Je suis en faveur de ce projet pour plusieurs raisons. D'abord, la durée du trajet de Curepipe à Port-Louis en autobus est de 90 minutes. Des milliers de travailleurs, dont des fonctionnaires, vivent un stress quotidien rien qu'en prenant l'autobus chaque matin. En voiture, il faut environ une heure pour ce trajet le matin et l'après-midi.
Deuxièmement, la congestion routière pollue notre environnement. Voyez tous ces véhicules fumigènes crachant de l'oxyde de carbone qui nous rend malade. Troisièmement, le coût de ces embouteillages est évalué à Rs 9 milliards annuellement. Cela représente une somme faramineuse que notre petit pays ne peut se permettre.
Considérant ces faits, le métro a sa raison d'être. La durée du voyage est réduite à 30-40 minutes entre Curepipe et Port-Louis. Ce mode de transport est économique. Puis, le coût du trajet sera le même qu'en autobus et il nous préserve de la pollution. Le métro est un must.
Est-il réaliste de calquer le prix du métro sur celui de l'autobus ?
Considérons les Rs 9 milliards comme coût de la congestion. Ajoutez-y les frais de Rs 4 milliards payés aux autobus. Utilisons cette perte de Rs 13 milliards et injectons-la dans le métro. Nous pourrons alors réduire le prix du ticket et encourager les Mauriciens à utiliser ce mode de transport.
L'importation de pétrole, qui est onéreuse dans notre budget, va également diminuer. Bien sûr, il faudra une période de transition, qui décidera de tout. Tous les moyens doivent être utilisés pour rendre ce mode de transport attrayant.
«Tout le pays en sortira gagnant»
Au vu du trajet, ce projet semble privilégier les citadins. Êtes-vous pour un système excluant la grosse partie de la population vivant en région rurale ?
La population rurale ne sera pas exclue de ce projet. Ni lors de la phase initiale du projet, ni ultérieurement. N'oublions pas les voyageurs des zones rurales qui convergent vers Curepipe pour se rendre au travail dans la capitale.
Dans un deuxième temps, le projet sera étendu vers le Nord et le Sud pour couvrir toute l'île. Par exemple, Grand-Port–Savanne y sera intégré. Il faudrait en faire autant pour Plaisance et Grand-Baie. Dès le début, ce projet aidera l'île Maurice entière. Pas seulement la population urbaine. Il va décongestionner nos routes principales. L'accès sera plus fluide pour les voyageurs des régions rurales. Tout le pays en sortira gagnant.
«Le métro est une alternative. Il ne remplacera jamais l'autobus, le taxi ou la voiture privée. Il apporte un choix aux voyageurs»
Dans votre discours, vous préconisez le modèle singapourien. Mais Maurice ne vit pas les mêmes réalités que ce pays. En êtes-vous conscient ?
Certainement. Si un petit pays comme Singapour, avec sa population dense de 5,5 millions d'habitants, peut avoir son métro léger, ses autobus et ses taxis comme moyens de transport, pourquoi pas Maurice ? D'ailleurs, sa ligne de métro est de 67 kilomètres. À Maurice, on est juste à 26 km, avec un potentiel d'expansion.
Géographiquement, Singapour est plus petit que Maurice mais le modèle économique est semblable. La réalité n'est pas différente : nos pays ont beaucoup de similarités. Si le métro léger a résolu le problème de la congestion routière à Singapour, il devrait le faire chez nous également.
Nous devons le comprendre : le métro est une alternative. Il ne remplacera jamais l'autobus, le taxi ou la voiture privée. Il apporte un choix aux voyageurs. C'est important dans une démocratie d'élargir l'option du consommateur et donc de l'espace économique du pays.
Les promoteurs potentiels repoussent la date suivant la complexité du dossier. Pourquoi ?
Le projet était estimé à Rs 31 milliards par le gouvernement sortant. En 2014, la firme indienne Afcons avait soumis une offre de Rs 24,8 milliards pour le trajet de 26 km qui devait être construit sur des pilotis. Il y avait également un promoteur chinois qui s'est désisté. À l'époque, une somme représentant 20 % du coût de Rs 31 milliards avait été allouée pour les travaux préliminaires.
Le régime actuel a apporté des amendements. Une partie sera donc construite sur pilotis et le reste au ras du sol. Le coût a ainsi été ramené à Rs 17 milliards. Aujourd'hui, deux firmes indiennes sont en lice, nommément Afcons et Larsen and Toubro. Elles devaient soumettre leurs offres le 19 mai 2017. Finalement, une extension d'un mois a été demandée. Le gouvernement mauricien leur a accordé un délai de 12 jours. Ces firmes doivent faire des ajustements en fonction des changements.
«Quelle personne, quel citoyen, quel patriote pourrait assister à une perte de Rs 9 milliards ?»
Plusieurs spécialistes font état des risques associés au métro. Faut-il pour autant les négliger si on en croit votre positionnement ?
Qui sont-ils, ces spécialistes ? Que connaissent-ils du fonctionnement d'un métro léger tant sur les plans techniques et mécaniques que financiers ou autres ? Pour qui roulent-ils ?
Vous n'êtes pas non plus un spécialiste...
Oui... parce que je défends les consommateurs. Je n'ai pas d'intérêt dans cette compagnie-là. Puis, quelle personne, quel citoyen, quel patriote pourrait assister à une perte de Rs 9 milliards ?
Oublions le passé. Projetons-nous dans les trois prochaines années. Cela fera Rs 27 milliards. Vais-je laisser Rs 27 milliards passer ? Il ne faut être ni un technicien ni un professionnel mais avoir de la logique. Imaginons que je suis un patient qui souffre d'une hémorragie. Vous utilisez dix poches de sang et l'hémorragie perdure. Il faut la stopper. Le métro léger vient arrêter l'hémorragie des Rs 9 milliards par an. Il y a un risque que ce chiffre atteigne Rs 12 milliards en 2020. Le nombre de véhicules augmentera d'ici là, tel qu'annoncé par la National Transport Authority (NTA).
«Si ce projet tarde à se réaliser, ce n'est la faute d'aucun gouvernement mais celle du financement.»
Et les risques des opposants au projet alors ?
Il y a au total 140 métros dans le monde, notamment à Singapour, Hong-Kong, Taipei, Tokyo et New Delhi. Ils font tous des profits. Où est le problème ? Est-ce parce que l'Inde finance une partie du coût du projet qu'il n'est pas bon ? Pourquoi voit-on ce grand pays d'un mauvais œil ? Il y a une mauvaise conception.
Comprenons-le sur le plan géopolitique. Entrez en Inde et vous verrez. Pourquoi un pays fait-il une donation à une autre nation ? L'Inde a donné de l'argent aux Seychelles. Elle n'a rien à attendre de ce pays et n'a pas d'affinité avec celui-ci. C'est un pays qui aide les gens par tradition. L'Inde n'a aucune visée politique ni militaire. De plus, cette nation a financé le coût de construction de plusieurs grands projets tels que la cybercité, le centre Swami Vivekananda et tant d'autres qui sont très bénéfiques à notre pays.
Dans le passé, le métro a fait l'objet de plusieurs rapports techniques sans aucune concrétisation. Maintenant qu'un Budget arrive subitement, on s'empresse de dépoussiérer le projet ?
Ce n'est pas une question de dépoussiérer ou de laisser dormir ce projet dans un tiroir. Autant que je m'en souvienne, depuis l'époque de Ramduth Jaddoo en 1981, on parle de métro léger. Si ce projet tarde à se réaliser, ce n'est la faute d'aucun gouvernement mais celle du financement. S'il n'y a pas d'argent, il n'y en a pas. Que pouvons-nous faire ?
Déjà, à l'époque de Ramduth Jaddoo, la congestion coûtait Rs 4 milliards, d'où la nécessité d'une alternative de transport. Nous n'avions pas les moyens. Lorsque l'occasion et le financement se présentent, il faut les saisir et relancer le projet. Il a été discuté et rediscuté à plusieurs reprises par les divers gouvernements. Mais le financement, c'est maintenant qu'on l'a eu.
Je suis de ceux qui croient que gouverner c'est prévoir, en ayant une vision claire pour le bien de notre population. Le Mouvement militant mauricien (MMM) l'a compris. Ce n'est pas un hasard si ce parti est en faveur de ce projet, en dépit de certaines réserves sur quelques aspects. Le MMM a au moins une préoccupation pour l'avenir et la modernisation du pays. Et comme la congestion routière ralentit le progrès économique du pays depuis des décennies, il faut se presser, n'est-ce pas ?
Une autre alternative comme la construction d'autoponts ne serait-elle pas à considérer ?
Un autopont ne peut résoudre ni le problème de congestion routière ni celui de la pollution environnementale. Les statistiques prévoyaient que le nombre de véhicules passerait à 500 000 en 2020. En 2016 cependant, ce chiffre a déjà été atteint, avec une croissance annuelle variant entre 3 et 5 %.
De quelle façon la construction d'autoponts résoudrait-elle nos différents problèmes routiers ? Au contraire, la congestion routière s'amplifiera, les différents accès à la capitale seront toujours bloqués, le nombre de véhicules fumigènes augmentera, la pollution persistera.
Le métro fonctionnera selon un système électrique. Quelle émission de CO2 causera-t-il ? Alors, pourquoi gaspiller de l'argent en construisant des autoponts ? On le voit bien : même la route Terre-Rouge–Verdun n'arrive pas à décongestionner les principales artères de la capitale. Il nous faut un système alternatif de transport public à Maurice et le métro se présente bien.
Habitant de Camp-Thorel, Suttyhudeo Tengur a commencé sa carrière dans l'enseignement, au cycle primaire en 1976. Il se joint au syndicalisme dans les années 1980. Connu pour avoir brûlé certains rapports de réforme gouvernementale, il concentre ses actions sur les médias sociaux. Président de la Government Hindi Teachers' Union, il, a rejoint l'Association for the Protection of the Environment and Consumers il y a dix ans. Il en assume actuellement la présidence. Suttyhudeo Tengur est également assistant maître d'école à l'établissement Onesipho Beaugeard à Port-Louis.