main.

« Ce sont nos clients habituels qui viennent au garage, donc, ils savent déjà qui je suis et ne me posent pas de question », explique cette dernière. Rien n’obligeait Mu Rong Chan à se mettre à la mécanique automobile. Mais le métier et le garage de son époux font partie de son quotidien depuis 22 ans, au moment de son arrivée à Maurice. Il était inévitable qu’elle s’y intéresse de près, car pour Mu Rong Chan, la curiosité est loin d’être un défaut.

« Je voulais parvenir à faire la révision mécanique de ma voiture. La mécanique me procure une grande satisfaction personnelle. C’est dans cet état d’esprit que j’assure l’entretien des véhicules de nos clients. Je m’occupe de chaque voiture comme si c’est la mienne », confie-t-elle. Depuis le départ des employés du garage, elle est devenue le bras droit de son mari. « Quand une voiture arrive au garage pour son servicing, je lui fais entièrement confiance », dit Michael Chan.

Elle se destinait au football

À Meixiain, district de Guang Dong, Mu Rong Chan travaillait pour le compte d’une compagnie de transport. Elle était affectée dans un service qui se chargeait des entrées et sorties des véhicules dans la région. Et c’est dans cette contrée de la province de Guang Dong, terre de la communauté des Hakkas, qu’elle a été présentée à Michael Chan. Ce dernier accompagnait alors son défunt père, Roger — propriétaire connu de l’ancien Chan Supermarket — en Chine pour un retour dans la province ancestrale. Michael Chan, qui avait émigré au Canada, voulait rentrer à Maurice et investir dans un garage. Lui qui est diplômé en génie automobile, après ses études en Angleterre, avait des projets en tête.

« Je ne connaissais pas grand-chose de l’île Maurice. Tout ce que je savais du pays, je l’avais appris à l’école. On nous a dit que Maurice est une île où il y a des champs de canne à sucre et des usines de textile », raconte Mu Rong Chan en riant.

Elle était loin de se douter que c’est dans ce pays de sucre et de tissu qu’elle poserait ses valises pour y fonder une famille. D’ailleurs, à l’école, elle conjuguait sports et études. Plus précisément le football. Mu Rong Chan se destinait donc à un avenir dans le football.

« Parce que j’étais chétive quand j’étais enfant, mon oncle avait conseillé à mes parents de me faire pratiquer un sport et ça a été le foot », raconte-t-elle. Cela fait deux ans, depuis la pandémie de Covid-19, que Mu Rong Chan n’est pas retournée en Chine. « Quand je suis arrivée à Maurice, la transition a été un peu abrupte. Le contraste entre ici et les grands espaces en Chine m’avaient marquée », confie la mécanicienne, qui s’est acclimatée à la chaleur de Port-Louis.

« Je me suis fait des amis, j’ai une famille… Je me sens bien ici », poursuit-elle. Après avoir enseigné le mandarin dans les écoles primaires pendant 11 ans, Mu Rong Chan va renouer avec l’apprentissage de cette langue. C’est une école qui a fait appel à elle pour donner des cours le samedi. Si elle a accepté, c’est aussi parce qu’elle croit dans la transmission du savoir.

Travailler en couple pour les Chan est un partenariat pratique où la confiance à tous les niveaux est de mise. Et travailler « au-dessous » de sa maison, c’est encore mieux ! En effet, la maison des Chan se trouve au-dessus de leur garage. « Je n’ai jamais voulu travailler loin de ma maison », dit Michael Chan. Aujourd’hui, c’est le fils, âgé de 19 ans et étudiant dans une université privée, qui s’intéresse à la mécanique. La relève est-elle assurée ? La question pour les Chan reste ouverte. Quant à leur fille de 21 ans, employée à l’ambassade de Chine, la réponse est directe. Elle n’a jusqu’ici démontré aucun intérêt pour la mécanique.

Après avoir changé le filtre de sa voiture, Mu Rong Chan va s’apprêter à enfiler son casque de protection et enfourcher sa moto. Direction le centre de Port-Louis où elle doit acheter des pièces de voiture. « Sa ousi li konn fer ! Kan bizin al lwin, li pran so loto », dit Michael Chan, toujours aussi fier de son apprentie.