Alan Ganoo : « Rien ne laisse présager que le projet Metro Express connaîtra un autre destin »

4 years, 6 months ago - 13 May 2020, Le Mauricien
Alan Ganoo : « Rien ne laisse présager que le projet Metro Express connaîtra un autre destin »
Dans l’interview que nous a accordée le ministre du Transport et du Métro, Alan Ganoo garde la porte ouverte concernant la possibilité de compléter les travaux du projet Metro Express.

« Au moment où je vous parle, rien ne laisse présager que le projet connaîtra un autre destin », observe-t-il. Les travaux sur le trajet Rose-Hill/Quatre-Bornes accuseront définitivement du retard. « Dans un an, nous aurons trouvé la lumière au bout du tunnel. La petite île Maurice aura retrouvé ses forces et son dynamisme pour relancer de nouveaux défis et continuer sa route vers la reconstruction d'un pays moderne et prospère », estime-t-il. Alan Ganoo parle également des dispositions prises afin d'assurer la sécurité sanitaire dans le transport public lors de la première phase du déconfinement.

> Comment cette crise sanitaire qui secoue le monde, et qui n'a pas épargné Maurice, vous interpelle-elle ?

Nous vivons tous des moments inédits dans notre vie, indépendamment de la génération à laquelle nous appartenons. Personne n'aurait osé songer que notre vie aurait pu changer aussi drastiquement. Le vocable et le concept de confinement nous étaient étrangers, inconnus et invraisemblables dans notre esprit. Cette crise sanitaire nous en a appris plus long sur nous que toutes nos expériences vécues. Elle a exposé brutalement la fragilité, l'impuissance et la vulnérabilité de l'homme face à des phénomènes qui peuvent encore échapper à son contrôle, malgré toutes les avancées de la science et les progrès de la technologie et de la médecine.

Autant de catastrophes, de douleurs et de détresses d'une dimension ahurissante. Cette crise a-t-elle permis à la nature de prendre sa revanche sur l'homme ? Puissions-nous tirer les leçons qui s'imposent, indépendamment de nos différences. Le COVID-19 nous a ramené à une brutale réalité. On évolue dans le même environnement, on respire le même air, on boit la même eau, on se nourrit des mêmes éléments, on est tous interconnectés. In fine, nous faisons partie du méga-puzzle qu'est l'univers. Cela me ramène à la grande pensée védantique millénaire : « Tout n'est qu'un ! » Différents et en silos dans la forme, mais un et unis dans le fond. Oui, nous sommes tous logés à la même enseigne et la mort reste malheureusement le grand niveleur, le vrai communiste. Cela rend humble.

> Comment avez-vous vécu cette expérience en tant que député et ministre ?

Après les premiers jours du confinement, à l'instar de mes collègues, j'étais sollicité constamment par des appels affolés, de détresse et de peur. Des demandes pour régler des problèmes de mes mandants surgissaient de toutes parts. Grâce aux structures et aux ressources politiques et humaines mises à ma disposition dans ma circonscription, j'ai mis sur pied un réseau pour répondre aux besoins de ceux qui m'ont demandé de les aider. La technologie m'a permis de maintenir cette proximité et de trouver des solutions à leurs problèmes. Je dois remercier tous ces patriotes, les ONG, les volontaires et les généreux donateurs qui ont consolidé cette chaîne de solidarité dans la région.
En tant que ministre, j'ai participé activement dans divers comités, y compris le conseil des ministres, pour analyser et contribuer avec mes amis à trouver des solutions à cette crise à multiples dimensions. Mais cette pandémie nous a enseignés qu'aussi puissants et nantis que nous puissions être, nous ne jouissons d'aucune protection ou de quelque avantage. La crise a été aussi une véritable leçon pour ceux qui croient que l'ordre mondial tient à leur simple volonté et à leur planification au niveau de la planète.

> Quelles sont les forces et faiblesses qui, selon vous, ont été mises en exergue par cette crise sanitaire ?
Effectivement, cette crise comporte ses côtés positifs, notamment en ayant mis en avant les forces du pays et de sa population. Comme toute grande catastrophe, cette pandémie a été aussi l'occasion d'un sursaut. La société mauricienne a retrouvé ses valeurs qui lui sont si chères. Les familles ont eu le temps de se retrouver. Elles ont appris à être autosuffisantes autour du fourneau, à vivre simplement et à éviter largesses et gaspillages. La solidarité proverbiale des Mauriciens s'est manifestée dans les quatre coins du terroir. Nous avons été témoin d'un grand élan de partage et de charité.

L'incroyable mobilisation du personnel soignant et de la force policière depuis plus d'un mois prouve aussi que notre pays est capable du meilleur. Il est de notre devoir de les saluer profondément pour leur courage et leur assiduité en vue d'aider le pays à sortir de cette crise. Malheureusement, la crise a aussi démontré certaines faiblesses dont nous aurons dû pouvoir nous passer. Il faut déplorer les actes graves d'indiscipline de la part de certains ayant fait preuve d'égoïsme et d'insouciance impardonnables. Le non-respect des consignes et du protocole est condamnable parce qu'il met en péril la vie de nos concitoyens et plombe tous les efforts des autorités pour progresser dans cette lutte sans merci.

> Pensez-vous que la population ait bien compris la menace que représente le coronavirus ?

Oui, je pense que dans son ensemble, la population a bien compris le danger que représente ce virus. Le nombre relativement important de nos concitoyens contaminés et les pertes humaines dans le pays et à l'étranger ont progressivement traumatisé et conscientisé notre population. Ajouté à cela, l'excellent travail de communication et de sensibilisation du Premier ministre et de son équipe. D'après un sondage effectué pendant le confinement, il ressort que 74% de la population ont exprimé leur crainte d'être infectés tandis que 94% se disent très concernés par l'ampleur de la pandémie. Les Mauriciens avouent massivement qu'ils éviteront d'aller dans des lieux publics très fréquentés et qu'ils préfèrent rester à la maison. Leur principale inquiétude demeure la contamination par le virus et la propagation de cet ennemi invisible et impitoyable.

Désormais, la population doit intérioriser le fait que nous vivons dans un autre environnement, que nous aurons à revoir certains gestes, certaines habitudes, certains automatismes et certains comportements. Le mot d'ordre est de respecter les gestes barrières, d'adopter une nouvelle attitude et de forger un nouveau style de vie.

> En tant que membre du National Steering Committee, vous avez une vision générale des dégâts causés par le Covid-19 sur les différents secteurs économiques et sociaux du pays. Pouvez-vous nous en parler ?

Le ministre de Finances, avec raison, nous a rappelé les effets dévastateurs du COVID-19 sur notre économie. En effet, son impact sur le PIB sera négatif en 2020, variant de -09% à -18%. Le chômage pourrait atteindre la barre des 24%. Quant aux autres indicateurs, comme l'investissement, le déficit budgétaire, le déficit commercial et la balance des paiements, les chiffres sont effarants.

Bien évidemment, les secteurs les plus touchés seront le tourisme et le secteur manufacturier. Aucun secteur productif de notre économie ne sera épargné. Quant à notre déficit budgétaire, dans le scénario le plus optimiste, il sera le l'ordre de 7,6%. Le désastre économique au niveau mondial est provoqué aussi par l'affaiblissement de l'économie chinoise en tant que pays exportateur. Les « lockdowns » affectent les différentes économies. La fermeture des frontières et les annulations des vols ont impacté notre tourisme et notre secteur de l'aviation civile.

La situation économique est apocalyptique de par le monde. Plusieurs petits États et pays en voie de développement, en Afrique et dans d'autres régions du monde, vont souffrir énormément, car les robinets d'aide au développement se fermeront. Ce choc économique et financier les anéantira, et des millions de migrants et réfugiés vivront un cauchemar. Le tableau est sombre.
Quant à Maurice, l'impact au niveau social sera aussi horrible en raison du manque de visibilité et de l'incertitude par rapport au virus. Nous devons remercier le Premier ministre et son ministre des Finances pour avoir initié les mesures sociales pour contrer le chômage et freiner la pauvreté. La création du COVID Development Fund favorisera des projets à caractère social. Le Self-employed Scheme, destiné aux employés du secteur informel, a permis à la MRA de décaisser des milliards de roupies pour soulager plus de 150 000 de nos concitoyens.
Le Wage Assistance Scheme a été mis sur pied pour soutenir financièrement les employés du secteur privé, incluant les travailleurs étrangers. Ce plan, qui vise à réduire les licenciements massifs, assurera la stabilité sociale du pays et soulagera des centaines de milliers de familles. Pas moins de 35 000 boîtes de nourriture ont été distribuées aux démunis et aux handicapés recevant une « Carers Allowance ». Les personnes âgées ont reçu à leur domicile leur pension de vieillesse. Le gouvernement a réduit le coût de l'électricité pour environ 80 000 familles au bas de l'échelle. Le ministre du Commerce a légiféré pour permettre le contrôle d'un plus large éventail de produits alimentaires. Toutes ces mesures ont coûté à la trésorerie de l'Etat la somme de Rs 8 milliards. Donc, malgré la récession économique qu'endure le pays, le gouvernement a barré la route à la récession au niveau de la justice sociale et de la solidarité.

> Avez-vous une idée de ce que sera l'ouverture par étapes de l'économie annoncée par le Premier ministre ?

La principale préoccupation et la priorité de tous les chefs d'Etat et de leur gouvernement consistent à savoir comment mater la crise sanitaire tout en privilégiant la reprise des activés économiques de leurs pays respectifs.

Tous les Etats sont à genoux, les uns plus touchés que les autres. Pour éviter que la crise économique ne débouche sur des troubles sociaux, la reprise est impérative. D'où l'importance de l'ouverture par étapes de l'économie. Beaucoup de pays ont logiquement, et avec prudence, opté pour un déconfinement par étapes. Le Premier ministre a fait un choix judicieux. Il a étendu le couvre-feu, mais a ouvert progressivement la porte du déconfinement. Nous suivons la même voie que d'autres juridictions. Priorité sera donnée à certains secteurs économiques, malgré le maintien du couvre-feu.

L'ouverture par étapes de l'économie ne signifie nullement la fin de la pandémie dans le pays. La résurgence dramatique de la pandémie à Singapour et dans d'autres pays doit nous servir de leçon et nous aiguillonner. Si nous ne faisons pas preuve de discipline et si l'on ne respecte pas les mesures barrières et les protocoles mis en place, tous les sacrifices consentis par notre peuple et les efforts déployés par les autorités auraient été un coup d'épée dans l'eau. Je suis convaincu que grâce aux résultats positifs que nous récoltons en ce moment, nous sommes sur la bonne voie. Nous pouvons vaincre le virus. Il s'agit de démonter la même discipline, la même rigueur et le même respect pour les consignes imposées par les autorités. C'est le cas pour la grande majorité des Mauriciens pendant la période de confinement et de couvre-feu sanitaire.

> Vous êtes ministre du Transport et du Métro. Comment se présente la situation dans ce domaine ?
Le transport public constitue un secteur vital pour le progrès dans notre pays, compte tenu de son rôle primordial consistant à assurer un environnement propice pour le développement des activités économiques.

Dans cette période de crise sanitaire et économique, sa mission est encore plus cruciale. Je suis d'avis que dans ce contexte particulier, sa mission consiste principalement, en premier lieu, à s'assurer que les services du transport soient prêts à soutenir la reprise graduelle des activités économiques dans le respect des protocoles établis.

Deuxièmement, il convient de s'assurer que le public voyageur et le personnel des compagnies de transport soient en sécurité et soient pleinement protégés, pour ne pas être exposés à des risques de contamination. Et, finalement, il faut que les passagers et les membres du personnel ne se transforment pas en vecteurs du virus pour leurs familles et la communauté en général.

Il nous faut nous rappeler qu'environ 450 000 Mauriciens voyagent dans nos autobus quotidiennement. J'exclus le métro, nos taxis et les « contract buses ». La question est de savoir si nous avons le droit de maintenir la situation comme elle est actuellement, surtout pendant la première phase de déconfinement.

Pouvons-nous permettre à nos autobus et au métro d'opérer avec des passagers empilés les uns sur les autres, avec tous les dangers que cela représente en termes de propagation du virus. Il nous faut donc réduire d'une façon significative la demande pour le transport public en cette période délicate. C'est la raison pour laquelle le gouvernement encourage le télétravail. Déjà, durant ces dernières semaines, aussi bien le secteur public que le secteur privé ont adopté cette méthode de travail, qui donne des résultats probants.

Le gouvernement donnera l'exemple et s'investira à fond dans cette voie. Le ministre responsable des TIC, Deepak Balgobin, conceptualise tout le projet. Quant au secteur privé, le ministre du Travail, Soodesh Callichurn jettera les bases pour le secteur privé. Des amendements aux législations sur le travail seront présentés au Parlement pour que cette nouvelle pratique se fasse dans un cadre légal approprié. Le confinement nous a incités à pérenniser cette situation. Le « work at home » deviendra une pratique établie.
Ce mode de travail réduira le nombre de voyageurs et permettra aux mères de famille de rester avec leurs enfants à la maison en attendant la reprise des classes. Elle permettra aussi aux bureaux et autres lieux de travail de pratiquer la distanciation sociale. Un personnel réduit au travail facilitera la distanciation sociale pour mieux protéger les employés. Il faut savoir que durant la première étape de la réouverture économique, seulement ceux munis d'un Work Access Permit seront autorisés à circuler.

Les personnes âgées, les jeunes et les étudiants ne pourront circuler, sauf pour des motifs d'exception, comme en cas d'urgences médicales ou pour faire des achats. Les personnes âgées seront encouragées à voyager en dehors de la période de pointe. Dans le cours normal des choses, environ 100 000 personnes âgées utilisent nos autobus chaque jour. Il est évident que nous aurons à modifier cette situation dans le souci de protéger cette catégorie de nos concitoyens en raison de leur fragilité et de leur vulnérabilité.
De plus, des mesures barrières seront prises afin de protéger les passagers et le personnel du transport. La distanciation sociale à l'intérieur du transport public ainsi qu'aux gares, stations de métro et abribus sera imposée. Les opérateurs, eux, auront la responsabilité de nettoyer et de désinfecter leur flotte d'autobus. Ils auront aussi à distribuer à leur personnel tous les équipements nécessaires, conformément aux protocoles. Le personnel aura à se laver les mains régulièrement. Des « sanitizers » seront utilisés également.
Le port du masque sera obligatoire dans les places publiques et dans le transport public. Évidemment, le protocole s'appliquera également au métro, aux bus scolaires et aux « contract vans » transportant des enfants. Toutefois, même en réduisant le nombre de voyageurs, prenant en compte la distanciation sociale à l'intérieur des autobus, les moyens de transport auront à être renforcés. La NTA pourrait ainsi être appelée à amender les permis des « contract buses » autorisés à transporter exclusivement les touristes afin qu'ils puissent véhiculer les employés des entreprises et établissements du corps parapublics.

> Le gouvernement ira-t-il de l'avant avec le projet Metro Express ?

S'agissant du Metro Express, il coule de source que le projet accusera du retard. La phase Rose-Hill/Quatre-Bornes, programmée pour être complétée à la fin de cette année, ne sera plus possible. Au moment où je vous parle, rien ne laisse présager que le projet connaîtra un autre destin. A mon avis, à la fin des travaux sur le trajet Rose-Hill/Quatre-Bornes, dans un an, nous verrons la lumière au bout du tunnel. La petite île Maurice aura retrouvé ses forces et son dynamisme pour relancer ses nouveaux défis et continuer sa route vers la reconstruction d'un pays moderne et prospère.

> Comment entrevoyez-vous l'avenir économique et social du pays ?

Nous n'aurons d'autre choix que de prendre des mesures drastiques pour nous protéger. Nous devons maintenant nous relever et les maîtres mots sont l'optimisme, la discipline et le sens du travail et du devoir. La reprise de l'économique prendra du temps et impliquera des sacrifices de la part de tout le monde, que ce soit du gouvernement, des entreprises et de la population en général.

Cependant, au milieu de cette énigme, il existe une fenêtre d'opportunités pour redémarrer l'économie sans commettre les erreurs du passé et en mettant en place une vision cohérente définissant le bon mécanisme d'allocation des ressources pour un avenir prospère. Le Premier ministre est un homme qui peut « think out of the box ». Sous son leadership, j'ai la ferme conviction qu'il trouvera le schéma de reconstruction et de refonte pour redémarrer l'économie vers un meilleur futur. La réussite dépendra de l'adhésion et du soutien de tous les patriotes. Ensemble, dans la discipline, avec le sens du devoir et dans la foi, nous remonterons la pente. La réussite dépendra uniquement de chaque Mauricien.