Les autorités et les professionnels sont d’accord qu’il est crucial de revoir les mesures entourant les activités de loisirs en mer, aussi bien pour la sécurité du public que pour la sauvegarde du tourisme mauricien durement frappé par les graves accidents qui ont coûté la vie à des touristes dans nos eaux. La Tourism Authority (TA) et les professionnels ne voient pas les choses de la même façon, tandis que l’instance régulatrice élabore, en ce moment, un nouveau plan pour renforcer les règles déjà en vigueur. L’approche des autorités sur la question est jugée trop théorique et peu adaptée à la situation à laquelle les skippers sont confrontés au quotidien. Précisant qu’ils ont plusieurs fois interpellé les autorités sur les dangers existants, les professionnels veulent que leur point de vue soit pris en considération.
Si notre point avait été pris en considération quand on est venu de l’avant pour se faire entendre à travers la presse et autres lettres de doléances, “des drames auraient pu avoir été évités en mer, mais on ne nous a pas écoutés”, disent les plaisanciers et skippers. Ils ont, en effet, tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme pour faire réagir les autorités face à “des comportements dangereux et irresponsables” qu’ils avaient observés en mer et qui réclamaient l’intervention des instances concernées. Mais leurs appels sont restés vains. Sans pour autant incriminer les suspects dans les récents drames survenus dans nos eaux, ils s’appuient sur la relance d’intérêt manifestée sur la question de la sécurité en mer pour réclamer des mesures appropriées dans l’urgence.
Entre-temps, il y a eu deux morts à Belle Mare, le 23 février dernier, ainsi qu’un mort et des blessés au large de l’île Plate, le 14 mars. Des drames de trop aussi bien pour le tourisme mauricien que pour les proches des touristes concernés qui avaient choisi Maurice pour leurs vacances. Un des secteurs-clés de l’économie locale, l’industrie se relèvre toujours d’une période de crise importante mais la mauvaise publicité que apporter lui ramener ces affaires sur la scène internationale risque d’avoir des répercussions graves sur tout un chacun.
Scepticisme face aux mesures préconisées
Les annonces d’un renforcement des règlements de la TA Act, cette semaine, laissent les opérateurs sceptiques. Certes, le secteur a besoin de discipline, disent-ils. Mais, “après la mort la tisane”, estiment certains, déplorant que la TA a rencontré quelques opérateurs une semaine après le dernier drame, alors que les Fédérations des plaisanciers ont tenté plusieurs fois, en vain, d’avoir une réunion avec le nouveau ministre du Tourisme, Xavier Duval.
Cependant, même tardive, la démarche de la TA est bienvenue puisque les discussions sont nécessaires pour permettre au secteur de progresser dans le bon sens, disent ceux qui ont pu discuter avec le nouveau président de la TA, Robert Desvaux. Il nous est, cependant, précisé que “des questions restent posées quant au choix des interlocuteurs invités tandis que certains professionnels ont été gardés à l’écart pour des raisons floues.”? Il ressort des discussions qui ont eu lieu, cette semaine, que s’ils sont en faveur du renforcement de la sécurité en mer, les autorités compétentes et les plaisanciers ont, toutefois, du mal à maintenir le même cap quant aux mesures à être appliquées à cet effet.
Actuellement, la TA prépare un plan pour revoir le TA Act de 2006 sur le volet consacré à la sécurité en mer et les règlements entourant les skippers. Certaines des mesures en passe d’être adoplées laissent les professionnels sceptiques puisqu’elles sont jugées inappropriées: “On ne peut pas être dans des bureaux pour rédiger des règlements. Il faut connaître la réalité du terrain”, disent-ils. D’où leur souhait d’être appelés à la table des discussions, avec tous les stakeholders – qu’il s’agisse d’opérateurs de bateaux de plaisance, de skippers, d’opérateurs d’activités nautiques, etc. – afin que les connaissances du terrain et l’expérience de chaque stakeholder, en fonction des activités qui sont proposées en mer, soient mises à profit dans l’intérêt de tous.
Le port du gilet obligatoire divise
Parmi les mesures avancées par la TA, le port du gilet obligatoire pour toute sortie en mer. À ce jour, les règlements obligent les opérateurs à garder des gilets sur leurs embarcations et à faire savoir aux clients où ils se trouvent pour être portés en cas d’urgence. Pour les professionnels, cet accessoire reste primordial. Mais il ne serait pas nécessaire d’obliger les clients à en porter en permanence, disent-ils. Déjà, le gilet peut être gênant et la chaleur le rendrait encore plus inconfortable. Les skippers contactés par Week-End s’appuient sur leur connaissance de la mer pour dire qu’ils sont en mesure de juger de la situation pour conseiller leurs clients quand il est recommandé de revêtir le gilet. Dans les lagons et les eaux calmes, son usage serait complètement inutile. C’est plutôt lorsqu’ils approchent de fortes vagues que le port de cet accessoire devient nécessaire.
Permis à points : la mer n’a rien à voir avec la route
S’il est aussi question de l’introduction d’un système similaire à celui du permis à points pour les skippers, ces derniers précisent que le projet sera complexe du fait que les embarcations sont différentes les unes des autres et répondent à des méthodes de navigation pas forcément similaires, en l’occurrence lorsqu’il s’agit de vitesse. De même, disent les professionnels de la mer – affirmant qu’ils ne sont pas contre l’idée d’une discipline renforcée –, le parallèle ne peut être fait avec la sécurité routière puisqu’il y a plusieurs façons de naviguer que l’on soit en haute mer ou dans les lagons, par exemple. Selon les régions et le type de sorties proposées, les embarcations aussi ne sont pas les mêmes. Dans le Nord, il y a ainsi plus de catamarans et de trimarans et moins d’autres types de bateaux de plaisance. Ces embarcations ne se pilotent pas de la même façon. Les speed boats, par exemple, ont des contraintes qui leur sont spécifiques.?En attendant une réaction positive des autorités à leur égard pour que les discussions aillent en profondeur, les skippers rappellent que certaines règles restent élémentaires. Celles-ci touchent à l’incivisme, l’insouciance, l’alcool, l’indiscipline, le non-respect des points d’embarcation ou encore le non-respect du nombre maximal de clients admis dans les embarcations. En même temps, ils demandent aux officiers du National Coast Guard (NCG) de rester vigilants. Certains tendraient à faire preuve de trop de complaisance. Ce qui encouragerait le non-respect des règles de sécurité élémentaires.?Dans le contexte présent, les professionnels réclament aussi que tous les skippers ne soient pas mis dans le même bateau lorsque l’on évoque l’irresponsabilité d’une poignée dont l’inconscience a abouti à des comportements à risque, voire même des drames, dans le passé. La majorité insiste faire son travail consciencieusement, dans le respect des normes et des règles de sécurité. Toujours est-il que plusieurs skippers du Nord parlent d’une baisse dans la clientèle locale depuis le drame de l’île Plate. Situation qu’ils estiment injuste.
“Un accident qui aurait pu être évité”, soutiennent les skippers
S’il est un fait que l’accident survenu à l’île Plate samedi dernier, causant la mort de la Française Josiane Gubert, a des antécédents, les skippeurs de Grand-Baie estiment – sans accuser le propriétaire du trimaran Babacool – que ce drame aurait pu être évité.
Clichés à l’appui, ils indiquent que généralement, des houles en série de 5 ou 7, surviennent dans la passe menant vers l’île Plate. Entre chaque série de houles, disent-ils, il y a une accalmie, laissant le temps au bateau de traverser pour atteindre environ 200 mètres plus loin, l’île Plate. “La passe de l’île Plate est un lieu sûr lorsque le temps est bon et qu’il y a une accalmie entre les houles. On prend 3 à 4 minutes pour la traverser”, disent-ils. Mais le samedi 14 mars, il n’y avait pas eu d’accalmie entre les houles. C’est la raison pour laquelle les embarcations ont rebroussé chemin. Ils étaient alors au point A (Image 1). “À chaque point (A, B, C, D, E - Image 1), lorsque la mer déferle, la houle prend plus de force. Lorsqu’on arrive au point A, on a le temps de considérer la situation dans la passe. On juge, dès lors, les difficultés et avec nos téléphones portables ou à travers le système de radio Very High Frequency (VHF) marine dont tous les bateaux sont équipés, nous communiquons entre skippers et prenons une décision commune de passer ou pas à travers la passe”, indiquent les skippers de Grand-Baie.
Ce qui est arrivé est regrettable, disent-ils, estimant que le propriétaire du trimaran Babacool, qui était le seul à ne pas être revenu, a sans doute fait une erreur de jugement. “Les accalmies étaient de 30 secondes à une minute maximum, samedi dernier. Pensant qu’il aurait le temps, le Babacool est entré dans la passe et s’est retrouvé avec une houle derrière lui”, pensent les autres skippers, ajoutant que “c’est à ce moment-là que le propriétaire a dû tenter de tourner son bateau pour ressortir.”
“La passe de l’île Plate n’est pas dangereuse”
Ils expliquent que, généralement, si une houle est en face, le skipper peut retourner sur son point de départ, mais dans le cas du Babacool, “il n’a probablement pas eu le temps de retourner son trimaran qui a pris la houle de travers.” Et d’ajouter que, selon eux, “la houle s’est écrasée sur le bateau et les passagers ont été éjectés du bateau.” “Cela n’aurait pas dû se produire”, disent ces vétérans de la mer, indiquant qu’il est déjà arrivé qu’un catamaran ou trimaran entre dans la passe et se retrouve en difficulté avec une houle. “Mais si la tête du bateau est en avant, en tentant de surfer sur la vague et de manœuvrer lentement et sûrement, le seul risque que l’on prend est que le bateau s’échoue sur les récifs. Dans ce cas, aucun passager n’aurait été éjecté du bateau et seul le bateau aurait été endommagé”, expliquent-ils, encore sous le choc du drame de samedi dernier. Ils rassurent la population et les touristes, “la passe de l’île Plate n’est pas dangereuse.”
Liberté conditionnelle pour le skipper de Babacool
Jayson Herts, alias Jackson, le skipper mis en cause dans le drame de l’île Plate et où une touriste se trouvant sur le trimaran Babacool avec 13 ressortissants étrangers à bord a été tuée, a été remis en liberté conditionnelle après sa comparution en Cour en début de semaine. Jayson Herts a également donné sa version des faits sur cet événement tragique, qui a fait également et huit blessés. Le trimaran Babacool immatriculé PC 3939-0L-22 a été saisi par la police dans le cadre de l’enquête qui se poursuit.
Deux autres cas précédents
L’accident qui s’est produit samedi dernier dans la passe menant à l’île Plate n’est pas un cas isolé. Deux autres drames, pratiquement dans les mêmes conditions, ont eu lieu dans le passé. Le décès de la Française Josiane Gubert, déploré par la communauté des plaisanciers et des skippers de Grand-Baie, leur rappelle les drames survenus en 2010 avec le décès de Kavish Nuthoo et celui de l’un des leurs, le skipper Moteelall Soodun, plus connu sous le nom de Som, un “diable de la mer.”
Ils en parlent comme ci c’était hier. Pour cause, l’accident du trimaran Babacool, qui a provoqué la mort de Josiane Gubert, leur rappelle en tous points celui du trimaran Equinoxe, duquel le skipper Som, un vieux loup de mer, a été basculé par-dessus bord en 2012. Son corps n’a jamais été retrouvé. En effet, le 27 mai 2012, alors que les neufs occupants de l’Equinoxe ont été ramenés sains et saufs à terre, Moteelall Soodun, lui, n’est jamais rentré. Les recherches en vue de retrouver cet habitant de Grand-Baie, alors âgé de 58 ans, se sont avérées vaines.
Deux fortes vagues avaient éjecté le skipper par-dessus bord, alors que le trimaran abordait la passe vers l’île Plate. Selon les témoignages qu’avait recueillis Week-End à l’époque, “l’Equinoxe, avec à son bord six touristes français et trois Mauriciens, ainsi que Som, le skipper, devait être une première fois malmené par la houle, avant qu’une autre vague ne vienne, dans un deuxième temps, littéralement balayer le pont du trimaran.” C’est à cet instant que le skipper bascula par-dessus bord.
Il ressort que dans les secondes ayant suivi sa chute, Moteelall Soodun multiplia les efforts pour se rapprocher du trimaran et essayer de s’y agripper, mais la force du courant l’en empêcha. Les tentatives des neufs clients de l’Equinoxe de faire parvenir une bouée de sauvetage au skipper dans l’eau se sont avérées vaines en raison de la mer houleuse et des vents violents. Alertée, la division des garde-côtes du Nord a procédé aux opérations de sauvetage et de recherche, avec le déploiement de deux Heavy Duty Boats et d’un Defender Boat, qui ont procédé au remorquage du trimaran à la dérive avec ses neuf occupants. Cependant, en raison du mauvais temps persistant et une mer démontée dans cette région, les tentatives de la NCG pour retrouver le skipper ont été vaines. Un Heavy Duty Boat, avec à son bord deux éléments de la NCG affectés à Grand-Baie, fut même malmené par cinq vagues successives lors d’une journée de recherches. Leur embarcation de recherche et de sauvetage se retourna. Heureusement, gardant leur sang-froid en dépit de la situation, la mer démontée et les vents violents, les deux membres de la NCG ont réussi à nager jusqu’à l’île Plate.
Kavish Nuthoo, lui, est mort noyé après avoir été éjecté par-dessus bord du Sun Kiss, le 2 samedi octobre 2010. Selon la presse, il était parti avec un groupe d’amis pour l’îlot Gabriel. Mais il a fini au fond de l’océan lorsque lui-même et trois autres amis ont été déstabilisés par deux lames de fond quand le catamaran sur lequel il se trouvait a longé la passe vers l’île Plate. Selon un témoin, une première vague a projeté deux des amis de Kavish – qui se trouvaient à l’avant du bateau – dans l’eau. Ces deux jeunes hommes nageaient vers le catamaran quand une deuxième vague fit basculer Kavish Nuthoo dans la mer. En quelques secondes, il fut malheureusement trop tard pour Kavish Nuthoo, indique ce témoin. Quelques heures plus tard, son corps fut repéré à environ trois mètres au fond de l’eau par les pilotes de l’hélicoptère de la police déployé pour les recherches aux côtés de la NCG.
À Grand-Baie : Plusieurs réservations annulées
Depuis le décès à l’île Plate de la Française Josiane Gubert, les opérateurs de catamaran et trimaran de Grand-Baie éprouvent des difficultés dans leur business. Durant la semaine écoulée, plusieurs réservations effectuées pour des sorties sur l’île Plate et l’îlot Gabriel ont été annulées. “Les réservations ont baissé de 50% au moins. Certains clients, principalement les Mauriciens, ont peur”, disent les plaisanciers qui craigment pour leur gagne-pain. Ils font ressortir qu’”il n’y a pas de raison de craindre les sorties en haute mer lorsque le temps est clément. Les skippers savent ce qu’il faut faire.” Pour ces professionnels de la mer, “ce n’est pas parce qu’il y a eu un accident qu’on arrête de sortir sur la route. D’ailleurs, il y a plus d’accidents sur les routes que sur la mer.” Ils lancent un appel à la clientèle de faire confiance aux skippers qui ne sont pas tous des têtes brûlées.
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