Rescapé Du Virage De Sorèze : Le Receveur de la CNT Marqué par Cette Hantise

il y a 10 années, 10 mois - 27 Mai 2013, Le Mauricien
Rescapé Du Virage De Sorèze : Le Receveur de la CNT Marqué par Cette Hantise
Vishamitr Bundhoo : "J'ai rêvé au chauffeur tué en deux occasions. Monn rêvé nou pe all fer ène Special Route ansam"

Trois semaines après le dramatique accident de Sorèze avec dix victimes dans la BlueLine immatriculée 4263 AG 07, le receveur d'aubobus de la Corporation Nationale de Transport (CNT), Vishamitr Bundhoo, 52 ans et habitant Lallmatie, se remet graduellement de ses graves blessures. Mais psychologiquement, il reste marqué par les moments d'enfer vécus dans ce bus depuis le moment où le chauffeue Gunesh Deepchand donna l'alerte au sujet des freins défectueux. Il arrive difficilement à accepter le fait que son collègue n'ait pas survécu à cet accident.
Kamla Devy Bundhoo, l'épouse du receveur, se souvient de l'appel téléphonique reçu vers 9h15, ce vendredi 3 mai. Par précaution et en cas d'urgence, Vishamitr Bundhoo avait préprogrammé son téléphone cellulaire à l'effet qu'en pressant la lettre K pour Kamla, il puisse entrer en communication avec son épouse, qui tient un petit commerce familial à Lallmatie.
"Mo lipié ti kwinsé dan bus. Ti pe gagn mari duler. Mem sa monn reussi gagn letan pran mo portab ki ti fini programer pou ki kan mo pez lor bouton K, mo bolfam so telefon soner! Lorsqu'elle décroche, je n'ai eu que le temps de l'informer que mon autobus avait fait un grave accident de la route et que j'étais grièvement blessé", se souvient Vishamitr Bundhoo.
Son épouse intervient pour faire état de la panique qui l'a tétanisée dans sa boutique. "Ler missier sonne mwa pou dir mwa ki line fer aksident, monn koumense plorer! Mo ti tousel dans sa lerla. Pa konné par ki pou kumansé. C'était un des moments les plus stressants de toute ma vie. Je me suis rendue en catastrophe à l'hôpital et en voyant les victimes arriver, j'étais encore plus paniquée et inquiète quant au sort de mon époux", se rappelle cette mère de deux enfants qui ne cesse de remercier Dieu d'avoir gardé Vishamitr en vie.
De son côté, le receveur de la CNT n'arrive pas à oublier ces images les unes plus dramatiques que les autres qui défilent dans son esprit. Il confie avoir rêvé en deux occasions de son collègue chauffeur de la CNT Gunesh Deepchand.
"Mo pe kapav coumens reviv normalma tigit tigit. Me selman stress-là fatigue mwa! Parfwa aswar mo pa gagne somey. Mo somey casser 4 er tou les jours, ler ki mo habitier lever mo pran mo bis pou ale travay. Mo retruv tou sa bann zimaz aksident-là. Mo mari sagrin mo sofer ki ti mo koleg ek ki ti enn bon kamwad are mwa. Nou fine travay enn bon lepok ensam. Mone rev-li deux fois. Mone revé nou ti pe ale fer enn Special Route ensam…", poursuit-il en arrivant difficilement à contenir ses émotions.
Les étapes du trajet entre Vacoas et Sorèze à bord de l'autobus de la BlueLine de ce vendredi matin sont encore vivaces dans son esprit.  "Lor lagar ti ena zis deux bis lekol. Sef de gare signal mwa: mettt 163 lexpress pran lotoroute. Non fine demarer 8h25 avec 10 passazer. Bis koumens passer desann. Dernyer passazer monte dan bis ti sa étudiante chinoise-là. Ena enn vié misié ki ti monter Quatre-bornes. Kan monn dir li bizin payer dan sa bis-là, li finn dessan lor bistop apré. Guett so lasans enn kou! Mo ti pe dress mo bann billets parti kot pont Colville Deverell kan katastrophe-là koumenser", raconte-t-il.
L'hospitalisation du receveur de la CNT fut un calvaire pour Kamla Bundhoo. "Mo bolom ek mwa nou ti tou le temps habitié ress ensam. Pa ti ena charme pou ki mo rantre dan enn lakaz vide apré ki mo sorti guett mo missié lopital tou les zours", dit-elle au bord des larmes. Néanmoins, depuis ces derniers temps, avec le rétablissement graduel de son époux, un semblant de sérénité s'est installé.
Minerve au cou en permanence, Vishamitr Bundhoo peut se déplacer seul à l'intérieur de sa maison. Sa principale appréhension est la suite de sa carrière professionnelle. "Sel kestion ki mo poz mwa tou lé zour sé si enn zour mo pou kapav remonte dan enn bis en tant ki kontroler. Pa konné… bizion attan", conclut le receveur de la CNT qui ne cesse de répéter qu'en survivant à ce grave accident, il a connu une seconde naissance.

Platform, Petite-Rivière:Gunesh Deepchand, un vide total difficile à combler
Au lendemain de l'accident de Sorèze du vendredi 3 mai, l'ancien chauffeur de la Corporation Nationale de Transport (CNT), Gunesh Deepchand était reconnu pour son acte de bravoure en tentant le tout pour le tout au nom de la sécurité des passagers du bus. Aujourd'hui, les clameurs se sont tues et la veuve du chauffeur, ses deux enfants ainsi que sa mère, habitant Platform, Petite-Rivière, sont laissés à eux-mêmes. Le poids de la douleur de cette perte immense les écrase.
Désespoir, révolte réprimée et sentiment d'abandon. C'est ainsi que la famille de Deepchand Gunesh décrit ce qu'elle ressent depuis le 3 mai. La veuve Jayshree Deepchand, son fils Avishek, 19 ans, et sa fille Karishma, 20 ans, disent être les seuls à savoir ce qu'ils ressentent. "Un vide total difficile à combler. Se enn poteau, nu la main droite ki fine alé", lâche la veuve meurtrie par ce drame. Le soutien de ses deux enfants et de sa belle-mère Shantee, 67 ans, est l'héritage le plus précieux en cette période des plus pénibles.
"Nu dan la tristess. Nu enkor pense li mem. Get la mem, ici mem nu abitie manze en fami ek zordi li nepli là", ajoute le fils Avishek. "Aujourd'hui, j'ai pris la place de mon père. Je me tiens là où il s'asseyait; c'est dur", confie le jeune homme, Golf Operator à Tamarina.
La veuve, employée dans une entreprise de textile de Plaine-Lauzun, a repris le chemin de l'usine. Elle y travaille de 7h 30 à 17h30. Elle n'a pas le choix dans la conjoncture. "Ma mère et moi faisons le maximum pour que nous puissions vivre décemment. Mais ce n'est nullement facile sans mon père", confie Avishek. Sa sœur Karishma suit des cours en Health Care au BSSR à Port-Louis. Elle doit entamer son diplôme pour une durée d'un an après avoir préalablement suivi un Foundation Course. Or, elle est confrontée à un souci majeur d'argent et nul ne sait comment honorer les frais de scolarité de Rs 45,000 pour qu'elle puisse poursuivre ses études.
En 27 ans de mariage, dit Jayshree Deepchand, c'est bien la première fois que son époux et elle sont séparés. Une séparation lourde à porter contre vents et marées pour rester forte et soutenir ses deux enfants qui comptent sur elle. Si la famille avoue réapprendre à vivre "doucement doucement, me pena sime, pena guide", elle ne cache pas, non plus, sa révolte. Une révolte obscurcie par le voile de la tristesse face au sentiment d'abandon qui les habite.
Les membres de la famille ont le sentiment d'être des "laissés pour compte" et affirment qu'un point d'ancrage a tragiquement disparu. "Pou la CNT, se enn travayer ki ale. Mai nu ki cone douler ki nu pe ressenti ek sa perte-là", s'insurge le fils. Et Shantee, mère de Deepchand Gunesh, d'ajouter à son tour: "Li ti nu la me droite. Mone ena 8 zenfans, mo garson inn aide moi pou grandi zot tout. Li ti kuma dir enn papa pour la fami."
Aujourd'hui plus que jamais, la famille de Deepchand réclame qu'une réponse leur soit fournie et espère ardemment que le rapport des deux experts indiens soit connu du grand public. "À ce moment-là seulement pourrons-nous aller de l'avant!", disent les membres de cette famille marquée à tout jamais par cet accident de la route du vendredi 3 mai 2013.