Elle coule des jours heureux à 40 mètres sous l'autoroute. «L'eau se répand à tous les niveaux et de ce fait, la route ne sera pas ouverte à la circulation en mars, comme prévu», a fait savoir le ministre des Infrastructures publiques, Nando Bodha. Cette découverte fait sourire les experts. Dont cet ingénieur, qui a souhaité garder l'anonymat et qui se demande comment un cours d'eau peut apparaître en trois jours...
Notre interlocuteur, qui s'y connaît en construction de routes, est formel : ladite rivière doit exister depuis très longtemps, pour ne pas dire la nuit des temps. Pour comprendre le phénomène, il faut remonter à la formation de Maurice et les trois couches de lave qui ont formé l'île. «L'eau de pluie traverse la troisième couche et la deuxième. Comme la première est imperméable, elle coule sous terre jusqu'à ce qu'elle rejoigne un point, 'en dehors'», explique-t-il. Mais ce processus ne se crée pas en un an, ni dix. Selon lui, si les études appropriées avaient été faites, cette rivière aurait été découverte, c'est clair comme l'eau de roche. Ce qui aurait démontré que le terrain n'est pas propice pour la construction d'une route.
Études appropriées: attention terrain glissant
L'ingénieur avance que presque aucune étude n'a été faite avant le début des travaux. La première chose à faire avant qu'ils ne débutent est de déterminer la ligne de glissement. Pardon ? Pour faire simple, il s'agit de la ligne de démarcation entre la terre dure et compacte et la première couche de terre, qui est plus légère et susceptible de céder. C'est cette partie de terre qu'il aurait fallu enlever pour éviter non seulement les éboulements mais aussi les fissures. «Lorsque cette terre se gorge d'eau, elle bouge. C'est ce mouvement qui crée les fissures», fait valoir l'expert. Si cela avait été fait, la rivière aurait été découverte au début des travaux, martèle-t-il encore et encore.
En sus de cela, avant la construction de toute route, il faut déterminer à quel point le sol est compact. Ce test a été réalisé après l'apparition des fissures et dans des zones spécifiques, ce qui, pour notre ingénieur, est un non-sens. «On commence à connaître la nature du sol. Il aurait été judicieux de faire ces analyses sur la totalité de l'autoroute pour déceler d'autres zones qui poseront problème car je suis certain qu'il y en a.»
Une autre étude qu'il aurait fallu faire concerne la pluviométrie. «Jeudi dernier, le ministre des Infrastructures publiques a dit que cette région est pluvieuse. C'est avant la construction qu'il aurait fallu faire un tel constat, pas maintenant», ironise le spécialiste en la matière. D'autre part, lorsqu'il pleut, il faut savoir où va l'eau. C'est parce que les procédures n'ont pas été suivies que la rivière a été découverte cette semaine et pas avant.
Tout casser
Depuis l'ouverture de l'autoroute, il y a eu six éboulements : quatre en janvier 2015 et deux ce mois-ci. Le ministre Bodha a fait savoir que des analyses topographiques sont en train d'être faites, histoire d'en savoir davantage sur le mouvement du sol. «On a découpé une montagne pour construire cette autoroute. C'est évident qu'en l'absence d'étude des pentes, il faut s'attendre à des éboulements», fait valoir l'ingénieur. Qui, pour enfoncer le clou, affirme que les murs de soutènement en béton, qui ont été construits là, ne sont pas la solution. Le béton, argue-t-il, n'est pas flexible et au moindre mouvement, les murs vont céder. La terre est légère et prend l'eau et donc, devient plus lourde. Mais il y a bien des tuyaux pour évacuer l'eau ? «Cela ne sert à rien. Puis, on fait quoi lorsque les tuyaux sont bouchés ? Il n'y a aucun moyen de les nettoyer.»
Rs 120 millions par kilomètre
La solution idéale, selon lui, consiste à enlever toute la terre légère sur les pentes de la montagne pour ensuite les sécuriser avec des barres de métal. Il précise que si des inclinomètres (NdlR, appareils permettant de surveiller le mouvement de la terre sur les pentes) avaient été installés, les éboulements auraient pu être évités.
Et la route ? «Il n'y a d'autre choix que de tout casser, creuser en dessous pour atteindre la ligne de glissement avant de tout reconstruire... La découverte de la rivière va compliquer les choses, car c'est la preuve que la terre est constamment humide et en mouvement et que, de ce fait, pas propice à soutenir une route.»
Combien un tel chantier colossal pourrait- il coûter ? «Cela dépend des compagnies. Mais les études coûtent très chers», prévient-il. En attendant, le budget pour la construction de Terre-Rouge – Verdun était de Rs 3,6 milliards et à ce jour, Rs 1,3 milliard ont été consacrées aux réparations. À cela, s'ajoutera le coût des travaux actuels. La route, au total, a coûté Rs 120 millions par kilomètre. Jusqu'ici.
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