Le lendemain de cette dramatique découverte, les employés de la compagnie Sinohydro tentaient de colmater les brèches pour empêcher l’eau d’y pénétrer. Mais ces réparations de fortune ne pourront empêcher les fissures de s’élargir et de s’agrandir inéluctablement, jour après jour.
Mobilisé immédiatement, le ministère des Infrastructures publiques, Nando Bodha, fait un premier constat de la situation. D’après lui, les fissures sont apparues à cause d’un «manque de drains». Il affirme que des travaux doivent être effectués sur tout le tronçon.
Quatre jours après la découverte, la route est complètement interdite à la circulation. De nouvelles fissures sont apparues. Jusqu’ici, seule la voie endommagée était fermée, et les poids lourds n’avaient pas le droit de circuler. Cette nouvelle fait immédiatement réagir le public, qui se demande comment une route flambant neuve ayant coûté la bagatelle de Rs 4,2 milliards peut être fermée un an à peine après son ouverture.
Des travaux suspects
Elle attise également la suspicion du gouvernement sur les travaux d’infrastructures publiques effectués sous l’ancien régime, plus particulièrement à cause d’un problème identique rencontré sur la Ring Road. Nando Bodha va jusqu’à parler d’un «crime contre le pays».
Alors que le gouvernement se lance sur la piste des responsables, son prédécesseur, Anil Bachoo, soutient qu’il n’était chargé que «des policy decisions» et que «le contrat du consultant avait été émis par le Central Procurement Board». Il révèle également l’identité du consultant chargé du design de la route, la compagnie française Egis International.
L’entreprise Colas, qui avait obtenu le contrat de construction, soumet de son côté un rapport au ministère. Celui-ci fait appel aux experts de la Japan International Cooperation Agency (JICA), qui préconisent de placer du silicone sur les fissures pour empêcher l’eau d’y pénétrer. Ils se lancent aussi dans une étude du sol pour déterminer les causes exactes des fissures.
Deux solutions sont alors envisagées : effectuer des réparations en surface ou tout démolir et reconstruire. En attendant de se faire une idée plus précise des travaux et de leur coût, le gouvernement continue de traquer les responsabilités du fiasco.
Et bientôt, la nouvelle tombe : le consultant, le constructeur et la Road Development Authority (RDA) sont tous responsables à différents degrés. Nando Bodha révèle en effet que des fissures avaient été découvertes au même endroit en février 2013, plusieurs mois avant l’ouverture de la route.
Les fissures «masquées» par du bitume
A l’époque, les dégâts avaient été simplement recouverts de bitume, sans plus de cérémonie. A en croire Colas, ce serait Egis International qui aurait préconisé cette mesure, qui s’est révélée hautement ineffective et dangereuse. Le consultant aurait en effet réfuté les plans de construction de drains pour remédier au problème soumis par le constructeur.
Celui-ci se défend d’ailleurs en arguant que tous les plans de designs ont été suivis à la lettre. Mais le ministère ne l’entend pas de cette oreille : d’après lui, le contrat de Colas stipule qu’il doit être satisfait de la qualité du sol avant d’entamer des travaux. De plus, si nécessaire, des tests du sol doivent être effectués.
Nando Bodha pointe également du doigt la RDA, qui aurait selon lui «joué un rôle passif» dans cette affaire. Celle-ci se serait contentée de prendre connaissance des échanges entre Colas et Egis à propos des fissures, sans s’en mêler. Bientôt, les premières têtes commencent à tomber. Deux fonctionnaires, dont les noms apparaissent dans les correspondances suivant les premières fissures, sont mis à pied.
Mais, à en croire le ministre, ce sont bien les consultants qui sont le plus à blâmer. Le design proposé par ces derniers présenterait des «failles», et Nando Bodha estime que les travaux préliminaires n’ont pas été réalisés correctement.
Bachoo est prévenu
Dans une interview accordée à l’express le 10 février, le ministre explique que des dommages seront réclamés à Colas ainsi qu’à Egis International. Nando Bodha s’en prend également à Anil Bachoo : «Un ministre est tôt ou tard responsable. Il faut assumer. Anil Bachoo doit assumer», affirme-t-il.
En attendant d’autres développements, il semble que la route ne sera pas rouverte de sitôt. Les tests effectués sur la route, qui est sujette à des glissements de terrains et à des fissures, devraient en effet prendre plusieurs mois. Au moins neuf, estime une source au sein du ministère. En attendant, le gouvernement prévoit une déviation de la route de 400 mètres pour éviter le périmètre touché.
Ring Road : l’Etat cherche une garantie
Quelle garantie que la Ring Road à Pailles, sera une autoroute sûre, une fois les travaux terminus ? C’est la raison pour laquelle le ministère des Infrastructures publiques a retenu les services d’un consultant indépendant. Il s’agit de Johan Lourens, un ingénieur géotechnique de l’Afrique du Sud. Il est arrivé au pays dimanche. Il aura pour mission la contre-vérification du design proposé par ARQ, la firme de consultants sud-africaine qui a été recrutée par le consortium Rehm-Grinaker–Colas, dont le lead partner est Rehm-Grinaker.
Les services d’ARQ visent à remettre en état, après les travaux de consolidation nécessaires, la route rongée par les crevasses depuis un an maintenant. Cela devra donner lieu, d’ici fin 2015, à une nouvelle Ring Road sur un total de 90 pilotis.
Au ministère, on soutient que Johan Lourens a été recruté suivant un appel d’offres international. «Son contrat concerne pour l’heure la Ring Road uniquement mais on verra s’il peut également nous être utile pour l’autoroute Terre-Rouge–Verdun», indique une source officielle à ce ministère.