La galerie de monstres luxueux qui sortent des ateliers du préparateur installé en Allemagne produit depuis trente ans des aberrations stylistiques.
C'est le nom le plus redouté de tous les designers. Car voilà des braves gens qui planchent des mois durant sur une aile, un profil ou une face avant, voire sur des couleurs particulières et peuvent voir leur travail saccagé en quelques jours. Par qui ? Mansory évidemment. Le préparateur suisse s'ingénie depuis 31 ans à détruire leur travail et certains de ces dessinateurs doivent se réveiller la nuit en sueur après un cauchemar dans lequel l'une de leurs créations part sur un camion plateau, direction la Wunsidler Strasse, dans la bourgade de Brand en Allemagne. C'est là que sévissent les 182 employés de l'Irano-britannique Kourosh Mansory. Elles en ressortent un petit mois plus tard, totalement transformées, bigarrées, et, pour tout dire martyrisées.
À ses débuts en 1990, lorsque le très discret Kourosh fonde l'entreprise qui porte son nom, il a un objectif presque unique : transformer des Bentley, avant de s'attaquer à d'autres anglaises du moment : les Rolls Royce et Aston Martin. Mais c'est au début du XXIe siècle que l'homme va faire parler de lui en s'en prenant à un monument du design qui va sortir Bentley de sa léthargie stylistique : la Continental GT.
Les puristes hurlent, mais Mansory sourit. Sa réputation de multiplicateur de chevaux (la GT passe de 575 à 672 ch), de peintre clinquant et de spécialiste de l'accessoire douteux est faite. Les designers hurlent, les visiteurs du salon de Genève - où le préparateur a son rond de serviette - rigolent, mais les clients achètent.
Qui sont-ils ? Si certains footballeurs au goût parfois incertain sont connus, le gros des troupes est beaucoup plus discret que les autos qu'ils s'offrent. Pourtant, il suffit de consulter la liste des concessionnaires Mansory : il n'y en a aucun à Châteauroux. La carte du monde des riches, nouveaux ou plus anciens, a servi à l'entreprise pour décider de ses points de vente. Beverly Hills, Moscou, Genève, Singapour et les Emirats sont plutôt bien desservis.
La Stallone s'attaque à un monument
Les ateliers tournent à plein régime, les clients en mal de spectaculaire se précipitent, mais Mansory ne compte pas s'arrêter au massacre des belles Anglaises. Vers la fin des années 2000, il s'attaque au saint des saints, au mètre étalon du design italien, et donc mondial : Ferrari. Et pas n'importe laquelle : la 599 GTB Fiorano, un chef-d'œuvre d'épure. Il lui colle des bandes noires, y ajoute un compresseur sacrilège, un béquet arrière large comme un surf et la rebaptise Stallone.
Le comédien n'a rien demandé à personne, mais certains de ses rôles transpirent la virilité brute et le manque de finesse qui, tout compte fait, vont bien à la voiture. Cette fois, c'en est trop ? Au contraire. La Stallone a tellement de succès qu'elle reviendra une dizaine d'années plus tard, en empruntant la base d'une autre Ferrari : la 812 Superfast.
Mais quitte à choquer, autant y aller franco. La Bugatti Veyron ? Une base intéressante adoptée par la maison Mansory. Le préparateur ne touche pas à la ligne, qu'il juge suffisamment extravagante, et se contente de la repeindre façon marbre. Mais en fait, les taches censées symboliser la pierre de Carrare font plutôt penser à la carrosserie d'une auto qui aurait passé trois mois sous un nid de pigeons atteints d'une forme sévère de gastro. Au salon de Genève 2018 où elle est présentée, les syncopes s'enchaînent parmi les observateurs. Reste que les clients sont rois et en redemandent tellement que la petite PME grossit et s'offre un concurrent suisse : Rinspeed.
Des SUV transfigurés et une Ford GT éreintée
Mais l'ambiance est moins aux supercars égoïstes. En ces fins des années 2010, les super clients Mansory ont des super enfants, et sont de plus en plus friands de SUV, de luxe bien sûr. Lamborghini a créé son Urus. Quant à Bentley et Rolls, ils ont concocté respectivement les Bentayga et Cullinan.Le préparateur se les approprie tous les trois avec son goût habituel pour les teintes discrètes. Le Cullinan adopte un intérieur vert fluo et le Bentayga, comme l'Urus, devient bicolore façon fast & furious.
Rolls et Bentley ont l'habitude de voir leurs autos défigurées depuis plus de deux décennies, mais pour la première fois, Mansory s'attaque à une marque épargnée jusqu'alors : Ford. La GT de l'américain se voit transformée en batmobile de contrebande et son prix a été multiplié par deux pour atteindre 1,8 million d'euros.
Ces trois décennies de démolition des esthétismes automobiles acquis au cours d'un siècle auront-elles eu raison du bon goût ? Pas vraiment, malgré le succès de ces choses roulantes auprès d'une tranche restreinte d'une population ultra-riche. C'est peut-être même le contraire qui s'est produit. En examinant le dessin d'un Urus de base, ou d'un Cullinan, voire d'un Bentayga sortis d'usine, on n'est pas vraiment en admiration devant leur design, loin de là.
Pourtant, en observant, même de très loin, la nuit et dans un brouillard épais, ce que Mansory en a fait, on est forcé de reconnaître au modèle d'origine, et à son designer, bien du talent. Celui d'avoir su concevoir une ligne somme toute sobre, et, après tout, plutôt cohérente. Du coup, tous ces professionnels de la planche à dessin auraient dû, en passant près du stand du préparateur à feu le salon de Genève, le remercier chaleureusement, au lieu de se moquer de lui.
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