Avec un peu plus d’un an de retard et de nombreuses controverses, le plus important projet routier de ces dernières années a été inauguré, lundi, par le Premier ministre, Navin Ramgoolam. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit d’une belle réalisation infrastructurelle offrant ici et là des paysages pittoresques autour des montagnes mythiques de Maurice que sont le Pouce et le Pieter Both et une magnifi que vue sur les plaines du Nord. Du fait qu’elle est encore inachévée, elle demeurera encore source de polémiques en terme fi nancier et d’utilité publique.
Jeudi dernier, c’était enfi n l’ouverture à la circulation. Dès le matin, des centaines de voitures ont emprunté cet axe avec l’ouverture principale de la route Terre-Rouge/ Ebène, avec pour but de faire connaissance avec leur nouvelle infrastructure, élaborée en vue de désengorger la capitale des voitures se dirigeant vers le Nord. Il est estimé que la circulation aux heures de pointe a décongestionné Port- Louis par plus de 30%. Mais ce chiffre est contesté.
Longue de 24,5 km, cette nouvelle autoroute incluant une bretelle de Belle-Terre à Petit- Camp (toujours en construction) est un projet ayant coûté Rs 4,2 milliards contre les Rs 2,2 milliards initialement prévues. Et elle n’est pas terminée car sur 4 kilomètres entre les ronds-points de Ripailles et de Crève Coeur, la circulation se déroule sur un seul côté de la route. L’autre côté n’ayant pu être complété parce que sa construction s’avère difficile avec des problèmes d’éboulements dont des traces sont encore visibles sur le terrain. Cette problématique devrait encore gonfl er la facture pour la fi nition de cette route.
En 2011, ce grand projet avait provoqué de nombreuses polémiques, notamment avec une réclamation à hauteur de Rs 709 millions par le contracteur Colas Maurice/ Madagascar. De plus, le consortium allemand/ sud-africain de J.V. GroupFive- Strabag, écarté par la Road Development Authority (RDA) au profi t de Colas/Bouygues, avait pris l’initiative de contester le choix de ce dernier groupe en tant que Most Preferred Bidder par le Central Procurement Board (CPB).
Une voie de délestage en contrebas de Valton
Pour en revenir à la route qui comporte de longues lignes droites propices à la vitesse, il faut signaler que cette nouvelle M2 connecte la M1 à Calebasses et à Ébene. L’automobiliste peut aussi rallier Khoyratty, St-Pierre, Bois Pignolet, Valton, Ripailles, L’Avenir, Crève Coeur, Montagne Longue, Port-Louis et Pamplemousses à travers les divers ronds-points qui jalonnent cette route. Pour la toute première fois à Maurice, un arrester bed sur le tronçon Ripailles/Valton a été aménagé. Ce qui permettra à tout véhicule en diffi culté dans la descente vers Crève-Coeur de ralentir au cas où ses freins auraient laché. «Le véhicule bascule sur la voie de délestage et rejoindra un matériel granuleux qui le freinera dans sa course et évitera des accidents », explique un ingénieur. Le tronçon Ripailles/Valton suscite, toutefois, des craintes avec une pente à fort gradient, plus de 30° par endroits et les voies alternées. La limitation de vitesse à 80 km/h oblige l’automobiliste à utiliser les freins pour sa descente. D’autant que la circulation se fait sur un seul côté de l’autoroute avec trois voies disposées de la sorte: deux ralliant le Sud et une ralliant le Nord.
Glissements de terrain et décision d’aller vers une seule voie
La chaussée sur les 4 kilomètres à trois voies en direction du Sud est toujours inachevée mais, sous la pression de l’opinion, la route a quand même été ouverte. Les autorités se veulent rassurantes, avançant que c’est une solution temporaire en raison des glissements de terrain. Glissements imprévus selon les autorités mais une visite sur le terrain a permis de constater que les travaux effectués pour les éviter sont loin d’être satisfaisants. Avec des drains et des rocks embedments insuffisamment structurés.
Si d’aucuns condamnent les explications fournies par le ministère des Infrastructures publiques à l’effet que les études de géomorphologie auraient dû avoir prévu ces glissements de terrain, les ingénieurs du ministère affirment, pourtant, que des études ont été effectivement réalisées.
Pour mieux comprendre ce phénomène, ils rappellent qu’une étude a bien été faite en 2007 par un consultantgéotechnicien de France. Les conclusions ont démontré, disent-ils, qu’un glissement de terrain était probable au niveau de l’axe Crève-Coeur/Malenga seulement. D’ailleurs, soutiennent- ils, des fi ssures étaient d’ores et déjà visibles là-bas.
Les premiers signes de glissement sur la montée vers Ripailles ont, eux, apparu en 2011 et, très vite, des dispositions ont été prises, à savoir l’allongement du talus (terrain en pente très inclinée construit lors de travaux de terrassement), la construction de drains en pierre, la mise en terre de vétiver de façon à retenir la terre, des drains sub-horizontaux de 5m à 6m de profondeur. Tout semblait en parfait état jusqu’à l’arrivée des pluies de février et mars derniers. «Les 134 mm de pluies enregistrées en 3 heures, en février, ont causé des dégâts conséquents aux structures mises en place pour pallier le glissement de terrain. Celles du 30 mars ont aussi eu un impact, mais à un moindre degré. Face à ce phénomène que nous avons considéré comme naturel, l’inquiétude a pris place», explique-t-on à Week-End. Et de poursuivre: «Nous nous sommes retrouvés avec deux alternatives: soit continuer les travaux, soit ouvrir la route pour ensuite prendre des dispositions afi n de remédier au problème de glissement de terrain.»
Décision fut prise après mars 2013 de supprimer la voie en direction du Sud sur le tronçon Ripailles/Valton sur 2.7 km et d’aménager la voie en direction du Nord. Ainsi, deux voies et une ligne d’urgence ont été conçues pour ceux ralliant le Sud, tandis qu’une voie a été aménagée pour ceux ralliant le Nord. Comme le chantier était assuré, s’en est suivie une réclamation avec les assureurs Swan et Axa de France. «Nous avons démontré qu’il n’y avait aucune façon de prévenir ce glissement de terrain. Une contre-expertise a ensuite été réalisée par un groupe de géotechniciens de France. Ces derniers ont été mobilisés par Axa de France. Après 6 mois d’études, ils nous ont donné raison et nous ont dédommagés à hauteur de Rs 135 millions», affirment nos sources.
Prochaine étape: le lancement d’un nouvel appel d’offres pour poursuivre la fi nition de la voie Sud et entreprendre de nouveaux travaux pour éviter des glissements de terrain, notamment des aménagements adaptés et des drains additionnels. Une partie de talus en direction du Nord a été bétonnée (avec des décharges d’eau à la base) pour empêcher que la terre ne s’affaisse. Le ministère s’attèle, notamment, à boucler les procurement bids avant de lancer les appels d’offres pour un nouveau contrat. Les autorités préviennent, néanmoins, qu’on ne pourrait poursuivre les travaux en période de pluie, à savoir de novembre à mai.
Ce qui renvoie aux calendes grecques la finition des travaux. Ce qui est rassurant, c’est que la sécurité des automobilistes a fi nalement primé sur l’orgueil des constructeurs.
Selon le Premier ministre, Navin Ramgoolam, dans son discours lors de l’inauguration, lundi, la nouvelle route permettra d’économiser entre 30 minutes à une heure, dépendant de la circulation. «Le trajet sera parcouru en 20 à 25 minutes», a-t-il dit. Qualifi ant le projet de gigantesque et de pharaonique, le PM s’est appesanti sur le retard des travaux qu’il attribue aux glissements de terrain. Il a ajouté qu’un budget de Rs 55 milliards sera consacré aux infrastructures routières, dont le métro-léger, pour les trois ans à venir. Sa priorité: «Aller vers la modernité à pas de géant.»
L’Association des Consommateurs de l’île Maurice (ACIM), par le biais de son secrétaire général, Jayen Chellum, a exprimé son inquiétude quant au nombre conséquent de projets routiers. C’était lors d’un point de presse au siège de l’association, vendredi, à la mi-journée. Reprenant des propos du ministre responsable des Infrastructures publiques, Anil Bachoo, à l’effet que des projets se font «à la pelle», Jayen Chellum estime que c’est une erreur fondamentale. En l’absence d’investissements étrangers (FDI) et vu que Maurice collecte Rs 76 milliards en termes de taxes, alors que le budget national est de Rs 63 millards, il est clair, dit-il, que Maurice ne pourra soutenir autant de projets routiers.
De nombreuses critiques à l’effet que les indications sont insuffi santes et perturbantes pour les automobilistes ont été transmises aux autorités. Celles-ci soutiennent que ceux qui trouvent que les indications sont inadéquates sont ceux qui roulent par réfl exe et non selon le code de la route. À Maurice, disent-elles, les automobilistes ont la fâcheuse tendance à rouler par instinct et par réfl exe, négligeant, du coup, les panneaux indicateurs.
Les pluies de la semaine dernière ont aussi affecté la bretelle A7 de Verdun menant à St-Pierre. Des conduits d’eau ont été bouchés avec de la terre. De plus, en raison du gros volume de trafi c, une toute nouvelle jonction sera pour la première fois construite sur les routes mauriciennes à ce niveau, selon les autorités. Nous attendons de voir mais vivement l’ouverture de cette jonction pour ceux se dirigeant vers l’Est. Notons qu’une rocade a été construite autour de Quartier Militaire, rendant l’accès aux routes de l’Est beaucoup plus facile et moins dangereux.
La 2e phase est une continuité de la route de Trianon qui fait environ 3 km de long. Une grade separated junction est prévue à Verdun et une autre à Valentina. Trois ronds-points se trouvent sur la route à Côte d’Or et Bagatelle. Le tronçon Bagatelle/Valentina sera complété en janvier prochain.
Le projet Terre-Rouge/Ébène – fi nancé à hauteur de 40 millions d’euros par l’Agence Française de Développement (AFD) et le budget national – produira des bénéfi ces importants pour le pays, selon les autorités. Outre de décongestionner le trafi c de 36%, la nouvelle route M2 réduira le trajet de 45 mn de Calebasses à Ébène/Valentina. Parallèlement, la circulation sur l’autoroute M1 de Calebasses à Ébène sera réduite de 30 mn. Selon une analyse entreprise, le volume de trafi c générera Rs 1,2 millards par an et le bénéfi ce sera accru durant les 10 prochaines années. Selon le ministère des Infrastructures Publiques, la route permettra aussi des développements dans la région centrale, stimulera la croissance économique et aura des retombées positives dans les secteurs touristique, manufacturier et commercial. Par ailleurs, en cas d’incidents majeurs (accidents, inondations et émeutes) sur M1 ou M2, le trafi c routier sera dévié sans conséquence majeure.
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