Les tarifs pourraient-ils être différents? Maurice peut-elle s’approvisionner auprès de pays producteurs moins chers? Explications.
Majoration de pratiquement 40 % en deux ans: la note d’essence n’a sans doute jamais été aussi salée pour les consommateurs. En février 2020, avant la contamination du pays au Covid-19, le carburant coûtait Rs 44 le litre, et le diesel, Rs 35. Or, à peine la hausse du 29 décembre 2021 amortie par les automobilistes avec une majoration de l’essence à Rs 55,75 contre Rs 50,79 le litre et le diesel à Rs 41 au lieu de Rs 37,30 le litre, une nouvelle augmentation leur tombe dessus. Depuis le 26 février, ces tarifs sont passés à Rs 61,30 et Rs 45,10 respectivement sur décision du Petroleum Pricing Committee, indiquant une différence d’environ 40 % entre 2020 et 2022.
D’où importons-nous ce fameux carburant qui flambe ces temps-ci ? Selon Rajiv Servansingh, directeur de la State Trading Corporation (STC), nous importons deux types de pro- duits pétroliers. «Les produits dits propres – essence et diesel – et le fioul, huile lourde utilisée essentiellement par le Central Electricity Board (CEB). Pour l’année courante, les deux types de produits sont importés de Dubaï», déclare-t-il. Outre les Émirats arabes unis, l’Inde et l’Arabie saoudite figurent parmi les top partner countries alimentant Maurice en carburants d’après les statistiques de 2019, indique Bhavish Jugurnath, économiste et expert-comptable.
D’après nos informations, le 24 janvier 2022, un contrat a été alloué à OQ Trading Limited pour la fourniture de produits blancs (white oil, comprenant l’essence, le diesel et le jet fuel contre une prime de USD 33 125 575 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2022. après un appel d’offres en date du 5 octobre 2021, indique une source de ce milieu. En 2019/2020, la demande annuelle de produits pétroliers pour les besoins domestiques et internationaux avait atteint les 945 000 tonnes métriques, précise le site de la STC. Selon Rajiv Servansingh, ce volume de carburant importé augmente puisque «le parc automobile est en constante expansion».
Quel est le mécanisme du tarif ? Pourquoi paie-t-on le prix fort pour l’essence ? Pour le directeur de la STC, le prix des produits pétroliers dans tous les pays importateurs sont déterminés sur une base journalière par un benchmark international nommé le Platz. «Dans un contexte commercial, ces prix sont applicables à toutes les transactions dans le monde. Les prix avaient déjà commencé à grimper sérieusement à la suite du redémarrage de l’économie après l’enlèvement des restrictions du Covid-19. La guerre a fait exploser les prix. Tous les producteurs s’alignent sur le Platz. Les prix de vente sont donc aussi alignés», explique-t-il.
D’après l’économiste Bhavish Jugurnath, Maurice subit un problème considérable avec la dépréciation de la roupie face aux devises telles que le dollar américain. Si le prix du baril atteint les USD 150, la situation empirera avec encore plus de pression sur la roupie mauricienne, indique-t-il. «Parallèlement, l’État n’aura pas les moyens financiers de prévenir une hausse du prix de l’essence. La problématique s’amplifie puisque le litre d’essence et de diesel est frappé par une taxe de Rs 2 pour l’achat des vaccins anti-Covid-19 et en décembre 2021, nous avions déjà une majoration d’environ 10 % sur ces carburants, ce qui impactait sévèrement sur les ménages», constate-t-il.
Réduire les taxes
Ces tarifs d’essence et de diesel auraient-ils pu être différents ? Selon l’économiste, une subvention de l’État permettrait d’éviter toute hausse pour les consommateurs. Toutefois, les indicateurs économiques sont déjà dans le rouge, avec une croissance avoisinant les 5 % et la dette publique dépassant les 90 %, ce qui entraverait toute intervention gouvernementale, à son avis. «Une possibilité pour prévenir toute majoration des produits pétroliers est de revoir la taxe. Actuellement, celle-ci représente plus de 48 % sur le coût, l’assurance et le fret, ce qui fait que le carburant est sévèrement taxé à Maurice. Une réduction de la taxe peut y remédier mais cela impactera les revenus gouvernementaux», déclare Bhavish Jugurnath.
De son côté, Rajesh Jeetah, ancien ministre du Commerce, revient sur un accord entre Maurice et l’Inde permettant un prix garanti de l’essence. «Au début de mon mandat d’alors, tous les prix grimpaient. À l’époque, on estimait que le baril pouvait atteindre les USD 400. L’Inde utilisait 111 millions de tonnes de produits pétroliers, et nous, 1 million de tonnes. Le gouvernement mauricien avait alors conclu un accord avec l’État indien pour l’approvisionnement d’essence. La STC avait alors convenu d’un arrangement avec un fournisseur de Mangalore. Ce deal favorisait une garantie de prix», explique-t-il. Parallèlement, Maurice avait acheté environ 30 % de la capacité de raffinement de Mangalore. Toutefois, l’accord a été rompu par la suite. L’ancien ministre s’interroge sur le système d’approvisionnement. «Les autorités achètent où elles veulent. Le fret des bateaux est-il moins cher comparé aux embarcations issues des accords précédents qui ont finalement été annulés ? On ne sait pas. Dans les moments difficiles que nous vivons actuellement, de tels arrangements auraient pu aider Maurice», constate-t-il.
Y a-t-il des pays producteurs ou fournisseurs qui procureraient des produits pétroliers moins chers ? À présent, les prix sont influencés par la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ce qui pèse lourd sur le pouvoir d’achat mauricien, indique l’économiste. D’après lui, l’Organization of the Petroleum Exporting Countries (OPEC), qui comprend 13 pays producteurs (les membres fondateurs sont l’Iran, l’Iraq, le Kuwait, l’Arabie Saoudite et le Venezuela et les autres membres incluent l’Algérie, l’Angola, le Congo, la Guinée Equatoriale, le Gabon, la Lybie, le Nigéria et les Émirats arabes unis), avait décidé à sa réunion du 2 mars, de ne pas augmenter les quotas de production. En temps normal, ces variations de prix auraient accentué plus d’extraction de pétrole sur le marché. Mais certains pays sont déchirés entre leurs liens avec la Russie et les Westerners. Les développements géopolitiques entraînent des conséquences particulières sur la situation actuelle. «Le monde est affecté par l’approvisionnement des produits pétroliers. Aussi, il est difficile d’avoir un meilleur prix des autres producteurs puisqu’ils sont tous issus de l’OPEC », affirme Bhavish Jugurnath.
D’après Rajesh Jeetah, il serait difficile de trouver des pays pouvant nous procurer de l’essence à bon marché. «Là où on pourrait gagner, ce serait sur le prix du fret. D’où l’importance d’avoir son propre tanker. Si on avait un traité avec l’Inde ou tout autre pays, on serait garanti sur le long terme. Hélas, on est à la merci de n’importe qui», précise-t-il. D’après lui, plus l’essence augmente, plus la taxe suit cet accroissement, ce qui est au détriment des consommateurs. Un point partagé par Bhim Sunnasee, président de la Petrol Retailers Association: «L’État pourrait voir où l’on peut se procurer de l’essence à prix moins élevés. Normalement, les autorités signent un contrat d’approvisionnement.» Ce dernier évoque des pertes considérables avec le nouveau tarif de l’essence car depuis, les consommateurs ne s’approvisionnent plus autant qu’avant. Selon lui, les commissions sur les cartes affectent les gérants des stations-service. À son sens, l’État devait intervenir sur la marge de taxe.
La solution pour payer moins cher, indique Suttyhudeo Tengur, président de l’Association for the Protection of the Environment and Consumers (APEC) est d’ouvrir davantage les appels d’offres à l’international. «Si nous avons des tenders internationaux, nos demandes seront largement diffusées dans les pays de l’OPEC et d’autres producteurs. Définitivement, nous aurons alors des produits pétroliers sur un prix assez compétitif. Paradoxalement, en cas de bids sélectifs, on sera toujours victimes de prix élevés», suggère-t-il.