Police and Criminal Justice Bill: La fin des charges provisoires annoncée

1 month ago - 3 November 2025, lexpress.mu
Police and Criminal Justice Bill: La fin des charges provisoires annoncée
Lors de la séance parlementaire du mardi 28 octobre, le député et leader des Nouveaux Démocrates, Khushal Lobine, a interpellé l’Attorney General, Me Gavin Glover, sur la prochaine introduction du Police and Criminal Justice Bill à l’Assemblée nationale.

Cette réforme, promise depuis plus d’une décennie, vise notamment à abolir la pratique controversée des provisional charges. La réponse de l’Attorney General a confirmé la volonté du gouvernement d’aller jusqu’au bout de cette transformation du système pénal.

Dans sa réponse, Me Gavin Glover a rappelé que le texte a connu «une histoire mouvementée». Il avait été présenté une première fois le 16 avril 2013 par l’Attorney General d’alors, Me Yatin Varma, sous le nom de Police and Criminal Evidence Bill (No. IV of 2013). Le projet n’avait pas franchi l’étape de la première lecture : «Ceci est une loi en gestation depuis dix ans. Il a été présenté une première fois en 2013 par Me Varma mais par la suite, il n’y avait pas de volonté de l’ancien régime de faire avancer les choses», a-t-il souligné.

Selon lui, «c’est une loi extrêmement importante car elle révolutionne le système d’enquêtes à Maurice.» Depuis 2013, plusieurs gouvernements ont tenté de la remettre à l’agenda sans succès, notamment en 2015 et 2019. Au fil des années, l’Attorney General’s Office (AGO) a sollicité des experts internationaux. Le professeur britannique Michael Zander KC a recommandé que le projet s’accompagne de Codes of Practice, précisant les procédures de la police, de la fouille à la détention. En 2016, le consultant sir Geoffrey Rivlin QC, mandaté par le Commonwealth Secretariat, a plaidé dans son rapport pour l’abolition pure et simple des charges provisoires.

Gavin Glover a expliqué que la nouvelle mouture, désormais baptisée Police and Criminal Justice Bill 2025, a été transmise au Director of Public Prosecutions (DPP) et au Commissioner of Police (CP) pour avis. Des consultations seront également menées auprès de la société civile : Transparency International Mauritius, Dis-Moi et d’autres ONG de défense des droits humains ont été citées. Le texte, a-t-il dit, «fera disparaître les charges provisoires telles qu’on les connaît aujourd’hui», mais imposera à la place une nouvelle logique de collaboration entre les enquêteurs et le parquet.

Dans le détail, cette réforme bouleverserait la mécanique de l’enquête criminelle à Maurice : la police ne pourrait plus arrêter un individu sur la base d’une simple allégation ou d’un soupçon vague. La charge provisoire, pratique issue d’une vieille ordonnance coloniale du XIXe siècle jamais codifiée, a souvent été dénoncée comme un instrument d’abus.

Entre 2015 et 2016, selon des chiffres parlementaires, la police avait déposé 14 728 charges provisoires, dont plus d’un tiers ont été annulées faute de preuves.

En 2016, l’ex-DPP Satyajit Boolell avait luimême soutenu l’idée d’une loi type Police and Criminal Evidence Act, rappelant qu’un suspect ne peut être indéfiniment détenu sans inculpation formelle. Plusieurs voix, dont celle du Barreau et d’organisations de défense des droits humains, avaient alors demandé la suppression de cette «anomalie» mauricienne.

Mais les obstacles ont été nombreux. En 2019, un texte quasi finalisé n’avait toujours pas été présenté au Parlement. «Il y avait un manque de volonté politique à ce moment-là», concède Me Glover.

Depuis, son Bureau a repris les travaux : «Comme tout changement, celui-ci vient aussi avec son pushback. Ce sera au niveau des autorités d’investigation. Ce sera plus difficile d’arrêter les gens; il faut un changement de mindset.» L’Attorney General estime qu’il faudra former les policiers, renforcer la capacité du service médico-légal et développer la cyber criminalistique : «Faire adopter le projet de loi au Parlement sera peut-être la partie la plus facile ; le vrai défi sera de changer la culture des enquêtes.»

Dans la pratique, le Police and Criminal Justice Bill s’inspire du modèle britannique de la Police and Criminal Evidence Act. Cinq Codes of Practice y seront annexés : l’un régira les pouvoirs de stop and search, un autre les fouilles de domiciles, un troisième les arrestations, un quatrième la détention et l’interrogatoire, et un cinquième l’identification des suspects. Ces cadres imposeront des procédures documentées, des délais de détention précis et une supervision accrue du parquet. La création d’un custody officer chargé de contrôler le respect des droits des détenus est également envisagée.

Le gouvernement travaille parallèlement sur deux textes complémentaires : le National Prosecution Service Bill, pour encadrer le rôle du parquet, et le Mauritius National Crime Agency Bill, destiné à mieux coordonner les investiga- tions de haut niveau. L’ensemble, selon Gavin Glover, formera un nouveau pilier institutionnel «plus transparent, plus professionnel et plus conforme aux standards internationaux».

Cependant, la perspective d’une abolition totale des charges provisoires suscite un débat dans le monde juridique. L’avocat Raouf Gulbul partage l’objectif mais alerte sur les implications pratiques : «Je suis d’accord qu’on enlève les charges provisoires, mais nous les remplacerons par quoi ? Que fait-on d’une personne qui a commis un crime tant que l’enquête est en cours? Il y a des enquêtes qui prennent facilement un an.» Il met aussi en garde contre la situation des détenus déjà sous charge provisoire : «Qui plus est, la majorité de nos prisonniers sont sous charge provisoire. Que fera-t-on d’eux ?» Cette préoccupation rejoint celle de nombreux pénalistes, qui craignent un vide juridique si les alternatives, comme des mécanismes d’arrestation supervisés par le DPP, ne sont pas encore prêtes.

De son côté, l’avocat Me Sanjeev Teeluckdharry salue la réforme pour son principe : «C’est bien que le principe de faire une enquête avant d’arrêter une personne soit enfin mis en pratique.» Il cite en exemple «le cas d’Akil Bissessur devant la cour de Bambous, où il n’y avait pas de reasonable suspicion pour l’arrêter». Pour lui, la loi permettra de mettre fin à des arrestations arbitraires souvent dénoncées. Mais il appelle aussi à un débat plus ouvert dans la profession : «Dans la profession légale, l’on voudrait que ce Bill circule pour que nous puissions partager notre opinion et qu’il y ait de vraies consultations avant.»

Me Teeluckdharry soulève aussi un autre point sensible : l’introduction possible, dans la version 2025, d’un mécanisme de type hearsay, c’est-à-dire l’admissibilité de déclarations faites hors cour dans certains cas. «En temps normal, quand un accusé ne se présente pas en cour, l’on ne peut pas introduire son statement. Il est possible que cela change avec l’introduction du hearsay (out-of-court statement). Cela va à l’encontre d’un fair trial et met les avocats dans une posture où il est impossible de contre-interroger. Ce sont des points à discuter.»

La réforme va bien au-delà de la seule suppression des charges provisoires. Au final, elle redéfinira les rapports entre police et parquet, les droits des suspects et la conduite des procès.

Depuis des années, de nombreux observateurs dénonçaient la charge provisoire comme un outil d’arrestation préventive abusif, parfois utilisé à des fins politiques. Les débats de 2016 l’avaient déjà mis en lumière : plusieurs anciens Attorneys General, à savoir Me Rama Valayden, Satish Faugoo et Yatin Varma, avaient alors accusé le gouvernement d’avoir instauré un «deux poids, deux mesures», certains ministres étant épargnés par les charges provisoires tandis que des opposants y étaient systématiquement soumis.

Ce nouveau projet de loi se veut donc une réponse à ces dérives, tout en restant conscient des réalités du terrain.

Me Glover l’a reconnu : «Ce sera plus difficile d’arrêter les gens.» L’objectif est de contraindre les forces de l’ordre à fonder chaque arrestation sur des preuves solides et un dossier complet, validé en concertation avec le DPP.

L’Attorney General a ajouté que la transition nécessitera un important travail de formation : «Il faudra un changement de mentalité des autorités d’enquête, la mise à niveau des unités de forensics et de cybersécurité, et une montée en compétence générale du système.»

Les défenseurs de la réforme y voient une étape nécessaire pour rapprocher Maurice des standards internationaux de justice pénale. Les critiques, eux, redoutent des lenteurs dans les enquêtes et une complexité accrue pour les policiers déjà surchargés. Ce débat renvoie à une tension historique : concilier la rapidité de l’action policière et la rigueur du droit.

Le Police and Criminal Justice Bill devrait être présenté à l’Assemblée dans les prochains mois, après réception des avis du DPP et du Commissaire de police. Il marque, selon Gavin Glover, «le point d’aboutissement d’un processus de dix ans.»

Si le texte est adopté, Maurice mettra un terme à une pratique héritée du XIXe siècle, souvent critiquée comme contraire à la Constitution.