Transport Public : Receveurs Et Passagers A Couteaux Tirées

12 years, 2 months ago - 28 August 2012, The Défi Media Group
Transport Public : Receveurs Et Passagers A Couteaux Tirées
Voyager par autobus devient pénible. Receveurs et passagers se plaignent du manque de courtoisie et de politesse qui sévit. Le respect d’autrui n’a plus sa place dans le transport public. Incursion.

Les receveurs sont agressés, les passagers sont malmenés… Les scénarios ne man­quent pas pour décrire l’atmosphère qui règne dans les autobus. Le transport public est utilisé par des milliers de personnes au quotidien. Malgré cela, un bon nombre d’entre elles ne sait pas comment se comporter…

15 cas d’agressions graves sur des receveurs d’autobus sont recensés chaque année. Et cela, sans compter ceux où les receveurs sont bousculés chaque jour. Le président du Front commun du syndicat des transports (FST), Yousouf Chottoye, n’avait pas caché son mécontentement face à cette situation qu’il juge alarmante.

Il est impératif, soutient-il, que les autorités réagissent. Il a aussi souligné que ces agressions découlent souvent du fait que certains passagers refusent de payer. Mais que depuis l’introduction du transport gratuit pour les étudiants et pensionnés, la situation s’est corsée. Il ajoute que le dimanche matin, à la sortie des discothèques, la majorité des voyageurs refusent de payer leurs tickets, et arrivés à destination, ils agressent le receveur ou le bousculent.

Yousouf Chottoye est d’avis que la loi doit être amendée pour punir plus sévèrement les agresseurs des receveurs. 

Une simple amende comme c’est le cas actuellement n’est définitivement pas la solution. Si Yousouf Chottoye se plaint de l’attitude de certains passagers, ces derniers, eux, accusent les receveurs de manque de courtoisie à leur égard.

Le revers de la médaille

Les personnes âgées, et les étudiants en particulier, soutiennent que depuis que le transport est gratuit, certains receveurs les traitent comme des moins que rien. Dhanwantee Lall, âgée de 64 ans, habite Curepipe. Elle va souvent rendre visite à sa fille à Triolet. Elle raconte que quand elle est la seule à l’arrêt d’autobus, les bus ne s’arrêtent même pas et que certains receveurs lui demandent sa carte de bus avec mépris.

« La façon dont ils agissent parfois est vraiment intolérable. Parfois, le receveur demande même au chauffeur de démarrer, alors qu’il voit bien que je ne me suis pas encore installée. Les temps ont vraiment changé. Aujourd’hui, personne ne se lève pour vous céder la place. Il est même rare qu’on tienne compte des femmes enceintes. Si nous bénéficions aujour­d’hui du transport gratuit grâce au gouvernement, nous ne l’avons pas eu sur un plateau. Nous avons tous travaillé pendant des années pour le bien du pays. Il est temps que ces receveurs d’autobus apprennent à bien se comporter et à respecter leurs aînés », s’insurge-t-elle.

Anne-Julie, 16 ans, fréquente un collège confes­sionnel à Quatre-Bornes. Sa mauvaise expérience en bus l’a tellement marquée qu’elle appréhende le fait de prendre le transport public chaque fois qu’elle rate l’autobus de l’école ou que sa mère ne peut la déposer. Elle raconte qu’elle n’arrivait pas à mettre la main sur son ‘Student Bus Pass’ et que le receveur a haussé le ton comme si elle n’était qu’une vulgaire menteuse, voire une voleuse.

« Mon  ‘Student Bus Pass’ était dans mon sac, mais je fouillais dans mes affaires et je n’arrivais pas à le trouver. Pourtant, il y avait d’autres personnes qui n’avaient pas encore réglé leurs tickets d’autobus. C’était évident que je cherchais mon ‘pass’ et il aurait pu revenir un peu plus tard, mais non, il est resté planter là en me fixant, ce qui me stressait encore plus.

Et là, le receveur m’a dit que je dois payer le tarif adulte. Je lui ai demandé de patienter et il n’a rien voulu entendre et m’a dit que « ça pas mon problème ça ! » et que si je ne voulais pas payer je n’avais qu’à descendre du bus. Finalement, j’ai pu mettre la main sur mon ‘pass’. Il s’est contenté d’y jeter un œil et ne m’a même pas présenté des excuses. Depuis, c’est un cauchemar pour moi de prendre le bus. Je revis ce calvaire », soutient la jeune fille.

Le 2 août dernier, Frédéric Kelly, Jeff Élysée et Bernard Simon Andee ont été arrêtés par la police criminelle de Port-Louis Sud. Ils semaient la terreur dans les autobus dans la région de Coromandel et de La Tour Koënig. Ils ciblaient surtout les receveurs. Ils  étaient, depuis quelque temps recherchés par la police. Ces malfrats avaient un mode opératoire bien précis… Ils parcouraient la région de La Tour Koënig et Coromandel, et repéraient les bus avec le moins de passagers pour commettre leurs délits. Ils agressaient le receveur et s’emparaient de la recette du jour. Ils ont été provisoirement inculpés de vol avec violence.

Deux receveurs en ont fait les frais. L’un s’est vu contraint, sous la menace d'une arme tranchante, leur remet­tre sa recette de la journée, soit une somme de Rs 8 000 et ses Rs 2 000 personnelles. L’autre, un receveur, de Triolet Bus Service, a dû, sous la menace d'un sabre, leur donner Rs 2 500.

Ce que font les compagnies pour assurer la sécurité des employés d’autobus

Les compagnies d’autobus prennent plus de mesures pour assurer la sécurité des chauffeurs et des receveurs. Chez United Bus Service Ltd, Aleem Bundhoo, Traffic Manager, explique que tous les autobus de la compagnie sont équipés d’un coffre, dont la clé est précieusement gardée au garage. « Dans tous nos autobus, il y a un coffre. Nous demandons d’ailleurs à tous nos receveurs de mettre les grosses sommes d’argent dans le coffre et de ne garder que les petites monnaies sur eux. Une fois au garage, à la fin de leur journée, ils peuvent récupérer la clé », dit-il. Il tient aussi à remercier la police pour son efficacité à chaque fois qu’il y a un cas de vol dans un autobus. « Je félicite la police, car les voleurs sont prévenus. S’ils braquent un autobus, ils seront punis », ajoute-t-il.

En ce qui concerne les agressions contre les receveurs de la part des passagers, Aleem Bundhoo est catégorique. « C’est un problème de société et il faut y remédier rapidement. Récemment, une jeune collégienne a sauvagement agressé un receveur qui a été admis à l’hôpital. Les jeunes doivent apprendre à bien se comporter dans les transports publics », dit-il.

Du côté de Rose-Hill Transport (RHT), on mise sur la formation et la prévention. « De notre côté, nous offrons régulièrement des cours à nos employés pour les aider à maîtriser avec diplomatie les situations difficiles. Si une personne se montre violente dans un autobus, le chauffeur a pour instruction de s’arrêter au poste de police le plus proche », explique Prakash Beeltah, Traffic Supervisor. Chez RHT, en termes de précaution, la compagnie ne lésine pas sur les moyens.

« Il y a trois mois, nous avons installé trois caméras qui donnent sur différents angles dans deux de nos autobus. C’est un projet pilote et, bientôt, nous pensons équiper tous nos autobus de caméras. Ce sera une protection pour nos employés et pour les passagers également. Nos autobus sont aussi équipés de GPS », avance Prakash Beeltah.

Nous avons vainement tenté d’avoir la version d’un responsable de Triolet Bus Service à ce sujet. La direction n’a pas donné suite à nos appels.

Les formations et les sanctions de la NTA

Cyril Appajala, ‘Transport Controller’ à la ‘National Transport Authotity’ (NTA), explique que la sélection et la formation des receveurs d’autobus se font selon des règles très strictes et que si ces derniers ne font pas honneur à leur profession, les sanctions nécessaires sont appliquées.

« Quand un individu fait une requete pour devenir receveur d’autobus, nous lui demandons son certificat de moralité, ainsi qu’un certificat médical. Après sa formation au cours de laquelle il prend connaissance des règlements, il a un examen à passer avant d’être confirmé.

Ce sont des ‘Senior Inspectors’ de la force policière qui assurent la formation sur tout ce qui concerne les lois en vigueur. Nous lui apprenons aussi tout ce qui n’est pas dans loi, mais qui concerne la courtoisie. Il est appelé à accorder une attention particulière aux jeunes enfants et aux personnes âgées et aux plus vulnérables, dont les handicapés. Ensuite, quand il est employé, son employeur assure aussi d’autres formations », explique Cyril Appajala.

Le Transport Controller de la NTA explique aussi que pendant leurs diverses formations, les receveurs apprennent comment se comporter vis-à-vis du public, quel langage utiliser et quelles attitudes adopter quand ils ont des problèmes avec des passagers, par exemple, si ces derniers deviennent agressifs. «  Nous comptons plus de 2 000 receveurs sur nos routes et je peux vous assurer qu’ils ont tous bénéficié de formations appropriées et nécessaires. Mais si certains ne respectent pas les règles, il y a le Board de la NTA.

Nous prenons connaissance de la situation et des sanctions nécessaires sont prises contre le receveur et, si besoin est, il est révoqué », dit-il.

Comme l’a souligné Cyril Appajala, les receveurs ont des formations avec leurs compagnies respectives dès qu’ils sont en poste. Le ‘Traffic Manager’ de la Compagnie Nationale de Transport (CNT), Pradeep Panday, confirme que c’est le cas à la CNT.

Recommandations quotidiennes à la CNT

«  Nous avons  des ‘Training Programmes’ pour tous nos receveurs et des « briefings » sont organisés tous les jours avant de commencer la journée de travail. Nous repassons sur les sujets essentiels, comme leurs comportements vis-à-vis des passagers. Ils ont aussi des formations complémentaires avec la force policière. Mais je trouve que c’est dommage de mettre tous les receveurs dans le même panier à cause de quelques têtes brûlées.

Les receveurs font un travail très noble. Ils quittent leurs maisons à trois heures du matin pour ne rentrer qu’à 14 heures, et parfois plus tard, et tout cela en gardant la bonne humeur pour vous servir. Il ne faut pas oublier que ce sont des humains et il arrive que parfois ils ne soient pas de bonne humeur, mais il ne faut pas non plus chercher  la petite bête », lance Pradeep Pandey. Pour ce qui est des plaintes, dit-il, il y a le ‘Complaints Bureau’. Les plaintes sont analysées par un comité et des sanctions sont prises si besoin est.

Cyril Appajala et Pradeep Pandey pensent que l’effort doit venir des deux côtés pour améliorer la situation, notamment des receveurs et de passagers.  Et pour ce qui est des agressions dans les autobus, dans le but de voler de l’argent, il faut que les autorités concernées renforcent la sécurité. Ils sont d’avis que si chacun fait sa part, la situation ne tardera pas à être sous contrôle.

Témoignages

Tasser Coongah, âgé de 22 ans, et receveur pour la compagnie UBS, est encore sous le choc. Ce qui lui est arrivé, il ne l'oubliera pas.

« Le mois dernier, alors que je faisais le trajet Le Goulet-Vallijee, deux passagers, une femme et un homme, sont entrés dans l’autobus à Le Goulet. Il était 14 heures. Quand je suis allé vers eux pour qu’ils paient, ils m’ont dit d’un air menaçant qu’ils n’ont pas d’argent mais que je dois les conduire où ils veulent. J’ai essayé de négocier avec eux mais ils n’ont rien voulu entendre.

Le chauffeur a donc décidé d’arrêter l’autobus pour qu’ils descendent. Toutefois, trois individus qui marchaient sur la route sont entrés dans le bus pour savoir ce qui se passait. L’homme qui ne voulait pas payer leur a alors dit que j’ai fait des attouchements sur sa femme. Ils se sont jetés sur moi et m’ont tabassé. Les trois individus ont alors volé ma trousse. Heureusement que la police n’a pas mis longtemps à leur mettre la main dessus. Je ne vais toutefois pas quitter mon travail car je suis quelqu’un d’honnête. Je sais que Dieu veille sur moi », raconte Tasser Coongah.

Ouzair Owadally, âgé de 23 ans, receveur, , se rappelle encore de ce qui ne s’est passé il y a un mois et demi. « Une étudiante est entrée dans le bus à la gare du Nord Port-Louis. Elle voulait partir à Tranquebar.

Toutefois, ce n’est pas le trajet qu’elle aurait dû prendre selon son ‘Student Pass’. Je lui ai alors demandé de payer son trajet et elle a refusé. J’ai alors dit au chauffeur de s’arrêter au poste de police de Pope Hennessy. Une dame qui était pressée a alors payé pour elle. Cependant, quand la fille est descendue du bus, elle a commencé à m’agresser, à me donner des coups. J’ai dû aller à l’hôpital », nous raconte Ouzair Owadally.