Transport public: Entre gratuité et viabilité, un équilibre à trouver

3 months ago - 4 September 2025, lexpress.mu
Transport public: Entre gratuité et viabilité, un équilibre à trouver
Le gouvernement viendra prochainement de l’avant avec un Bus Services Industry Bill, destiné à apporter une réglementation dans le secteur du transport.

Ce dernier fait aujourd’hui face à de nombreux problèmes : congestion routière, insatisfaction des voyageurs, croissance rapide de la motorisation privée, davantage d’accidents et une pollution atmosphérique accrue, avec une flotte de bus moins économe en carburant, aggravant ainsi les problèmes de santé publique dans les zones urbaines.

Dans le même esprit de modernisation, dix bus électriques ont été remis à la National Transport Corporation (NTC) il y a un mois dans le cadre d’un projet de 100 bus offerts par le gouvernement indien. Ces véhicules, fournis par Switch Mobility, reposent sur la plateforme EiV12 et peuvent transporter jusqu’à 45 passagers. Entièrement électriques et adaptés aux déplacements urbains, ils sont équipés d’un système télématique de gestion de flotte et de batteries intégrées au plancher pour plus de stabilité ainsi que de dispositifs de sécurité comme un système de détection et d’extinction d’incendie. Ils seront rechargés hors des heures de pointe. De même, ils devraient contribuer à réduire les émissions, limiter la consommation de carburant et diminuer le bruit dans les zones urbaines. Cette initiative s’inscrit dans la volonté de renouveler une partie importante de la flotte de 500 bus de la NTC, dans le cadre du programme gouvernemental 2025-29.

«Cashless Payment System»

Parallèlement, il y a le programme annoncé d’aller vers un système de transport gratuit pour tous ainsi que l’introduction d’un Fleet Management System avec GPS dans chaque autobus et vers un Cashless Payment System. Les compagnies d’autobus de leur côté sont plutôt favorables à ses changements, à l’instar de Swaleh Ramjane, directeur d’United Bus Service (UBS), qui affirme que le Fleet Management System, le système cashless et éventuellement le transport gratuit à l’ensemble de la population seront bénéfiques à la fois aux opérateurs, au grand public et au gouvernement. Mais il précise que la congestion routière reste un grand problème. «Dans l’ensemble, ce plan du gouvernement va dans le bon sens. Mais pour des résultats concrets, il faut attendre la mise en place des mesures annoncées. Comme je l’ai déjà dit dans le passé, pour des opérateurs comme pour les usagers, la congestion routière engendre des coûts significatifs, tant économiques qu’environnementaux. Nous transportons des passagers du haut des Plaines-Wilhems vers Port-Louis et tous les jours, il y a des embouteillages. Avec le système GPS, on va savoir au moins si un bus qui est sensé de passer à un arrêt à telle heure et qui a du retard, s’il est bloqué dans les bouchons ou non.»

En ce qui concerne la transition énergétique, UBS n’a aujourd’hui aucun véhicule vert. Swaleh Ramjane évoque en effet le coût élevé des bus électriques (à peu près Rs 12 millions, contre Rs 4 à 5 millions pour un bus normal). De plus, la compagnie n’a aucun système photovoltaïque pour produire sa propre électricité. D’ailleurs, le ministre des Transports terrestres, Osman Mahomed, a déjà déclaré que les modes de transports électriques seront viables pour le pays uniquement si les véhicules et les bus sont rechargés avec de l’énergie verte générée, entre autres, par des panneaux solaires photovoltaïques.

Par ailleurs, le manque de personnel est aussi un autre problème auquel les compagnies de bus ont à faire face de nos jours. UBS vient de recruter une trentaine de chauffeurs népalais et des mécaniciens malgaches. «Le travail de chauffeur et de receveur dans un autobus est dur. Des personnes qui ont fait ce travail et ont donné une bonne éducation à leurs enfants ne voudraient pas que ces derniers soient confrontés aux mêmes difficultés. Les jeunes ne veulent pas faire ce travail et nous sommes obligés de faire appel aux travailleurs étrangers. Peut-être qu’à l’avenir, il n’y aura que des travailleurs étrangers comme chauffeurs, receveurs ou mécaniciens dans le secteur du transport. Il y a aussi le souci de trouver des dortoirs corrects», tient à préciser Swaleh Ramjane.

Sur l’avenir du secteur dans cinq ou dix ans, le directeur d’UBS est d’avis que le «transport public est le moteur de notre économie, celui qui transporte un employé de sa localité vers son lieu de travail. Mais pour que ce secteur existe et soit viable et efficace, il faut un plan d’ensemble, des mesures concrètes qui aident les compagnies à investir et à se développer davantage».

Ces constats rejoignent d’ailleurs une réalité plus large. Maurice, comme de nombreux petits pays en développement, est confrontée à des problèmes énergétiques croissants, notamment la volatilité des prix des combustibles fossiles et le manque de fiabilité des chaînes d’approvisionnement. Cette situation impacte considérablement les transports publics, en particulier le secteur des bus souvent dépendant du diesel importé. La transition vers les bus électriques représente une solution viable et cruciale pour atténuer ces défis et favoriser le développement durable. La production d’électricité à partir de sources renouvelables comme le solaire renforce encore la sécurité et la durabilité énergétiques.

Du côté de Rose-Hill Transport (RHT), une des compagnies de transport les plus anciennes du pays, la transition vers l’électrique a déjà commencé par la mise en opération de deux bus électriques depuis 2019. Selon Sidharth Sharma, Chief Executive Officer (CEO) de RHT, la compagnie vise de passer à 100 % au vert, d’ici 2030. «Nous avons actuellement déjà deux bus électriques sur les routes. Nous avons déjà commandé quatre autres bus pour cette année. Notre objectif pour 2025 est de passer à 20 % de notre flotte en électrique.»

Les bus électriques coûtent plus cher que ceux qui roulent au diesel certes, mais pour Sidharth Sharma, le coût d’exploitation des bus électriques est moins élevé. «Nous avons déjà des panneaux photovoltaïques qui produisent notre énergie pour recharger nos bus. Mais éventuellement, notre demande en électricité va augmenter et il n’est pas question de puiser dans le réseau du Central Electricity Board (CEB). Dans cette optique, nous allons vers la création de fermes solaires.» C’est un projet de grande envergure et selon le CEO, il y a encore beaucoup d’étapes à franchir, notamment au niveau des discussions avec le CEB, les institutions financières et la difficulté de trouver un emplacement idéal, etc. «C’est un design assez compliqué. Pour environ 100 bus électriques, ce sont 15 mégawatts à monter. Mais nous espérons concrétiser ce projet afin de baisser nos coûts d’opération.»

En termes d’évolution, Sidharth Sharma est d’avis que le secteur du transport à Maurice est très en retard par rapport aux développements technologiques dans la région. «Beaucoup de pays africains ont adopté l’Intelligent Transportation System (ITS) qui permet aux usagers de savoir en avance l’heure exacte du passage de leurs bus ou train et permet ainsi aux passagers de faire une planification de leurs trajets. Il y a trois ans, la congestion routière coûtait environ Rs 4 milliards à notre économie et aujourd’hui, ce chiffre a peut-être atteint les Rs 6 milliards. L’année dernière, il y a eu plus de 33 000 nouveaux véhicules sur les routes tandis que notre réseau routier peine à se développer assez rapidement. Le gouvernement a augmenté les taxes sur les voitures, mais il faut aussi offrir des alternatives. Si on veut que le grand public bascule vers le transport public, il faut en premier lieu améliorer la qualité de nos bus. Il faut repenser complètement notre façon de nous déplacer.»

Dans cette même dynamique, la Mauritius Bus Owners Cooperative Federation, par la voix de son secrétaire, Sunil Jeewoonarain, exprime à la fois son engagement envers ce projet ambitieux et ses préoccupations. Il rappelle que le programme électoral prévoyait déjà un accès gratuit aux transports publics pour toutes les catégories de voyageurs. En tant qu’opérateurs agréés par la National Land Transport Authority, les membres de la fédération reconnaissent qu’ils doivent s’aligner sur les décisions gouvernementales. «Ce que décide le gouvernement, nous allons devoir embarquer dans l’aventure. Il nous faut nous conformer et coopérer», affirme Sunil Jeewoonarain. Cependant, il souligne que le transport n’est pas seulement un service essentiel – c’est aussi un secteur économique qui doit pouvoir survivre. Selon les modalités du nouveau projet, les opérateurs dépendront entièrement des compensations financières versées par l’État. «Nous dépendrons à 100 % des paiements que le gouvernement effectuera pour nous permettre de poursuivre nos opérations», explique-t-il.

«Méga projet»

Cette transition n’est pas sans défis. Le secrétaire parle d’un «méga projet»* aux implications complexes. «Tout projet a un objectif déterminé, mais il faut aussi penser à sa durabilité. Une fois la gratuité instaurée, il devient difficile de revenir en arrière», prévient-il. L’un des points critiques concerne la mise en place d’un système clair de rémunération et de contrôle. La fédération appelle à une négociation structurée autour du paiement et des protocoles de contrôle ainsi que des coûts d’exploitation. Sans cela, le risque est grand, fait-elle comprendre. «Si ces aspects ne sont pas bien négociés, il y aura des problèmes de trésorerie et les opérateurs risquent de devoir fermer. Ce serait une répétition de la crise actuelle du transport», avertit Sunil Jeewoonarain, faisant référence aux problèmes rencontrés avec les semi-low floor buses, inadaptés au contexte mauricien, causant un manque. Les opérateurs de la fédération demandent également une consultation étroite et continue. «Notre inquiétude, c’est de savoir si le gouvernement va faire des consultations de manière extensive, à travers des comités ou conseils où nous pourrons nous exprimer.» Toutefois, il reconnaît positivement que le nouveau ministre des Transports terrestres est très à l’écoute.

Sunil Jeewoonarain fait également ressortir qu’avec la gratuité généralisée, la demande sur le réseau de transport augmentera inévitablement. Cela implique une révision du nombre d’heures de travail, de trajet et de la planification des horaires. «Il y aura plus de pression sur le service et si le gouvernement prend en charge le paiement, il devra aussi répondre rapidement aux besoins», souligne-t-il. Il cite l’exemple du système actuel de gratuité partielle pour les élèves, étudiants et retraités. Lorsqu’un opérateur est off-road, c’est-à-dire qu’il ne roule pas, le gouvernement coupe la compensation correspondante – sans redistribuer équitablement la charge de travail. «Les autres doivent rouler plus, parfois en faisant des heures supplémentaires, sans paiement additionnel, alors que chaque kilomètre a un coût en maind’œuvre et en carburant», explique-t-il. Cette situation, selon lui, affecte directement la qualité du service offert aux passagers. La fédération accueille favorablement l’introduction de technologies comme le GPS, les caméras et les systèmes informatisés, qui permettront un suivi précis des trajets et des coûts. «Il faut que le système repose sur des chiffres exacts, pas des estimations approximatives», insiste son secrétaire.

La fédération soutient aussi l’idée d’un système cashless dans les bus et d’un contrôle rigoureux des bénéficiaires de la gratuité via des cartes électroniques, ce qui permettra une gestion plus transparente et efficace. Sunil Jeewoonarain affirme que le transport gratuit peut fonctionner, à condition d’adresser tous les enjeux structurels, tout en considérant les facteurs volatiles. «La main-d’œuvre, le prix du carburant, les besoins en travailleurs étrangers… Tout cela a un coût. Pour que les membres du public laissent leurs voitures pour prendre le transport public, il faut investir dans des véhicules modernes et adaptés.» La fédération insiste sur l’importance d’un système équitable, basé sur les services réellement fournis pour que ce changement de paradigme ne devienne pas un fardeau pour les opérateurs ni une nouvelle crise pour les usagers.

En définitive, l’avenir du transport public repose sur un équilibre fragile entre gratuité, modernisation technologique, transition énergétique et viabilité économique. Le Bus Services Industry Bill, attendu prochainement, pourrait constituer un cadre déterminant pour répondre à ces défis, mais son succès dépendra de la capacité du gouvernement, des compagnies et des usagers à avancer ensemble dans une même direction.